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7 juillet 2008 1 07 /07 /juillet /2008 11:55



Pferd


(à Herr Graf und Herr Lehmeier...)


Ô grand cheval à tête étroite et longue,

avec ces yeux profonds et ces naseaux

que j'entendais souffler, insistants, près de mon oreille,

quand tu posais sur mon épaule, en renâclant, ton mufle gris,

si doux à caresser, et lourd - de peur que je t'oublie...


En ce temps-là, tu étais bien le seul à rechercher

mon amitié d'enfant malade et pâle et toujours angoissé.

Ta haute et solide présence avait comme le don de ranimer

en moi un vague espoir d'éternité : j'étais à cet âge incertain

qui a vu Alexandre, il y a bien longtemps, chérir son Bucéphale.


Te souviens-tu, ô Pferd, de nos fugues à deux, à travers

les forêts de Bavière : en allemand, il fallait te parler !

Tu n'entendais ni "hue" ni "dia" ni "hooo !" mais un langage

fait de "bizzz" et de "berrr" et de "brrri" intranscriptible

ici. Or, tous les deux nous avancions sous les hautes futaies,


fouettés de temps en temps par quelques branches basses ;

l'air était silencieux, hormis les menus cris d'oiseaux et,

sous les feuilles sèches, des craquements de bois morts

piétinés par tes forts sabots. Et quand il avait plu,

un coup de vent parfois vidait les feuillages du ciel


comme des seaux sur notre tête : oh, j'en riais et toi, cheval,

tu secouais en hennissant haut ta crinière... A l'aube pourpre,

en secret nous partions, quand se doraient au loin les crêtes

du Tyrol, avant la cime des grands arbres. On croisait parfois,

en chemin, des chasseurs avec leur plume de faisan glissée


dans leur chapeau de feutre vert. La forêt, c'était le mystère.

Elle cachait les ruines de châteaux que j'explorais sans heaume

ni armure, sinon en rêve, ô belle au bois dormant ! Souvent nos

pérégrinations nous entraînaient jusqu'au couchant, rouge

et glorieux parmi les brumes. Embusqués au long des haies noires


grimaçaient des fantômes aux masques d'argent... A travers le soir,

sagement tu me ramenais, cheveux au vent, hirsute,

                                                                        endormi sur ma selle,

les deux mains au pommeau,

                                     clopin-clopant vers la ferme au grand toit et

fenêtres illuminées. Mon père ouvrait la porte et criait : "Les voilà !"

Ma mère, même inquiète, n'osait piper mot et moi, les yeux troublés


par le sommeil, je la voyais qui, en reconnaissance, donnait un sucre

à mon fidèle destrier et le flattait au cou tandis que le commis

l'emmenait par la bride, à bouchonner, vers l'écurie. Pferd est mort

longtemps après, très vieux, un jour d'hiver. Je n'étais pas en Allemagne.

Mais depuis j'entends ses sabots, quand je marche dans la campagne.





                                PORTS


Si les jours sans lumière oblitèrent ta vie

pense à ces ports qui ont la couleur de nos rêves :

le bleu des mers, le vert des palmes, l'or des corps...


Dans les bassins la queue du paon à l'aube...


L'essence qui s'irise autour de ces purs-sangs que sont

les bateaux blancs piaffant de l'imminence d'un départ

indéfiniment différé... Pense à ces ports mentaux

qui sont les seuils de tout voyage et de toute vision :

Celle des roses du Pendjab hier effeuillées sur la tombe.

Celle des neiges du Pamir, vagues immaculées

d'une mer pétrifiée à l'instant de prendre d'assaut

l'azur presque noir au fond des sept lacs verts,

qui sont huit, dix ou mille : Kouli-kalon, Allaoutdin, Gitara,

Moutnoye, Tchoukark, Ziarat, Yashil-Koul, Kara-koul...


