Au trou !
Parfois tu te réfugies dans un trou
de mémoire au fond duquel
tu hibernes longtemps comme
un serpent... Chaque aube avec
ses corneilles énormes, à la pointe
du tremble, sur fond de nuées roses
qui bientôt foisonneront dorées,
chaque aube te rapproche un peu
de l'Inconnu. Bizarre sentiment.
Toute une vie passée à construire et
quand on a fini, ou du moins à demi
achevé notre château en Espagne,
pouf ! plus rien à faire qu'attendre
comme un enfant au bord de la plage
la grande vague qui, c'est sûr, viendra.
Rien à faire qu'attendre de mourir
au-milieu des amis qui, l'un après
l'autre agonisent, chacun s'attendant
à être le prochain qui sera biffé sur
la Liste.
Et l'on vient vous parler
comme à des enfants attardés
de "Foi" et "d'amour de Dieu"
et autres douteuses fictions, pour
ne pas dire balivernes, alors que la
réalité atteste que, si dieu il y a,
il nous a organisé un enfer, ici même,
un enfer d'un raffinement inouï, avec
le massacre des Innocents qui dure
depuis la nuit des temps, avec les tortures
naturelles de la faim, de la maladie,
de la misère, et les tortures rajoutées
par la cruauté jouisseuse des humains,
ceux qui croient que torturer les autres
peut atténuer ou soulager cette souffrance
qu'eux-mêmes endurent, affreusement,
depuis leur naissance... Un enfer
d'un raffinement inouï, après lequel
- rien ! Et pour les esprits crédules,
avant ce rien, le doute, qui est un degré
supplémentaire de subtilité en matière
de torture : si pervers, si sadique, si
déshonorant qu'il vaudrait mieux,
ma foi, que le Grand Tortionnaire
qui se repaîtrait de la douleur du Vivant
depuis la nuit des temps,
n'existât pas !