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24 novembre 2008 1 24 /11 /novembre /2008 18:29


                      La chanson de Novembre



La voici donc la chanson terrible de Novembre,

Les vents noirs, les oiseaux partis, les jardins

nus et glacés, le ciel griffé de branches noires...

Et là-bas où fut le soleil, même plus de maison !

Juste une pierre avec des noms – la trappe noire

refermée ! - et sur le monument les chrysanthèmes

et les tristes fleurs d'émail et de céramique apportées

par l'Association des Anciens Combattants. Triste

jardin, triste village où nous ne retournerons plus.

Une mémoire d'ombre a envahi et décimé les années

d'enfance au soleil ! Pauvres années, pauvres années

d'enfance au goût de maladie et d'exil ! Dans les miroirs

le visage exsangue de tous ces garçons aux yeux cernés

de fièvre, dur et racorni, refusait d'être toi et se crispait

sur ta face comme dans un feu d'automne cette feuille

qui rougit lentement et se recroqueville, et s'assombrit

jusqu'à ce que la dernière flammèche soit épuisée. Pauvres

années ! Aux mains du vent des violons triste, de mémoire,

répétaient la partition des feuillages perdus. Des fumées

s'élevaient des champs en répandant à travers la vallée

comme une odeur de four et de pain noir. Au crépuscule,

les papillons huileux des ampoules déployaient leurs hordes

au plafond, et les cris des effraies qui nichaient au grenier

faisaient frissonner les rideaux de la chambre, comme si

du dehors une main s'efforçait de les écarter pour offrir

au garçonnet transi quelques noires fleurs d'épouvante.

Voici donc la chanson terrible de Novembre, le ciel

en deuil sur les toits mal-lavés des horreurs de la nuit.

Dans les recoins obscurs de la maison, les cauchemars

pourchassés comme des rats qui eussent apporté

la peste. En bas, le vent qui hurle longtemps à travers

la rue, comme un chien sait ne revoir plus son maître

et choisit à la fin de se laisser tranquillement mourir.

La chanson de Novembre : les heures frileuses qui,

d'une aile migratrice, passent au-dessus des livres

éteints et des meubles muets ! Telle ombre ancienne

dont parfois tu revois, du coin de l'oeil, le spectre

raser les murs, à cet instant où ton regard erre alentour

d'un souvenir de vieux bureau et de fauteuil en cuir

irrémédiablement déserts ! Et lancinante la chanson

revient, avec son chagrin vénéneux et ses larmes

irrépressibles. Et le remords d'heures perdues, de gestes

que l'on n'a pas faits à temps, de paroles qu'on n'a pas dites,

et qu'aucun Novembre plus jamais, plus jamais ne nous

donnera l'occasion de ne pas prononcer en vain.




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23 novembre 2008 7 23 /11 /novembre /2008 19:25



         Au seuil de l'hiver


Voici donc l'hiver et le vent

                 et le froid, qui reviennent.

En grappe, agrippés aux antennes,

                les oiseaux énervants,

Enervés, le bec en avant,

                peu à peu se souviennent...


Là-bas sont les pays d'été,

                 pins, fleuves et marais

Chênes verts, garrigue, cyprès,

                 oliviers argentés,

Caniers où l'on peut s'arrêter,

                ombre tiède et forêts.


Au-delà scintille l'écume,

              champ de lys à franchir

Frissonnant sur fond de saphir,

              que le mot mer résume !

Pour traverser à coups de plume

             il ne faut pas faiblir...


Plus loin sont les déserts austères

           ondoyant sous la lune :

Sahel, Néguev, Sah'ra, lagunes,

          floraisons éphémères...

L'eau y est rare sous les pierres,

          plus rare entre les dunes.


C'est ce que content, j'imagine,

         les vieux pleins d'expérience

aux halbrans pétris d'impatience

        et sûrs, on le devine,

de pouvoir – par grâce divine ? -

        se passer de leur science.


Voici donc le froid et l'hiver

        et le vent, qui reviennent.

Les oiseaux, très haut sur la plaine

        puis très haut sur la mer,

retrouvent leurs routes anciennes

        dans le fluide des airs.