Celle de ce cerf de la forêt Katsugayama rougie par un matin

d'automne que les brumes sur Nara font ressembler

aux estampes d'Hiroshigué :

                                                                                le pèlerin

qui marchait sur la route, un moment

sur son bâton s'appesantit pour contempler

un étrange rocher qui a roulé en travers

du chemin ; médite sur ce signe qui vient

certainement des dieux... Un autre marcheur

le rejoint puis un troisième. Ensemble,

ils sont repartis baignés par la lumière du matin

qui les accompagne ainsi qu'une rivière

par monts et par vaux jusqu'aux sables d'Odawara.


Moi j'y pense, à ces ports qui ont la couleur

de nos rêves : les quais polis par les déferlantes,

l'horizon inassouvi, son appel de flûtes lointaines

dont l'écho ressemble à s'y méprendre

au fameux chant des sirènes, mêlant

désir et nostalgie dans l'improbable creuset

qu'on dit «le fond de notre coeur». Ces ports

des bords de terre, Valparaiso, Manaos, Callao,

Vancouver : d'étranges sonos font danser des gens

de toutes les races dans les bastringues à pisco

ou les pubs à whisky ; sanjuanitos, mambos, rumbas,

guitares, charangos, bombos, syrinx incas,

sur des rythmes de jazz, de jungle ou d'altiplano !


Les ports de l'émeraude et du coton, les ports

où les cargos chargés de lourds sacs de guano,

vautrés au lit des vagues jusqu'aux écubiers,

s'en vont laissant comme les escargots

un sillage d'argent en direction du large

où ils disparaîtront.

                                                      Ainsi résistons-nous

quand les jours sans lumière


pareils aux tours de verre immenses

qui font éternelle l'ombre, en bas dans les rues,


                                                                                   oblitèrent nos vies...

 

 

 



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7 juillet 2008 1 07 /07 /juillet /2008 11:48

         L'ORDRE DES CHOSES


Ce n'est pas un enfant qui pousse

la grille chancelante du jardin.

Pourtant l'allée, jonchée de feuilles rousses,

la tonnelle de rosiers, son parfum,

celui des bordures d'anis étoilé

et des massifs de giroflées en fleur,

n'ont pas changé. Et voici même,

à demi-enfoncé sous le gravier,

le bras cassé de la poupée de porcelaine

qu'il y aura bientôt quarante ans, ici

ou là, on avait tant cherché

sans le trouver. C'est alors que les choses

soudain nous étonnent. Dans la vitre

de la porte-fenêtre qui, de plain-pied

donne sur le jardin, le visage qui

approche et se reflète n'est pas

à la hauteur de tes souvenirs :

au minois d'angelot tout auréolé

de ses bouclettes blondes s'est

substitué la face ridée d'un vieillard.

Troublant constat que rien, là-bas,

dans l'ancienne maison où tu reviens

si tard, n'a modifié l'ordre des choses,

excepté ta propre image solitaire.

 

 


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7 juillet 2008 1 07 /07 /juillet /2008 11:33


             Eclats de rire


Poussant un landau, elle arriva

devant l'école : un garçonnet

la tenait par la main gauche. Il

se détacha et courut rejoindre

des camarades qui, groupés

devant la grande porte, le hélaient.

Elle attendit que la sonnerie

électrique ait retenti et que tous

soient entrés. Le conciliabule

des parents se désagrégea.

Ils se dispersèrent et, dans la rue

vide, elle repartit la dernière

avec son landau d'où la scrutaient

les deux yeux noirs et graves

d'un bébé de quelques mois. Et,

pensant que nul autre ne la voyait,

elle se mit à danser sur le trottoir,

à gambader sans lâcher la poignée :

et elle faisait des grimaces folles,

et le bébé imperturbable l'observait.

Je les ai suivis jusqu'au moment

où j'entendis un double éclat de rire

argentin qui fit résonner la rue.

Alors j'ai fait demi-tour et je suis

rentré chez moi, d'un pas léger,

si léger que durant tout le reste

de la journée, il arriva que je me

sentis d'environ quarante ans

                    plus jeune.

 




                                   Elégie



...Et puis il y a cette interrogation

sur les chaumes d'hiver et le miroir de la rivière

voilé par l'ombre d'une plaine que le jour

n'a pas encore tirée au clair !


