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14 février 2012 2 14 /02 /février /2012 18:47

Soir de jeunesse

 

         Tirant les ombres de sous les bâtisses, le soir au loin déchirait les calanques. Rocs saignants, arêtes où penchent des pins. L'enfant tend vers le ciel sa petite main. Il attrape un fuseau argenté, qu'il arrachera aux vapeurs roses.


      C'est un génie violent. Il promène sur le panorama, où gonfle une mer bleu-pervenche, un regard de démiurge. Il n'éprouve qu'un amour étrange, à l'odeur de mimosas, en lequel les humains n'entrent pas.


     Avec quelle facilité, ici, c'est un îlot qu'il déplace. Voici qu'il y fait fumer un panache volcanique. Là, il change les mouettes en poissons aux écailles de mercure. Ce dauphin là-bas sera un paquebot, cet autre un triton couronné. De la nappe mouvante, il tire dans un tourbillon d'écumes l'astre d'hier, ruisselant : qui eût soupçonné cette étincelante présence au fond des abysses ?


     Rien ne sert de lui parler. Sa langue est le minoen, ou le patois de Mycènes. Pour vos questions, son mépris est total. Il mure des taureaux de brume dans des labyrinthes de corail. Parfois il en choisit un pour jouer à des sauts périlleux, entre ses vastes et cornes et sur son échine tachetée de gris.

 

    Le chien noir qui le suit partout a deux têtes. Il ne parle pas, n'aboie pas. Il comprend ce qu'on lui dit. Mais ne comptez pas sur lui pour traduire votre angoisse auprès de son maître. Ce n'est pas un animal d'espoir.

 

 

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14 février 2012 2 14 /02 /février /2012 15:03

                                                                  PÈLERIN

 

     Pèlerin, prenant à témoin le soleil et d'une flûte en roseau sanglotant comme eût fait un Inca, le pas brûlant tu franchis les talus, les miroirs des rivières, les herbes hautes et coupantes. Quelques figues t'arrêtent parfois au bord du chemin. Ou la mousse sur laquelle glousse la lèvre d'une source presque invisible.

     Pour la poésie, tu n'es rien. Mais une femme qui passait, descend de son cyclomoteur pour une conversation inattendue. Elle t'accompagne, poussant son engin, jusqu'au moment où elle le renfourche avec un adieu. Cette rencontre parfumée a vaguement émoussé ta colère. Un tranchant de ciel au-dessus du cimetière à flanc de coteau, compte les pierres tombales.

    Ce buisson pour satisfaire un pressant besoin te réserve une surprise : dans le pré quelqu'un a perdu un couteau suisse. Il y a quelque chose d'un signe, car la trouvaille d'un couteau a marqué chacun des tournants de ta vie. Celui-ci, un peu sali par un abandon de plusieurs jours, tu le laves soigneusement dans le lavoir du haut village, qu'il retrouve son aspect neuf.

    Puis il faut dans l'après-midi redescendre vers la plaine et les oliviers sagement rangés. Le couteau pèse dans ta poche, du même poids qu'à douze ans celui qui ne te quittait jamais. Mais l'ancien, manche blanc et croix rouge au fond d'un tiroir, présente une lame grise et oxydée. Il a taillé tout ce qu'on pouvait, garçon, tailler dans du bois : cannes sculptées, lance-pierres, arcs et flèches, petits moulins à ailettes qu'on plaçait en travers des ruisseaux.

    Le nouveau, rouge à croix blanche, ouvre une belle lame aiguisée, inoxydable, dans laquelle tu vois tes yeux cinquante six ans après, toujours sombres et laissant, si l'on insiste, deviner dans leurs profondeurs une étincelle de cette rage qui couve comme lave jamais éteinte au coeur d'un volcan endormi.

 

 

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13 février 2012 1 13 /02 /février /2012 12:57

 

                                                    Un après-midi d'Athènes

 

           Il faisait frais, quoique le soleil tiède s'efforçât de maintenir un semblant d'été, à peine plus insistant qu'une réminiscence, dans les rues de la ville. Beaucoup de rideaux métalliques aveuglaient les devantures, comme si dans ces froids temps de crise les commerces protestaient en se refermant sur eux-même. Certains étaient tagués de mots d'ordre adolescents, plus ou moins incendiaires. Nous circulions en visiteurs que le moindre détail inhabituel émerveille. Ici, la vitrine multicolore d'un fleuriste. Là, un tag verdâtre poussé jusqu'au tableau fantastique.