 

Et nous, résignés, nous rêvons

          migrations et voyages ;

océans transis, bleus mirages,

        cieux lointains où s'en vont

le vent, les bulles de savon,

        et les oies sauvages !

 


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18 novembre 2008 2 18 /11 /novembre /2008 19:55



                                                      A Hölderlin


Or, cela même qui,          avait dit l'Ancien,         est déjà-là et, sur le chemin du retour,         vient à ta rencontre, métaphore de gîte           ou d'espace gagné, - parviendras-tu jamais à l'habiter ?


En revenant de l'inconnu amer         tu as perdu le sens de toutes les demeures.      Parler n'allume plus des moires de la mer ;         les chiens invisibles de la solitude chassent ta candeur           comme le vent chasse l'écume        sur l'abîme salé où ce qui est humain      tôt ou tard        ne peut que sombrer.


Oh ! Le Retour.      La trouée que le vent ouvre dans les feuillages et qui laisse entrevoir      le toit de la vieille maison ;          elle était pleine quand tu l'as quittée,        cris d'enfants, mères, aïeules ; les hommes rassemblés en discutant le point,        tout autour du billard.


Le repas de la tribu sous le tilleul,           avec au-delà de sa grande ombre,     un soleil écrasant      qui réchauffait les graviers de l'allée où nous allions pieds nus...       Qu'est-ce donc à présent       qui vient pensif à ta rencontre ?


Ta mémoire,         enveloppée dans les voiles de ses fantômes,         comme une figure penchée de Chirico         méditant sur le degré de profondeur du temps,     de toute sa noirceur béant entre les arcades inquiétantes...


Telle une veuve qui revisite  les chambres de l'ancienne demeure,      elle cherche à comprendre et revivre un instant       les secrets de son bonheur passé          - mais dehors,       le soleil et le vent lui rappellent que tout change


et que,       de ce qui fut,      on ne saurait extraire que désolation     si l'on voulait en faire un moyen d'apprivoiser       les tempêtes de l'avenir...


 


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15 novembre 2008 6 15 /11 /novembre /2008 22:18

               Au soleil couchant



Ce que j'entends là-bas

           où les ombres sont profondes

comme sont les tombeaux

           ce sont voix qu'on a aimées

Leur murmure est confus

                     et leurs échos se confondent



La mer suit la lumière

                     qui s'enfuit vers l'horizon

avec ses îles d'or

                    en suspens parmi les brumes

et les souvenirs vagues

                  de mon regard ensongé



Je laisse s'écouler

                  d'une main à l'autre main

des minutes de sable

         dont il ne restera rien

lorsque la pleine lune

               lâchera son encre noire


 

Les jambes en tailleur

             asseyons-nous sur la plage

et buvons au bonheur

            jusqu'au coucher du soleil

Sait-on bien à notre âge

      s'il se lèvera demain ?

 

 




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13 novembre 2008 4 13 /11 /novembre /2008 11:18

 

           Et le « style » alors ?



J'ai évoqué sommairement quelques questions de poétique et comment se souvenir que, fait avant tout avec des mots, le poème les emploie au-delà des habitudes, quitte à « réussir » si bien que la nouvelle formule du nouveau poème fait fortune, devient courante, se banalise : ce bonheur d'expression, la « formule », est en fait issu d'un ensemble de choix qu'on pourrait qualifier de « techniques ». Choix matériels dans l'usage de la langue. Choix moraux dans l'usage des thèmes ou des systèmes d'images.

Non-choix aussi, parfois. Ainsi, - pour prendre, qu'on me pardonne, un exemple personnel – enraciné un peu particulièrement dans la culture grecque qui est de mon passé de méditerranéen, même si j'ai beaucoup d'autres passés culturels (japonais, chinois, iranien mazdéen, etc...), ainsi disais-je, jamais je n'ai pu départager dans le thème de la « lumière » ce qui est du domaine de la physique pure et ce qui est du domaine de l'intelligence. Je veux dire que je pense que la physique de la lumière, celle des laboratoires, n'eût pas été possible « sans soleil », sans la capacité du « voir » née chez les êtres vivants et les humains au premier chef.

