Soir de jeunesse
Tirant les ombres de sous les bâtisses, le soir au loin déchirait les calanques. Rocs saignants, arêtes où penchent des pins. L'enfant tend vers le ciel sa petite main. Il attrape un fuseau argenté, qu'il arrachera aux vapeurs roses.
C'est un génie violent. Il promène sur le panorama, où gonfle une mer bleu-pervenche, un regard de démiurge. Il n'éprouve qu'un amour étrange, à l'odeur de mimosas, en lequel les humains n'entrent pas.
Avec quelle facilité, ici, c'est un îlot qu'il déplace. Voici qu'il y fait fumer un panache volcanique. Là, il change les mouettes en poissons aux écailles de mercure. Ce dauphin là-bas sera un paquebot, cet autre un triton couronné. De la nappe mouvante, il tire dans un tourbillon d'écumes l'astre d'hier, ruisselant : qui eût soupçonné cette étincelante présence au fond des abysses ?
Rien ne sert de lui parler. Sa langue est le minoen, ou le patois de Mycènes. Pour vos questions, son mépris est total. Il mure des taureaux de brume dans des labyrinthes de corail. Parfois il en choisit un pour jouer à des sauts périlleux, entre ses vastes et cornes et sur son échine tachetée de gris.
Le chien noir qui le suit partout a deux têtes. Il ne parle pas, n'aboie pas. Il comprend ce qu'on lui dit. Mais ne comptez pas sur lui pour traduire votre angoisse auprès de son maître. Ce n'est pas un animal d'espoir.