Le Futur
C'est loin, là-bas, c'est loin, le futur
polychrome. Peut-être dans un univers
parallèle vers lequel les rails du temps
ne bifurqueront jamais : le responsable
- s'il en est un - de l'aiguillage, étant non pas
un dieu hypothétique ou quelque Moire
mais simplement nous-même, l'Humanité.
Oui, peut-être, dans un univers parallèle
ce futur, que j'imagine polychrome
comme un tableau de Carpaccio
ou du moine Fra Angelico, ou encore
une miniature persane, ou l'un de ces
rouleaux chinois démesurés sur lequel
un lettré a cherché à peindre le Pays
des Immortels, ce futur nous attend
depuis si longtemps qu'il paraît endormi
et quasi comateux ! Plus de deux mille
ans que les peuples en rêvent ! A sa façon
chacun le représente, avec ses simples
espérances, avec son quotidien magnifié
dont les journées d'étain seraient trans-
mutées en or ; dont les déserts d'or sec
se couvriraient d'une grasse pelouse
uniformément verte, les dunes seraient
des collines douces, émaillées de crocus,
de coquelicots écarlates et de marguerites
par milliers jusqu'à l'horizon transparent,
bleu comme un vitrage qui donnerait
sous la mer : toutes sorte de poissons
volants roses, indigo, jaune vif, s'y
croiseraient nonchalamment, là-haut,
tandis que sur fond d'étoiles et de galets
diaprés, de somptueux oiseaux d'Amazonie
jacasseraient parmi les algues ou perchés
sur des branches de corail piquetées
de pâquerettes rétractiles. Des courants frais,
odeurs d'amande et de menthe, circuleraient
partout, telles d'invisibles écharpes emportant
dans leurs plis, jusqu'aux clochers de villages
paisibles, l'argentin clapot des vagues
qui viendrait, séduit par les pentes de lavandes
se marier au balancement cuivré des campanes
du soir. Des courants que la moindre rivière,
entre les arbres, voudrait suivre à l'instar
d'un serpent qui tente, à grand renfort
de sinuosités, d'échapper à sa queue !
Bras fermes, des hommes robustes
et des femmes pleines de santé,
vaqueraient aux travaux nécessaires.
Des enfants aux belles dents joueraient
à portée de regard, et quand on les verrait
rire, l'air s'illuminerait d'une musique
de serpentins étincelants qui s'en iraient
dans l'infini rejoindre le soleil...