Au dessus des cyprès qui opinent du chef

pirogues blanches dans le ciel bleu sombre

quelques cirrhus adroitement louvoient

entre les dernières étoiles...


Une faible lueur émane des dalles rectangulaires.


Entre les remous de Charybde et les écumes de Scylla

mes interrogations aussi louvoient

                                                                et mes songes :

esquifs de vapeurs, récifs scintillants,

                                                                    là-haut.

Ici-bas,

                        la terre et les pierres.


Granit, cyprès, astres, nuages,

fidèles infidèles confrontés chaque matin

à la résurrection du vortex éblouissant !

Moi, je louvoie entre les tombes jusqu'à celle de ma mère.

Je prie pour qu'un angle de lumière

la touche la première...


Naguère c'était dans la clarté de la porte-fenêtre

ouverte sur l'aurore que je la retrouvais, ma mère,

assise sur le canapé, en train de dire ses prières.

Le front contre la vitre j'attendais, pensif,

en regardant la rue et les toits des maisons...

Mon esprit louvoyait entre des questions

obsédantes, qu'alors je croyais passagères,

mais qui persistent, qui résistent, dures comme la matière.

Il y a cette interrogation sur d'absurdes détails

du quotidien. La souffrance muette

de ce pigeon gris et blanc que je vois

depuis un an, boîter devant chez moi,

sur sa patte estropiée ; l'éclair impitoyable

dans les yeux de cette femme, sur le trottoir,

qui vient de congédier en quelques mots glacés

son amant abasourdi.

                                                                   Il y a cette interrogation

sur la présence, au secret de la chambre encore endormie,

de cette beauté à qui le sommeil donne l'air innocent,

mi-serein mi-boudeur, d'un visage d'enfant ;

se peut-il que tu l'aies apprivoisée

alors qu'à son réveil une langueur féline

étirera son corps et qu'une lueur verte,

oblique, filtrera entre ses paupières secrètes ?


Cette beauté de tigre dont émanera,

sitôt que ses épaules nues auront aimanté la lumière,

une lascive aura,

                                                     laquelle en nous,

comme les airs du large à l'aube font changer

brusquement de couleur la mer des oliviers

et les oliviers de la mer,

                                                                         rebrousse et fait vibrer

tout un buisson ardent jusqu'en sa fameuse

Racine de Jade !

                                                        Au dessus des cyprès

qui opinent du chef dans le ciel bleu sombre

quelques cirrhus adroitement s'étalent

entre les dernières étoiles...


Une faible lueur émane des dalles du cimetière.

Moi, je louvoie jusqu'à celle où repose ma mère...

Je sais bien qu'il n'y a personne et que c'est

rêve et chimères de penser qu'au clocher d'à côté

pour son âme la cloche de six heures sonne.


Je sais bien qu'ici n'est qu'un lieu, d'où l'on

surplombe un paysage assez ordinaire.

Il y a les toits d'un village où je suis né.

Il y a au loin la ligne de chemin de fer

et les vieux bataillons des vignes qui pour résister

                ont formé le carré.

Il y a, sur les Maures, l'aube dont quelques rayons

allument les crêts...

                                                            Et il y a cette interrogation

sur les chaumes d'hiver et le miroir de la rivière

voilé par l'ombre d'une plaine que le jour

n'a pas encore tirée au clair :


Un simple lieu, en somme, avec le nom d'un être cher

                    gravé dans la pierre

et moi qui - pour quelle obscure raison ? - espère

qu'un angle de soleil la touche la première...


mardi 18 02 – 18 03


 

 


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7 juillet 2008 1 07 /07 /juillet /2008 11:32


                    Soliloques


Vers moi, cet homme arrivait

en discutant. Âgé d'apparence,

hochant la tête et s'opposant,

quelque fois avec véhémence

à ce que lui répondait son interlocuteur

placé à sa droite : voyant qu'il n'y avait

personne, je me suis dit que c'était encore

un de ces parleurs solitaires à téléphone

portable, comme on en voit couramment

de nos jours, arpentant de long

en large les trottoirs et faisant résonner

toute la rue des échos de leur vie intime.