C'est l'existence même de la lumière, son énergie, qui pour moi a éclairé, accompagnant le moment même de l'apparition de ce que nous appelons « la conscience », le « monde », au sens propre et figuré. Voir et comprendre sont les deux facettes du même diamant. La peau de lumière qui révèle au matin les colonnes de l'Acropole d'Athènes, c'est l'intelligence même des Grecs construisant le savoir de la géométrie, de la philosophie, de la logique, etc...

Bref. Cet ensemble de choix et non-choix constitue ce qu'en musique on appelle une « harmonie ». Dans cette harmonie, qui édifie et caractérise le « monde » particulier de tel ou tel poète, le jeu réciproque des consonances et des dissonances est essentiel. C'est de leur proportion dans le langage du poème que va surgir la « vision » d'un poète, et bien entendu cette proportion réciproque a pour origine la personnalité spécifique et unique d'un homme. Autrement dit, c'est elle qui donne à ses dits et écrits un relief qui les différencie du langage informatif ordinaire, c'est à dire un style.

Il faut donc comprendre qu'il existe la parole courante, dans son éclairage incolore, et la parole filtrée par le style qui est la conformation particulière d'une personnalité, dans un éclairage « coloré ». Cette coloration peut tout réinvestir, si c'est dans le cadre de son système harmonique, y compris la parole courante : mais si j'ose dire, cette dernière alors ne court plus dans la même cour. Elle prend un éclat nouveau pour l'intelligence, elle reparaît comme inhabituelle. (Ou alors, elle sera simplement ce que j'appellerai une « parole ratée ». Elle aura manqué son but.)

On observe cela en lisant des poèmes apparus à différents moment de l'histoire de la poésie. On s'aperçoit que lorsqu'un style nouveau et fort apparaît, il devient la coqueluche des imitateurs – le rôle de l'imitation, et partant de la traduction serait à questionner ultérieurement -, ce qui a pour effet d'habituer et donc de faire « redisparaître ». Les poètes de la génération suivante reprennent alors dans leurs poèmes de larges pans du langage courant, inutilisés parce que considérés comme « non-poétiques », et font surgir un nouveau « nouveau style ». En raccourci : Ronsard par rapport à Villon, Maurice Scève par rapport à Ronsard, Hugo par rapport à Corneille, Verlaine par rapport à Lamartine, et ainsi de suite.

La langue se trouve de cette façon constamment ressourcée, dans le but que son dire ne s'affaiblisse pas du point de vue, non tellement d'une communication technique à usage pratique, mais surtout d'une communication proprement humaine, c'est-à-dire du passage des sentiments complexes et des émotions entre des êtres humains emprisonnés dans leur individualité, leur histoire, et qui ne sont guère en mesure de supporter cette prison de l'incommuniqué ; or le langage courant ne transmet rien de tout cela. Lorsque quelqu'un nous dit : « Je suis heureux. » ou « Je suis triste. », il ne nous donne pas grand'chose à ressentir, en vérité, de sa gaieté ou de sa tristesse. Nous en sommes réduits à imaginer ces deux états à partir de notre expérience de la gaieté ou de la tristesse.

Si nous pouvions entrer dans la tête de l'Autre, peut-être nous rendrions-nous compte que la gaieté de l'un est pour nous d'une pâleur insignifiante, ou que la tristesse de l'autre nous serait d'un poids insupportable. La poésie, comme la peinture, comme la musique, comme tout ce qui mérite le nom d' « art », cherche à traduire le « je suis triste » en « voici comment je suis triste, voici à quoi ça ressemble, voici comme quoi c'est, dans mon cas, être triste ». Certes il est évidemment impossible de ne pas s'appuyer, pour traduire ce ressenti, sur le code de la langue qui existait bien avant notre naissance, et que partagent plus ou moins l'ensemble de ceux qui la parlent. Mais il faut rajouter, par-dessus ce code, un ensemble de significations secondes, que s'efforcera de créer un style découpant dans la langue des élément qui rendront nos formules comparables à nulle autre. Jusqu'à ce qu'elle servent un jour de point de comparaison classique évidemment.

