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18 septembre 2008 4 18 /09 /septembre /2008 17:20

         Adieu, passé...

Tout hiver connaît sa débâcle

Lorsque l'heure en est revenue.

On dit que «la vie continue»,

Qu'il faut «assurer le spectacle».



Que pour l'âme déserte et nue

et qui ne croit plus aux miracles,

le deuil ne soit plus tabernacle

mais que la peine s'atténue !



Les jours, les ans et la routine,

qu'ils nous distillent leur morphine !

Adieu donc, passé révolu !



Pourtant, malgré le temps qui passe,

Les souvenirs restent vivaces

Même si l'on n'en souffre plus...

 


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18 septembre 2008 4 18 /09 /septembre /2008 10:27

              L'espérance



Cela qui nous appelle en rêve

alors que le jour n'est pas encore

levé ; cela qui nous déploie un ciel

un paysage vallonné de roses

avec collines couronnées de brume

d'où émergent, en lévitation,

de grands monts cabossés

croisant à l'horizon, translucides

et bleus comme une escadre

de vaisseaux de guerre ; cela



depuis que les hommes en ont

la nostalgie mériterait un peu

de considération de la part des

tenants de la «pensée» : le rêve

est lumière de la lumière, le seul

moyen de convoquer les choses

sous l'angle que nous ignorons.

Il irradie de leur face cachée

tel un soleil qui nous a éblouis

pour demeurer inconnaissable.



Cela qui nous appelle au rêve

et dont le poème à peine sait

parfois balbutier quelques faux

ou vrai noms, Printemps, Eros,

Enthousiasme, Amour, Désir,

qu'est-ce d'autre, tout bien pesé,

qu'au prix de deuils et de douleurs

notre espérance rédimée ?



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18 septembre 2008 4 18 /09 /septembre /2008 10:24



               Après l'orage



Dans le jardin silencieux

Quelques gouttes tombaient encore

Des pins, bouleaux et sycomores,

Figés à contre-jour des cieux.



Tel Argus ouvrant ses mille yeux

Tout le jardin attendait Flore :

Rosiers, jasmins, comme à l'aurore,

Mêlaient leurs parfums merveilleux...



A la faveur d'une éclaircie,

Un grand soleil de comédie

Comme un rai tombe d'un vitrail



Nappa d'un cercle de lumière

La chevelure blonde et fière

D'Aïlenn franchissant le portail.



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13 septembre 2008 6 13 /09 /septembre /2008 10:54

                      Méditerranée



                                                                          Pour Aïlenn

Autour des îlots,

de ces plages qui sont l'anneau blanc du désir

par quel secret à ce repère d'un grand pin



où se sont pris quelques brins

de la blonde chevelure du soleil

après la poursuite joyeuse, nos corps

nus, nos peaux rechargées en lumière,

retrouvent-ils la force insolente

d'une foudre nouvelle ? C'est d'abord

l'essoufflement, assis côte à côte,

à scruter au-delà de l'infini des vagues



une violette aura d'ozone que parfois

traverse l'aile blanche d'un yacht de plaisance...



Puis un frémissant murmure, chargé d'imminence,

froisse à hauteur d'air bleu et du roucoulements

obsessionnel des fines colombes d'Egypte,

le parasol du pin : nous comprenons alors



que l'orage merveilleux commence sur nos têtes

à s'accumuler et que l'éclair qui fondra en une obole

unique l'or de nos corps tirés de l'ancienne argile



aura frappé, ma belle, avant que nos bouches

n'aient eu le temps de se dire : je t'aime.



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10 septembre 2008 3 10 /09 /septembre /2008 12:58

...Et voici qu'à nouveau, les ailes étendues,

s'ouvrit le grand livre des champs

avec lavandes marguerites et scabieuses



La vigne en rangs serrés aux pentes des collines

défila Les montagnes aux épaules bleues

elles aussi, attendaient qu'on les passe en revue



D'un chemin haut légère et court-vêtue

Aïlenn aux yeux tantôt bleus et tantôt gris-vert

descendit précédée d'une brise embaumée



en souriant Son bras levé, gracile, à contre-jour

des cieux, agitait un bonjour joyeux et blanc

comme un mouchoir d'adieu lors d'un nouveau



départ ! Je la redécouvrais intacte avec ce clair regard

qui semble apercevoir plus loin que moi

dans l'avenir briller une cascade ensoleillée



- Amamaterasu avec sa couronne diaprée

les mots d'une prière et le chant d'une flûte

entre les pins du très vieux monastère -



A moins que ce ne soit dans ses prunelles pures

un reflet de fenêtre ouverte sur le monde

qui luit en permanence et dont le tremblement



recèle noire et fraîche la source de la lumière...

