Printemps 2050
Ouvrant mes volets... La rue, le jardin ; ciel
laiteux et soleil voilé de mélancolie. Silence.
De rares oiseaux. Muets. Plus de bruit, ni de
motos, ni d'automobiles : la dernière du genre,
quasi-neuve, celle d'un riche personnage,
j'imagine, a dû être abandonnée quelque part
en rase campagne, lors de sa dernière panne
sèche. Les stations rouillent lentement au bord
du bitume, avec leurs pompes inutiles, figées
dans un éternel garde-à-vous. Ici et là brillent
les vitres d'autres véhicules à l'abandon.
Ils servent désormais de jouets aux enfants,
surtout lorsque leur radio fonctionne encore.
Les sièges sont maculés de traces de pieds
et de taches d'origine indéfinissable. Certaines
servent de refuge aux vagabonds, sans-abris
qui sont, hélas, de plus en plus nombreux
depuis la fin de l'ère industrielle. Les avions,
même militaires, sont aujourd'hui rares : une
traînée blanche à travers le ciel est un sujet
de curiosité. Personne ne fait plus de grands
voyages, car le rayon d'action des véhicules
électriques ne le permet guère. L'énergie et
l'eau sont devenues à ce point coûteuses
et rationnées que partout l'humanité
se replie sur elle-même. Pour les activités
indispensables : ballons dirigeables et navires
atomiques. Le commerce est au ralenti et
chacun a dû apprendre à réparer indéfiniment
les objets de tous les jours. Fini le temps
où l'on changeait de téléviseur, de lave-linge,
de réfrigérateur, et ainsi de suite, pour le seul
plaisir de posséder nouveau et plus moderne.
Le seul mot de «consommation» résonne
aujourd'hui comme une grossièreté. Chacun
n'a d'estime que pour ce qui est fait pour
durer. J'ai conservé pourtant, dans un tiroir
de mon bureau fermé à clef, quelques anciens
catalogues d'agences de voyages des années
2010, bien à l'abri de la lumière. Parfois,
je les regarde, en souvenir de ma jeunesse.
Je rêve devant les photos de l'Amazonie
et d'autres paysages jadis couverts de forêts,
aujourd'hui semi-désertiques : des photos
de l'Âge d'or, de l'irréel Age de l'Or Noir.