Mais, objectera-t-on, qui peut comprendre cette façon inhabituelle de parler, de donner du sens supplémentaire, alors que le poète est le seul à savoir quelles sont ces significations, et à quoi elles correspondent. C'est sur ce point que j'ai parlé d' « harmonie ». Quand dans une oeuvre d'art réside une harmonie puissante, elle rebute d'abord la plupart des gens parce qu'on ne comprend pas. On est confronté à quelque choses d'étranger. Par exemple à l'expression d'une manière d'être « triste » que l'on n'a jamais ressentie soi-même. Déroutante confrontation ! Mais cet obstacle qui semble produire de l'incommunication peut être surmonté, et c'est là qu'intervient l'harmonie.

Pour comprendre son rôle, et le processus qui se passe, il faut en retourner au temps de notre naissance, des quelques mois qui la précèdent et des quelques années qui la suivront. On découvre alors ceci, en premier lieu : à partir du septième mois avant la naissance, le futur enfant entend déjà, enregistre des sons, particulièrement les paroles de sa mère, et des gens à qui elle parle, plus ou moins déformées par la paroi abdominale. La langue est maternelle, quand elle l'est, au sens propre. Mais il faut savoir aussi que l'enfant reçoit les produits chimiques déversés dans le sang de sa mère, l'alcool, la nicotine, et surtout les hormones.

Il s'ensuit que le foetus commence à associer. Il associe tel ton de la voix, telles paroles, aux hormones de plaisir, tel autre ton à celles de la colère, de la peur, etc. Si bien qu'il naît en plein mystère, avec un capital pas très clairement défini, mais qui est en quelque sorte un bout de l'écheveau qui lui permettra de déchiffrer l'univers où il entre, et de s'en faire un « monde ».

Quelle mère n'a pas expérimenté cette situation : elle emmène son bébé de quelques mois, dans sa poussette, et croise une voisine pleine de bonnes intentions qui se penche sur le bébé et commence à vouloir lui communiquer tout le bien qu'elle pense de lui. Et brusquement le bébé éclate en sanglots, sous les yeux de la voisine confuse et éberluée. C'est que, même si les paroles étaient tout à fait aimable, quelque chose dans le ton de la voisine a été interprété par le bébé comme signe de menace, ou de colère.

Il s'ensuit que toute notre enfance, du point de vue du langage, est un perfectionnement, une mise au point progressive, du système d'entente avec les autres dont l'enfant sait inconsciemment qu'il a besoin. Et son inconscient travaille alors intensément dans cette période, à évaluer ce qu'il comprend : il se construit une « grammaire », recoupe constamment les informations multiples qu'il reçoit, notamment par la parole qui nous concerne ici, dégage des règles qu'il s'efforce en permanence de vérifier. Il apprend sans le savoir, avec plus ou moins de réussite, un système cohérent et logique. A force de fréquenter ce système, il finit par le maîtriser assez efficacement pour que sa vie en soit améliorée.

Ce système cohérent et logique, spécifique de chaque langue maternelle, lui transmet du même coup le « style collectif », l'analyse du monde inhérente à l'histoire et à la psychologie du peuple qui parle cette langue.

C'est ce système qui constitue l'harmonie. C'est lui qu'il faut intuitivement, inconsciemment, apprendre lorsqu'on est confronté au poème ou à l'oeuvre d'art en général. Il en découle que confronté à une oeuvre nouvelle, on ne parvient que rarement à lui donner un sens. J'ai des amis qui trouvaient sans intérêt l'oeuvre de Mondrian, jusqu'au jour où il sont allés voir une rétrospective assez complète de ce peintre au Musée du Jeu de Paume : après être passés de tableaux en tableaux, les règles harmonique de l'oeuvre de Mondrian se sont construites dans leur esprit comme Mondrian se les était construites lui-même au cours de sa vie, de telle façon que parvenus aux tableaux de la fin, ils ont perdu toute hostilité face à ce qu'ils appelaient jusqu'alors des « toiles cirées ».