 




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7 septembre 2008 7 07 /09 /septembre /2008 19:27

                       Le Futur


C'est loin, là-bas, c'est loin, le futur

polychrome. Peut-être dans un univers

parallèle vers lequel les rails du temps

ne bifurqueront jamais : le responsable

- s'il en est un - de l'aiguillage, étant non pas

un dieu hypothétique ou quelque Moire

mais simplement nous-même, l'Humanité.


Oui, peut-être, dans un univers parallèle

ce futur, que j'imagine polychrome

comme un tableau de Carpaccio

ou du moine Fra Angelico, ou encore

une miniature persane, ou l'un de ces

rouleaux chinois démesurés sur lequel

un lettré a cherché à peindre le Pays

des Immortels, ce futur nous attend

depuis si longtemps qu'il paraît endormi

et quasi comateux ! Plus de deux mille

ans que les peuples en rêvent ! A sa façon

chacun le représente, avec ses simples

espérances, avec son quotidien magnifié

dont les journées d'étain seraient trans-

mutées en or ; dont les déserts d'or sec

se couvriraient d'une grasse pelouse

uniformément verte, les dunes seraient

des collines douces, émaillées de crocus,

de coquelicots écarlates et de marguerites

par milliers jusqu'à l'horizon transparent,

bleu comme un vitrage qui donnerait

sous la mer : toutes sorte de poissons

volants roses, indigo, jaune vif, s'y

croiseraient nonchalamment, là-haut,

tandis que sur fond d'étoiles et de galets

diaprés, de somptueux oiseaux d'Amazonie

jacasseraient parmi les algues ou perchés

sur des branches de corail piquetées

de pâquerettes rétractiles. Des courants frais,

odeurs d'amande et de menthe, circuleraient

partout, telles d'invisibles écharpes emportant

dans leurs plis, jusqu'aux clochers de villages

paisibles, l'argentin clapot des vagues

qui viendrait, séduit par les pentes de lavandes

se marier au balancement cuivré des campanes

du soir. Des courants que la moindre rivière,

entre les arbres, voudrait suivre à l'instar

d'un serpent qui tente, à grand renfort

de sinuosités, d'échapper à sa queue !


Bras fermes, des hommes robustes

et des femmes pleines de santé,

vaqueraient aux travaux nécessaires.

Des enfants aux belles dents joueraient

à portée de regard, et quand on les verrait

rire, l'air s'illuminerait d'une musique

de serpentins étincelants qui s'en iraient

dans l'infini rejoindre le soleil...



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3 septembre 2008 3 03 /09 /septembre /2008 17:18

La fonction métonymique

   


D'une certaine manière, dans l'invisible maillage du langage, les mots, les idées, les phrases qui sont le support de ces idées, fonctionnent comme des centres, des noeuds, chacun rayonnant de mille façons vers tous, vers toutes, les autres, ce qui n'est pas sans faire songer à la structure biologique du cerveau humain. Si bien que le « détail » s'inscrit toujours sur fond de langage entier, de « monde » entier. Chaque détail recèle un appel secret vers la généralité. Et c'est particulièrement évident lorsque le détail est lié à un ensemble qui ne serait pas fonctionnel sans lui. Lorsque Corneille, dans un vers du Cid, parle de « trente voiles », on comprend bien que ces voiles ne vont pas sur la mer sans bateaux au-dessous d'elles. A l'époque, la voile étant le seul moteur d'un bateau, désigner le bateau par sa voile, un tout par sa partie indispensable, était une façon naturelle d'en varier la désignation. Ce procédé de variation, destiné à dire (figure de style), à « donner à voir », le réel sous un aspect inhabituel afin d'en rafraîchir et ressourcer la vision, est au fondement de la poétisation, qui pour résumer, suggérer, surprendre, embellir, a garde de n'employer les mots « sans quelque méprise » comme disait Verlaine dans son Art Poétique. Ainsi a-ton fini par dire « boire un verre d'eau », alors qu'on ne boit pas le verre lui-même mais seulement son contenu d'eau, etc...

La « méprise » dans le langage poétique, déroute l'esprit chagrin qui n'aime pas voir dire la réalité autrement que selon le tissu des expressions convenues, apprises, reçues, habituelles. Pourtant elle est au fondement de tout bonheur d'expression et de tout enrichissement de l'expression, du fait qu'elle est suggestion, c'est à dire du fait qu'elle entre dans le jeu de désigner une réalité par l'une de ses composantes inhabituelles, laquelle suppose qu'on soit capable à partir de cette composante d'apercevoir cela qui est désigné sans être dit.