Ce n'était pas cela. Le vieil homme, lui,

parlait à un fantôme, à quelqu'un dont

la présence n'existait pour personne d'autre.


Pris d'une idée saugrenue, je lui ai

emboîté le pas et je me suis glissé

insensiblement à la place du fantôme.

Puis j'ai commencé à donner la réplique

à mon compagnon de hasard, tout à fait

comme si nous étions deux vieux amis

en discussion. Cela fonctionna quelques minutes,

puis soudain l'homme retourna vers moi son visage

aux sourcils broussailleux, me scruta

d'un air mystérieux et me dit brusquement :

« Qu'est-ce que vous faites là, vous ?

Ce n'est pas à vous que je parle !... »


Et il poursuivit, en accélérant le pas

et en maugréant contre ma présence

indiscrète qui le contrariait :

« Vous, disparaissez ! Je ne parle pas

aux gens qui n'existent pas ! »

Abasourdi, je l'ai regardé s'éloigner.


En faisant demi-tour pour rentrer chez moi,

je n'ai pu me retenir de scruter longuement

mon image dans une vitrine, essayant

de combattre l'irrationnelle impression

que j'étais aussi impalpable qu'un personnage

de film, une sorte de fantôme

dans un monde plus réel que moi.

 

 



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7 juillet 2008 1 07 /07 /juillet /2008 11:30

                                                 Sommeil


Longtemps, j'ai redouté le moment de dormir.

Il me semblait que l'on gâchait son temps de vie

à rester allongé, inconscient, assoupi,

quand le monde avançait sans nous vers l'avenir.


A présent que je suis plus proche de la tombe

que jamais, à présent que le temps des « demains »

s'efface et raccourcit comme peau de chagrin,

cela n'est plus descendre au « royaume des ombres »


pour moi, que de tomber « dans les bras de Morphée »!

J'y trouve un paradis, le seul de l'existence.

Les rêves que j'y vis sont des contes de fées.


Là-bas, je suis léger, intelligent et beau :

rien de la pesanteur qui m'incline au tombeau

et m'écrase au réveil ; et rien n'a d'importance !

 

 

 


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7 juillet 2008 1 07 /07 /juillet /2008 11:29



C'étaient des temps troublés où les continents,

tels des vases communicants, déversaient les uns

dans les autres leur trop plein, de gens,

de misères, de richesses, de maladies affreuses,

et tous s'inquiétaient de ce que l'Homme

était allé si loin dans ses ambitions et ses rêves

de puissance qu'il était – comme on dit – en train

« de scier la branche sur laquelle il est assis ».


Les sociétés riches s'appauvrissaient, sans

enrichir véritablement les sociétés pauvres,

mais nul n'imaginait qu'il serait temps de faire

soi-même quelque geste, économies, gaspillages

évités, conscience au travail, modestie dans le train

de vie : la morale et les efforts de raison,

la solidarité et le respect de l'Homme,

c'est pour les autres – pour nous, jamais !


Nous, par définition, nous sommes, pour toujours,

les Désavantagés, les Bons, les Dindons de la farce ;

ceux qui ont moins quand les Autres ont plus.

Que ces Autres entreprennent donc d'être raisonnables,

de remédier aux maux de la Planète : après

on verra !

                                 ...Si l'humanité

existe encore à ce moment-là !


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7 juillet 2008 1 07 /07 /juillet /2008 11:28

                            

Elle vient à petits pas, à petits pas

de loup, la période où l'on se survit,

alors qu'il est déjà trop tard pour que

nous soyons encore nous-même, avec la fraîcheur

et la fièvre des premiers temps :

quand la langue, neuve, chatoyante

de l'écume rythmée de la mer,

se donnait à nous avec des zézaiements,

des chuchotis, des hurlements et des murmures,

pareils à ceux du vent dans les roseaux ;

et c'était si difficile alors, mais si enthousiasmant

de suivre au fil de l'écriture

les caprices de l'ouragan, tout en

s'efforçant d'éviter que la nef du poème

fragile comme un papillon de mai

ne soit, à l'improviste, au défaut d'un instant

de distraction, envoyée par le fond !