De même, pour d'autres amis à propos de la musique de Bartok, ou de Mahler, qu'ils considéraient au départ comme inaudible, ou d'autres encore à propos de poètes contemporains. Le pas au-delà de l'incommunicable était franchi. L'accès à la subjectivité d'un autre humain avait commencé de s'ouvrir. Par l'oeuvre d'art, et en premier lieu par l'art de la parole, source fondamentale du sens, l'homme est donc parvenu à « objectiver le subjectif », comme disait Joë Bousquet, ce géant de la poésie : à rendre accessible potentiellement à tous ce qui était du domaine emprisonnant de la subjectivité personnelle. Par tel poème, mettons « Clair de Lune » que j'ai cité par le passé, Verlaine est parvenu à nous transmettre la teneur précise et subtile de sa mélancolie.

Rimbaud, sa colère adolescente ou ses émerveillements.

Depuis le langage stylisé, poétisant, depuis l'art des cavernes, depuis le temps de la première flûte de Pan, s'il le veut un être humain n'est plus obligé de rester incarcéré seul en lui-même...




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12 novembre 2008 3 12 /11 /novembre /2008 22:08



                           Les amants de Paris



La Ville autour de nous déployait son printemps.

Les arbres des jardins infusaient dans l'eau verte

des bassins, et comme eux la lumière était verte

dans tes yeux que j'aimais sonder, le coeur battant.



C'était comme un vertige de fenêtre ouverte

au cinquantième étage. Ou d'oiseau hésitant

avant son premier vol : il a peur et pourtant

il pressent que l'élan qui l'entraîne à sa perte



est le même qui peut l'emporter vers les cieux !

Je me suis donc jeté dans la verte lumière

de l'amour qui brillait tout au fond de tes yeux,



violent abîme où m'attendait ma vie entière !

Puis je t'ai embrassée, et puis tu m'as souri.

Le printemps, ce fut nous, dans le coeur de Paris.

 

 


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11 novembre 2008 2 11 /11 /novembre /2008 11:37



                                     L'un en deux

                                                                                                        Pour A.

Le jours s'enfuient avec leurs soleils défleuris

comme des chrysanthèmes sur les tombes de l'été.



Ici, le jour de ton baiser. Ici, la mort de ma mère.

Là, le retour d'un ami qu'on avait cru perdu.



Ici à gauche du cyprès, cette pierre blanche

avec au-dessus d'elle une auréole bleu turquoise



proche et lointain comme le paradis, c'est l'endroit

où sommeille à jamais notre Premier Regard :



intact, androgyne, d'une jeunesse inaltérable,

tel un Antinoüs dans sa châsse de cristal.



C'est de lui que toute chose quotidienne tire

son azur. Que fuient les jours et les semaines,



qu'ici ou là défleurissent les Chrysanthèmes

lorsque novembre embrume et glace les fenêtres,



n'en ayons point souci ; ni des années passées

ni des amours anciennes,

                                                                                        dont un poète a dit



que jamais elles ne reviennent ! Sous la pierre

transparente, il irradie, androgyne, éternel,



avec nos deux mémoires pour unique sanctuaire,

notre Premier Regard, avec son bleu couleur de ciel !





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9 novembre 2008 7 09 /11 /novembre /2008 14:23

                                   L'inconnue



Ce qui la fascinait, c'était la musique bizarre

que dans sa tête murmuraient les usines

désaffectées, rouillant parmi les friches

industrielles, avec leurs machines énigmatiques,

engrenages et dents gigantesques, pontons

roulants sur des rails suspendus là-haut, parmi

les câbles et poulies inertes, les rambardes,

les palans abandonnés dans un rai de soleil

qui tombe, roide comme un coup d'épée,

des verrières à demi-crevées. « Il y en a

beaucoup autour de Gênes. J'y passerais

volontiers des heures. Ce sont les Karnak

du siècle passé. Mais elles sont bien plus

fragiles que les temples de l'Antiquité ! »

Le regard fixé par dessus mon épaule,

elle parlait dans le vide, d'un ton un peu

rauque et comme transfiguré de nostalgie.

Son visage s'animait, ses joues se teintaient

d'un rose charmant, tandis qu'elle évoquait

la beauté des mécanismes, des roues cuivrées,

des leviers splendides, des chaudières peintes

d'inscriptions noires et de glyphes mystérieux

dont le rouge était tout assombri de crasse :

« De tout cela émane une beauté que jamais

n'atteindront les maigres gadgets électroniques

de notre temps... Une beauté grandiose ! » Moi,

qui ne m'intéressais guère à son goût pour les

ruines du temps de l'Industrie-Reine, je regardais

bouger ses lèvres. Je m'enchantais du timbre

souple de sa voix. Et je voulais devenir son amant.