       L'avenue était trop calme. Un regard attentif eût discerné le désarroi presque tangible des immeubles. Sur le flanc du Lycabette, le plus grand hôpital de la ville affichait tristement, à hauteur du toit, des lettres de néon géantes dont certaines étaient défaillantes. Derrière les façades, les escaliers et les couloirs pimpants aux cuivres astiqués, on découvrait crasseux, usés, les passages réservés au personnel des hôtels de grand luxe. Cela sentait une richesse qui faisait peine à voir, comme celle de ces aristocrates qu'on pressent en route pour la ruine. Tout est somptueux mais tout secrètement se délite...

       Paradoxalement, là-haut lumineuses, les ruines de l'Acropole brillaient comme une espérance. Comme les os d'un cadavre, ressortis de terre avec les années, qui accusent leur meurtier inconnu, pour qu'un jour enfin justice leur soit rendue. Comme si cette lumière du monde hellénique, aussi intimément diluée aujourd'hui dans la pensée de la plupart des sociétés de la planète qu'une eau de source dans un marécage, par une sorte de réversibilité pouvait, lorsque, vingt-cinq siècles après, ils en subissent les effets pervers, être rendue aux Grecs sous forme de pactole !

 

 

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12 février 2012 7 12 /02 /février /2012 13:37

 

 

41. Musée de l'Acropole

 

 

Consultant tes souvenirs, tu parcours

Les salles du Musée où l'on accumule

Par milliers les témoignages de la beauté

Radieuse des Hellènes. Parfois ce ne sont que fragments

Pareils à des bribes de poèmes perdus.

 

D'autres reliques sont intactes et vous lancent

Au visage la merveille d'une rêverie habile et raffinée ;

Des frises qui creusent la pierre à force de héros

Et de miracles. Des vases noirs et rouges où l'exquise

Élégance du tracé le dispute au naturel du geste ;

Chitons de pierre aux plis et replis transparents

Sur le corps des Corès et des femmes divines...

 

Tout ici parle de l'homme en son heureuse plénitude.

De l'harmonie des actes et des corps, comme germe

De l'harmonie de la Cité ! De la liberté des esprits

Comme soleil de la marche hésitante des peuples

Vers la véritable grandeur de leur humanité.

 

 

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10 février 2012 5 10 /02 /février /2012 18:34



                  8. Dans la chambre



Par la fenêtre de l'infini, un vol d'étourneaux s'enfuit.

Il y a toujours un retardataire, pareil à un dernier

Poème qu'on avait négligé, et qui d'un vol culbuté,

L'air de tomber sans tomber, se roule dans les nuages

Vers la montagne en survolant la pleine lune, pâle

Cadran d'horloge sans aiguilles au ras de l'horizon !



Les yeux hantés de murs aux pierres énormes, de vases

Et de statues finement décorés, de ceintures dorées

Et d'épées, de vignes rouges sur la route de Corinthe,

Depuis la chambre au Divani Caravel, nous regardons

La clarté rose qui s'attarde sur l'Acropole comme

Une limace sur une feuille de “lahano aspro”. Ah !

Que de mélancolie erre à travers les rues ! Les chats

Circulent entre les autos stationnées n'importe où.



Les rues se sont vidées, il fait froid. Les toitures mêmes

Ont l'air de frissonner, tandis que nous, bien au chaud

Dans la grande chambre calme, ici, au coeur de la ville

Dont le seul nom enchante, repassons dans notre tête

Le film enluminé d'une journée amicale et magique...