La fraîcheur et la fièvre des premiers temps...

Quand on est prompt à la révolte ou à l'amour,

et que les émotions s'inscrivent dans les mots

comme les sursauts imprévus de la Terre

à la pointe d'un sismographe.

Certes, ce temps-là est vite passé, avec

ses maladresses, ses naïvetés, ses erreurs

dont, en se relisant, on rougira plus tard.

L'expérience est venue, accompagnée

d'une lucidité, d'une force de jugement

qui savent contrebalancer la fougue

incontrôlée et les emportements de l'âme.

Et pourtant, relisant les médiocres écrits

de nos jeunes années, ah ! comme ils nous

reviennent aisément, intacts et ravivés,

les moments inspirés de cette époque-là !



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7 juillet 2008 1 07 /07 /juillet /2008 11:21

                Ne sommes-nous pas assez grands...


Nous étions impatients. On nous avait promis

que demain serait bien meilleur qu'aujourd'hui.

Qu'on entendrait, plutôt que la Musique

des Sphères, chanter la Terre des Travailleurs.


Une sorte d'aurore rouge, à l'est,

s'était levée : hélas, nous aurions dû savoir

que le rouge n'est pas la couleur de l'espoir

mais du sang, des tyrannies, et de la répression.

Depuis, nous n'avons plus ce genre d'illusions.

On sait de quelle façon ça finit, les combats

pour la Liberté – toujours la Nôtre, jamais

celle des Autres ; les combats pour la Fraternité, -


à condition bien entendu qu'ils veuillent bien,

ces Autres, se ranger à notre point de vue ;

les combats pour l'Egalité – coupons les têtes

qui dépassent,

                                                (celles des trop doués, pour


commencer) ; et pour les fameux Droits

de l'Homme ! Défendons en leur nom

ces malheureux pédophiles, qui se sont

sentis contraints par une « force irrésistible »


d'assassiner des jeunes filles par dizaines,

avant mêmes qu'elles n'aient eu l'occasion

de vivre leur premier amour. Interrogeons-nous

longuement, méditativement, sur l'idéale


Prévention – qui n'a jamais rien prévenu -

et débattons, sans fin, du petit « pourquoi »

auquel nul criminel ne donne jamais de réponse

alors même qu'on le surprend, les mains


encore ensanglantées, à l'instant où il lâche

hébété, son luisant couteau de boucher :

peut-être eut-il, mettons, « une enfance

malheureuse » ? Ou bien le mal vient-il


de l'insupportable rupture d'avec une épouse

qui ne supportait plus d'être battue, humiliée,

et violée chaque soir lorsqu'il rentrait « bourré »

du bar voisin : et il reste là, hébété, à répéter


« Keskejéfé, keskejéfé ? » Comme s'il s'essayait,

dans une langue étrangère, à bredouiller quelque

formule magique apte à pallier l'Irrémédiable.

Car nous étions impatients et nous pensions


que confier le Pouvoir au Peuple allait civiliser

le Peuple. Que l'instruire, l'éclairer, l'amener

à décider lui-même de son sort et de ses lois

engendrerait la Paix. Que malheur ou pauvreté,


seraient moins difficiles à supporter quand il

n'y aurait plus que malheur et dénuement

sur la planète. En bref : nous fûmes partisans,

et des plus acharnés, de l'Universelle Indulgence,


de la Bienveillance Educative avec les brutes

et les ignorants, ces braves gens irresponsables

d'être eux-mêmes. Oh ! Oui, ce n'était pas

comme pour ces cochons de bourgeois


et d'intellectuels : pour qui se prennent-ils,

ceux-là, à vouloir gouverner l'univers entier

et décider de ce qui serait bon pour tous

à notre place ? Ne sommes-nous pas assez grands,


après tout, pour fabriquer notre malheur nous-mêmes ?








                        DEMOCRATIE


Quelles beautés émotives recèle

la Démocratie ! L'Opinion publique est reine,

les journalistes tirent les rênes

et les foules s'enflamment avec bonheur

dès qu'on leur en offre l'occasion...