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8 novembre 2008 6 08 /11 /novembre /2008 14:17



Sanctuaire du soleil



Anges et nuages de pierre

Là-bas tendrement s'agrandit la mer

qui recule quand je m'approche

son dos fin au pelage pers


L'aurore est pure comme si elle n'avait encore

jamais existé dans le regard des hommes

Ni tendu ses éperviers dorés dans les défilés et les passes

où s'abattent fourbus les astres migrateurs

parmi les vignes d'ambre et de rosée


Trous et guenilles d'araignées

Le vigneron mesure entre les rangs la pourriture noble

lève les yeux de temps en temps


Aux crêtes dans un halo ébloui l'infini

varappe à la paroi des glaciers inquiets


La neige avance sur la neige sans laisser d'empreintes


Sur les cailloux blancs les torrents prennent congé

de leur reflet inlassablement

à l'heure où l'Invisible impétueux

rue sous l'éperon de l'Inaltérable

comme un enfant persécuté par un oiseau radieux.


Aïlenn assise sur la plage compte les galets

pour retrouver celui qui manque

tandis que le phénix renaît dans le nid de sa chevelure

au point d'en oublier le parfum de la mer.



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8 novembre 2008 6 08 /11 /novembre /2008 14:15

 

                        Transfiguration



Pétrifié au fond d'une incommensurable nuit

le malade, en écoutant le vent qui passe,

le vent qui froisse, rêve de course et de danse...

Et même s'il n'est plus d'espoir, il espère

envers et contre tout : les miracles, fussent-ils

misérables, ça c'est déjà vu – au coeur de l'infini

turbulent ! Parfois le papillon qui tourne autour



du phare éblouissant qu'est une simple lampe

survit. Chose étrange, ce sursis indéfini :

toute une perspective à revoir, toute une vie,

toute une ville à revoir... La compagnie du vent

qui nous reprend ; son immensité respirable,

la dictée de sa mélopée lointaine, avec écho

d'encens et relents de plain-chant. Ainsi



l'Axion esti du poème qui s'élance prodigieux

comme une nef de cathédrale ! Et du haut

des flèches chantournées, le maître maçon

dans les airs échafaudé contemple l'étoile

de la cité, avec orgueil et incrédulité : d'une telle

altitude, l'architecte serait donc l'Homme ?

Ce serait l'une d'entre ces fourmis bipèdes,



arpentant l'abîme, et dont au couchant l'ombre

s'allonge démesurément à travers la place dallée ?

Ou cette autre, quelconque, qui va ou vient

d'un pas fébrile, à contre-courant de tous,

sans que l'on sache vers où, ni pourquoi ? Seul

le langage, porte ouverte vers l'Ailleurs à l'instar

du torii d'un temple japonais, seul le langage



sait entrevoir quelque chose de l'avenir !

Par la fente de l'horizon, entre terre et ciel,

chaque vers témoigne en secret d'un plus pur

azur ; il est ce regard trop curieux d'enfant

qui lorgne des facettes de la beauté lumineuse

entrevue par un trou de serrure, et tremble

de désir pour cette nudité de diamant solitaire...



Il est cette voix de l'aimée qui, prononçant

une phrase anodine, a pris le ton de qui consent,

et soudain notre coeur guéri s'élance, flamboyant

comme une fusée, vers les étoiles. Et le malade

en écoutant le vent qui passe, le vent qui froisse,

se sent brusquement délesté de sa langueur

mortelle. De la fenêtre un azur inconnu descend



rafraîchi par l'agitation d'innombrables ailes d'anges

transparents, qui s'affairent au rapt d'une âme

prisonnière de son corps inerte et souffrant, afin

de l'emporter d'un coup au-delà du septième ciel !

De là-haut, tel ce maître maçon qui contemple

le maillage étoilé de la cité terrestre, l'artisan

du poème avale une exquise goulée de liberté

puis replonge parmi les ombres quotidiennes.


 

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