A force de méditer sur l'injustice
non seulement celle des hommes
qui est patente, mais surtout celle
de la «nature» qui, pour autant
qu'un humain en puisse juger,
semble au fondement de tout l'univers,
tu finis par te demander si ce n'est pas
la vision de la Justice par l'esprit
des humains qui est une folie...
La justice que chacun réclame
en se prétendant victime n'est jamais
que justice-pour-soi et en fonction d'un songe :
quand j'entends mon voisin, plein d'amertume,
gémir sur le prix du gazole sans cesse
en augmentation ; sur le prix des automobiles,
sur le pris des fruits, légumes, steacks, poissons ;
sur le fait qu'il n'a «plus les moyens de s'en aller
passer des vacances en croisière à l'autre bout
du monde», je demeure pensif : mon voisin se dit
«socialiste», «très à gauche», ajoute-t-il. Or,
il déclare au détour de la même conversation
qu'on «n'a pas réussi dans la vie si l'on
ne roule pas en BMW»; et qu'il est «indécent
que des inconnus aient squatté l'appartement
qu'il possède dans le 6 ème, avant qu'il ait
trouvé un nouveau locataire...» (L'ancien,
devenu subitement chômeur, avait laissé
six mois de loyer impayés
en guise de cadeau d'adieu !)
Des préoccupations qui sembleraient
probablement d'un luxe surréaliste à la majorité
des pauvres gens qui sur la terre, à grand'peine
et dans un dénûment inimaginable, essaient,
tant bien que mal, de survivre, ne sachant même pas
qu'ils sont les trois quarts de l'humanité.
Il ajoute «qu'être de gauche et riche n'est pas
nécessairement contradictoire, et que c'est même,
pour tous, souhaitable».
Puis le monsieur s'interroge
sur les moyens «humains» de déloger les intrus sans devoir
faire appel à la force publique – une décision qui serait
désastreuse pour son image, et surtout, dit-il, «gravement
contraire à sa conscience.» Je l'ai quitté sous le premier
prétexte venu. Les discours de certains, l'âge venant,
me sont devenus tout simplement insupportables.