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10 février 2012 5 10 /02 /février /2012 11:50

 

                                        Poème pur

 

Il cherchait en fouillant la neige des pages

(laquelle lentement se fondait dans l'oubli)

L'architecture d'un poème absolument pur et ténu,

Quelque chose d'analogue à ces feuilles mortes

Tellement tourmentées par les saisons que le temps

A détruit leurs couleurs, l'or et le pourpre sensuels,

Ne laissant qu'une résille brune, irréductible

Et fine à l'instar d'une toile d'araignée aux reflets

Diaprés qui vous prend par surprise le masque de

Votre visage avec la fraîcheur de ses perles de pluie,

Au détour d'un sentier forestier que depuis longtemps

Personne ne fréquente plus...

                                                                                       Il cherchait, en guettant

À la façon d'un pirate à l'affût, dans sa voile immaculée,

Du vent qui le mènera jusqu'à la fameuse Île Verte

Où l'attend tel fabuleux trésor qu'en mourant lui léga,

Au travers de quelques paroles énigmatiques,

Un vieux capitaine à barbe noire qui régna des années

Sur la flibuste et qui, de mousse, avait fait de lui son second.

Il cherchait. Comme on cherche au sein d'une plage immense

Le galet parfait que la mer a caché spécialement pour nous,

Ou encore cette fine spire d'une conque merveilleuse

Qui récite à chaque fois qu'on l'approche de son oreille,

Pleins de départs et de retours, et du refrain craquant

Des carènes, les hymnes de la mer dans ces moments radieux

Dont le soleil premier d'un rayon d'or faufile chaque vague

Ainsi qu'une brodeuse l'indigo d'un kimono japonais

D'où s'envole une élégante et gracieuse troupe de cygnes...

 

Il cherchait. Ne trouvant en chemin rien qui ressemblât

À ce pur Introuvable qui hantait sa minable existence...

 

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9 février 2012 4 09 /02 /février /2012 15:33

Impitoyable

 

Triste et déclinant déjà, le soleil sur les collines

Qui ne sont que des toitures d'immeubles parisiens...

Ce cyprès est un réverbère et la mer avec son île

Au-milieu, qu'un courant d'automobiles contourne

Péripathétiquement, c'est la Place de la Nation !

Plus glacé que jamais, en mille cristaux brisé l'air

Trop pur brûle les poumons. Même en pleine ville

J'ai vu pendre à plusieurs poternes des poignards

D'eau figée. L'inapparente main de l'hiver s'en sert,

Je le suppose, pour mettre fin quasi chirurgicalement

Aux tourments des sans-abri qui ne se résignent pas

À côtoyer leurs pouilleux semblables dans des refuges,

Evidemment très différents des palaces cinq étoiles

Des Pharisiens. Au fond de mon cœur qui s'apitoie,

Dans un endroit tellement occulté que j'ai peine

À entendre la voix qui m'en vient, il me semble

Percevoir le constat que, sur la balance d'Anubis

À l'oreille attentive, toutes les vies, quand elles en sont

Au stade recroquevillé et desséché des feuilles mortes,

Se valent. Et la chance du néant, pour nous humains,

C'est qu'il est dépourvu de mémoire, et d'oubli.

 

 

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9 février 2012 4 09 /02 /février /2012 12:19

 

 

                             Il n'y a pas d'aurore

 

                                                                             Pour Aïlenn

 

Il n'y a pas d'aurore disais-tu seulement la rotation

De la lumière autour du globe et les vents qui transportent

Les virus et les oiseaux migrateurs et les airs glacés des pôles

C'est cela que tu disais avec l'exaltation d'un émerveillement

Désespéré C'était pourtant la vérité Toute cette métaphore

De l'intelligence qui s'éclaire avec l'origine de nos mondes

Comme différents vins blancs dans l'obscurité des celliers


Chacun dans sa tonne de chêne s'élabore en silence

Avec l'âpre lenteur des choses qu'on oublie

 

Il n'y a pas d'aurore, ni nos amours ne s'éclaireront

Point d'uu nouveau rêve Le seul qui opère encore c'est

Notre illusion première et si nous tenons à aimer

C'est celui-là qu'il faut que l'on affine jusqu'à ce dur

Moment sombre où la séparation par le néant devient

Inévitable

                                     En attendant la toupie aux océans bleus

Nuages de satins et continents roussis tourne encore

Sous le regard aveuglant du soleil Et ton corps virevolte

Et danse sous mes yeux à longueur de journée ainsi

Qu'un fuseau qui pour moi entre les mains d'une invisible

Parque tord le lin immaculé du temps pour qu'avec son fil

Je tisse ta beauté en voile lumineux si bien que toute chose

S'en affuble comme un jour de blancheur l'entier paysage

Enneigé se couvre d'une aurore qui dis-tu n'existe pas...

