Portrait d'une inspirée
Elle était tour à tour cheval qui rue ou verre en cristal de Venise.
Elle observait la nuit avec les yeux de la nuit-même, et l'on aurait
dit que le vent, en s'ébrouant, s'abreuvait au ruissellement de ses cheveux.
Ombrageuse, elle ne supportait pas que son ombre fusionnât avec l'ombre
des forêts. Elle se voulait la poésie-même, et elle l'était. Vivante cariatide,
elle supportait le porphyre du ciel : le jour la contournait avec lenteur et
ravissement.
Lorsqu'elle avançait dans la neige, elle jetait du sel par-dessus son épaule
et ce sel se changeait derrière elle en langage cunéïforme. Elle ne se souciait
pas de la trace laissée. Son passé était un nuage d'encre.
La violence de l'élan qui emportait ses rêves, la chaleur de ses passions
qui contrastait avec la sérénité hiératique de son visage, lui faisait rompre
devant-elle toute barrière de lumière.
Elle voulait être heureuse. Mais en elle habitait une mer, avec ses écumes,
ses splendeurs, et ses tempêtes. Et ses récifs de rage et de solitude.
Parfois, les yeux plongés dans son reflet, elle pleurait.