Bien entendu, tout cela n'a rien à voir

avec la longue échéance et la

dure réalité !

Cela s'apparenterait

plutôt à une sorte de cinéma collectif

où tout un chacun compenserait

sa frustration de ne pas être « star »

grâce aux plans larges et panoramiques

des Actualités Télévisées : des millions

de têtes, comme du caviar, agitées par une houle

révolutionnaire, au-dessus desquelles vole,

nudité dorée, le Génie de la Bastille. Oh !

La Démocratie devenue Populocratie, élevant

la désinformation et la mauvaise foi

au niveau des Beaux Arts. Oh !

La Démocratie ! Son gouvernement qui mêle,

avec une totale indifférence, les ignares et les

savants, les compétents et les imbéciles,

les bavards écervelés et les penseurs taciturnes !


Et s'il en est qui contredisent au rêve

de l'Egalité Générale,

alors, sans hésiter,

on cloue au pilori les individus que l'injuste

Nature a fait naître plus doués, plus fortunés,

ou plus intelligents que le reste du Peuple.

Certains iraient même volontiers jusqu'à

les aligner au mur, ces ignobles privilégiés,

pour les effacer d'une rafale de Kalachnikov.


(En exceptant, cela va de soi, les sacrés sportifs,

leurs clubs, leur ballons, leurs podiums,

et autres attributs qui font de chacun d'eux

une incarnation hiératique de tous les rêves !!)




                                   Parmi les prés



Naguère encore, en marchant cinq minutes,

on avait quitté le village et l'on se retrouvait

parmi les prés, les arbres, les collines, les nuages.


Ce que pouvait avoir de difficile à vivre

telle ou telle saison se trouvait compensé par les

splendeurs que nous offrait le spectacle de la nature,

fût-ce lorsque froid, neige, glaces et autres dures

giboulées oblitéraient le paysage environnant,

à la façon d'un vieux mur à décor et figures

fantastiques, patiemment conçus par les moisissures

dans le style de Jérôme Bosch, que, d'un pinceau chargé

de lourd blanc de céruse, un peintre maladroit

aurait badigeonnées sans égards pour l'imagination

dont témoignaient ces fresques de l'humidité.


C'était, cela, ou ce sera sous peu

du passé. Le temps qu'il faut désormais

pour sortir des villes immenses !... Bref,

lorsqu'on sort de chez soi, c'est pour trouver

l'environnement hideux des rues, la crasse

et l'agressivité urbaines, les « dérangés »

sur le trottoir, qui marchent en parlant tout seuls,

et ceux qui sans arrêt téléphonent à l'invisible.


Quand un arbre survit au milieu du béton,

étique et squelettique, à l'angle d'un square

oublié, c'est encerclé de grilles et de bancs

où somnole ivre-mort, un vieux clochard

malodorant, dans une odeur d'hydrocarbures

et d'urine suffocante. Les seuls oiseaux

sont les pigeons obscènes, impudents,

qui pour la moindre miette, ainsi que des

ardoises arrachées par le mistral, tombent

des toits. Pour le reste : béton et magasins,

devantures noyées dans l'ombre des façades,

avec un soleil rare entre des nuées grises.

Et des humains partout qui vont et viennent,

l'âme obscure - des humains, des humains,

                                 trop d'humains !

 


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7 juillet 2008 1 07 /07 /juillet /2008 11:16

Il revenait d'une « mission », nous avait annoncé la maîtresse

de maison quinze jours plus tôt, et il serait là, au dîner, en chair

et en os, tout frais débarqué de son avion. Il y aurait aussi, à

ce qu'elle annonçait d'une voix triomphale au téléphone, « deux

ministres, un en exercice, et un du précédent gouvernement » et

cela promettait « une soirée plutôt animée, n'est-ce pas, ma chèère ! »

Il était là en effet. Il avait gagné sa vie, assez largement, il est vrai,

à secourir des miséreux et des affamés, de ces êtres au regard bistre

ou absent, aux mains dérisoirement tendues, aux joues si creuses

que la mort semblait déjà en filigrane sous-tendre leur visage ravagé.