 

 

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8 février 2012 3 08 /02 /février /2012 16:47

 

Androgyne

 

 

Nous qui, noirs jusqu'à la mort, d'une plume incessamment plus acérée nous piquons d'écrire, scorpions de nous-mêmes, ne sommes rien de plus que les enfants des humains !

 

Ce sont eux qui nous ont engendrés. Eux qui nous ont enseigné l'eau trouble et le jour

piégeur, après que nous eûmes grandi dans l'abîme tiède au point de n'y plus tenir, d'être expulsés de l'Eden par l'ange impitoyable.

 

Tout cela dans le sourire sanglant, ironique et tendre du sexe. Sans nous être choisis. Inconscients de nos dons, de nos faiblesses, de nos aspirations. Enfoncés dans le monde et y traînant le mal-être de nos ailes avariées.

 

Puis l'étincelle du rêve rallume en nous la lumineuse beauté de l'Autre. Nous y cédons. Et la Chute recommence. Indéfiniment.

 

 

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8 février 2012 3 08 /02 /février /2012 14:16

 

 

 

 

 

 

 

                                                            Méditation d'hiver

 

Murmures insolents et souvent tragiques : le vent happé par les arbres agite, soulève façon vieux pardessus son ombre au sol. Un rayon précoce prend les crêtes de la houle en enfilade : l'on rêverait d'apercevoir le fameux rayon vert ! C'est seulement le paon de l'aube qui fait la roue. Vite, un crayon pour griffonner les restes de noirceur splendide que la nuit laisse dans les âmes !

 

L'écume sur la plage range ses trésors, diamants, herpes marines, bouteilles, bois flottés. On dirait qu'un galion invisible a été drossé à la côte, dont les cales vomiraient des souvenirs de périples exotiques. Dans cette lumière glacée, pareille à celle de ces films polaires où des hommes grenouilles nous emmènent voir les phoques sous la banquise, les ombres des maisons, des peupliers, des reliefs des falaises, se découpent sur les souvenirs du paysage d'été pour nous signifier que, finalement, l'itinéraire de vivre a beau aller droit, ou sinuer face aux obstacles, il ne saurait être qu'une longue suite d'erreurs.

 

Ce fuseau d'aluminium qui cligne un instant dans le ciel en emportant qui sait où des rangées de voyageurs fortunés, comme il semblait autrefois une oeillade du bonheur lui-même... L'exotique beauté des ailleurs sur les affiches du métro réveillait en nous des nostalgies pour des lieux où nous n'avions jamais vécu, et que parfois maudissent ceux qui y sont nés. Être le vent, seigneur nomade, chiffons et bannières flottants sur fond d'azur, et faire le tour de la terre, mers bleu sombre et continents ocre pâle, être le vent, enfants nous semblait plus excitant encore que d'être ange ou pur esprit !

 

C'était l'époque où les rosiers, les jardins, les rues, les écoles, les maisons, l'ensemble de ce que nous avions pu apercevoir de l'univers semblait taillé dans la limpidité, dans la joie d'entrer parmi les choses, de s'amuser d'une coccinelle qui ploie un brin d'herbe ou d'une fourmi qui ne ploie pas sous une miette trois fois plus grosse qu'elle...

 

Un jour, passe une sorte de poulpe géant. Certains l'appellent « amour », d'autres « guerre ». On ne sait quel il est vraiment. Mais il enveloppe brusquement tout ce qui nous enchantait dans une noirceur d'encre en quoi ses tentacules nous tiennent ligotés sans qu'à aucun moment l'on s'en puisse dépêtrer.

 

Plus tard, il devient clair que, sortis du lumineux tunnel de l'innocence, nous venions de rencontrer l'illimitée et funèbre réalité.

 

 

 

 

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