De ces victimes d'une des nombreuses catastrophes du siècle -

guerre, séïsme, tornade, raz-de-marée, inondation ? Je ne sais plus.

Peut-être s'agissait-il du géant tsunami qui a récemment laminé

deux ou trois paradis touristiques, au point que l'Occident entier,

pour une fois, s'en est ému ? - Au fond, peu importe. En tout cas,

il revenait fraîchement de « là-bas », un « là-bas » qu'on chuchotait

avec emphase et respect, pays mythique s'il en est, pour qui se soucie

« d'Humanitaire », comme on dit aujourd'hui à propos de ces

associations qui servent, à coups de dollars, à éponger un peu

la mauvaise conscience des nantis. Bref, ses yeux bleu-acier, son

menton volontaire, sa carrure souple et massive dans des vêtements

quelque peu froissés par les longues heures d'avion, s'accordaient

magnifiquement avec son teint hâlé de jeune « vieux baroudeur »

qui « en a vu – au sens propre – de toutes les couleurs », et qui,

dans ce dîner si chic, si typique du Quartier Latin (côté riche et

éclairé, pas très loin du Cherche-Midi), en racontant ses « guerres »,

soupesait du regard, entre toutes, telle jeune femme déjà captivée,

qu'il emmènerait chez Lipp afin de lui détailler plus avant la liste

de ses exploits, et que, soirée de retour à la civilisation oblige,

après quelques minauderies charmantes, il mettrait dans son lit.

 

 



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7 juillet 2008 1 07 /07 /juillet /2008 11:08


De ceux qui nous parlent en rêve        le plus aimé        s'entend dans le silence des futaies        au milieu des piliers d'écorce pourpre de quelque pinède    juste avant que le chant monastique du mistral commence à provoquer la mer       en soulevant au-dessus de la houle une foule de têtes blanches


Et nos pensées       comme elles aimantées vers l'altitude         par un choeur caché de sirènes aux yeux d'étoiles        se perdent alors au fond du ciel de l'Eternelle Nuit      tels ces engins d'exploration cosmique envoyés par les savants      au coeur de la Voie Lactée


Le plus aimé     s'entend dans le silence      et il n'est que silence         A traces noires s'avançant        avec son fardeau bizarrement inapparent      ainsi qu'un trappeur dans la neige        le dos ployé sous son butin d'hermines


Il sait le nord        Il chemine un nuage aux lèvres       à travers forêts et clairières      croise des silhouettes de chameaux à tête de cheval et ramures de cerf        ou autres animaux fantasques


Il a son but     un refuge isolé      un paradis secret qu'il est seul à connaître

un pauvre paradis façonné à la hache de ses propres mains        une demeure d'inégaux rondins       empilés à la diable      qui n'a de sens que pour lui      et pour les quelques passereaux qui viennent les matins d'été

chanter sur le rebord de sa fenêtre

Le plus aimé s'entend dans le silence      et il n'est que silence      Il ne croit pas aux dieux bruyants qui sillonnent les consciences         ou asphyxient le monde avec leur jeunesse brutale         et l'insolence qu'ils déploient        à dépenser sans compter la fortune qu'une obscure et lente alchimie avait      pour eux

croient-ils      depuis l'aube des temps accumulée


Lui     ne croit à aucune mode que les lis des champs n'auraient pas inspirée

à aucun amour que ne soutiendrait pas une occulte beauté            à aucun chemin qui n'ait été tracé par la douleur ni par le crime rédempté        Sa vision transperce sans efforts tout ce que l'homme s'applique à dissimuler


Il ne croit à rien d'humain qui soit issu de la feinte et de l'apparence          et préfère de loin les moineaux en robe de bure       qu'il voit chaque matin pépier à l'unisson         comme ces petits enfants qui s'extasient devant un  papillon      ou qui battent des mains avec ravissement     devant un pré constellé de reines-marguerites        à chaque fois qu'on les emmène faire un tour dans la nature


C'est ce qui fait dire au poète      qu'on l'entend dans le silence      et qu'il n'est que silence comme la source qui vient du glacier     la plus froide    la plus pure.



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