La méprise est donc la base de toute figure du langage : on fait disparaître un mot qui devrait être évidemment présent (ellipse), on désigne un tout par sa partie (synecdoque), un contenu par son contenant (métonymie), une chose par une autre qui la représente (symbole, allégorie), on fait semblant de se tromper par une comparaison qui n'est pas raison, on contracte la comparaison pour un nouvel objet de langage (métaphore), et ainsi de suite. Quand Baudelaire dit : « Le soleil s'est noyé dans son sang qui se fige », personne ne pense que le sang est du vrai sang, qui se figerait vraiment. Ni que le soleil se « noie » réellement. Non, chacun comprend bien qu'il s'agit de décrire de façon condensée les sombres rougeurs des brumes au moment où le soleil couchant paraît s'y enfoncer.

A bien y réfléchir, l'on s'aperçoit ainsi que le langage le plus courant fait constamment appel à ces procédés, auxquels, lorsqu'ils sont devenus des expressions banales, on ne fait plus attention. Qui pense que si je dis « untel me casse les pieds » (façon de dire qui remonte au temps des notables à longues poulaines que les quémandeurs, à trop les serrer de près, risquaient d'écraser), il faut voir quelqu'un avec un marteau en train de me briser les métatarses ? Un étranger à la rigueur, qui voit encore une surprise, une méprise poétique, là où nous ne voyons plus rien.

La méprise poétique, plus ou moins dense, plus ou moins riche ou fréquente selon les auteurs, devient un lieu commun lorsqu'elle est adoptée comme expression par tous. Lorsqu'elle est neuve, en revanche, elle est une marque de singularité qui attend l'effort de compréhension et l'acquiescement du reste de la communauté. Et c'est dans cet effort de compréhension réussi que repose une part de la jouissance à décrypter le langage poétique et la vision du monde nouvelle qu'il propose, c'est sur cet effort que repose l'effet de suggestion, autrement dit le rêve. C'est aussi par cet effort que notre connaissance du réel s'agrandit, par la méprise analogique en particulier. Si certain poète grec n'avait pas rêvé sur de la poudre de chaux durcie après mélange avec de l'eau, il n'aurait pas imaginé que toutes les substances du monde pouvaient être durcie à partir de pulvérulences infinitésimales, qu'il imagina si petites qu'on ne pouvait les couper en deux (a-toma), et deux mille ans après, ni les molécules ni les atomes n'auraient été découverts. Toutes les trouvailles de la méprise rêveuse des humains capables de poésie n'ont pas connu cette fortune, certes. Mais sans ces coups de sonde mentaux qui poétisent (« métonymisent ») un détail (l'observation du plâtre) pour représenter une réalité générale (la physique atomique de l'univers), la conscience et la connaissance de l'humanité n'existeraient pas. Les primates sans langage, les animaux en général, ne peuvent pas parler « avec quelque méprise », ne peuvent ni mentir, ni dire la vérité, ni représenter cette vérité par de mensongères approximations, par des emplois du langage étranges, ni approcher par ces moyens de ce qui est réel dans l'inconnaissable réalité...

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20 juillet 2008 7 20 /07 /juillet /2008 15:06
  1. 4.  La circonstance


« L'état d'esprit de la circonstance » : c'est qu'en effet, de mon point de vue, même le poème dont le dit paraît le plus objectif, impersonnel, hors biographie, naît toujours d'un ensemble d'événements qui se conjuguent dans un moment déclencheur. Le besoin de dire est issu d'une pression particulière, à un certain instant, et chez ceux qui ressentent excessivement cette pression, il faut une soupape de sûreté. Chez les gens qu'on appelle « poètes », cette soupape est le langage, qui permet de diminuer la pression, d'en sortir par l'ex-pression. Ensuite, tout est question de pudeur : les uns trouvent naturel d'assumer le « je », d'autres y répugnent et s'efforcent de gommer de leur écrit tout ce qui pourrait être un indice biographique, l'indice d'une circonstance personnelle. Cette sorte de pudeur s'explique : on peut penser en effet qu'en dépersonnalisant, dés-individualisant le contenu du poème, celui-ci sera en mesure d'atteindre une résonance plus générale dans l'esprit de ses éventuels lecteurs. Par ailleurs, la circonstance est en soi si souvent anecdotique qu'il ne semble pas vraiment indispensable d'en laisser trace dans le poème qu'elle a provoqué... Sur ce point particulier, je reconnais qu'une infinité de poèmes médiocres sont victimes du fait qu'ils n'ont pas voilé la circonstance dont ils sont nés, ou lui ont laissé une place que son manque d'originalité ne méritait pas.

Cependant, à y regarder de près, la circonstance n'est que rarement originale. Il se pourrait même qu'elle ne le soit jamais. Dans la mesure où, bipèdes vivant tous sur la même planète, ayant un patrimoine génétique commun, un environnement commun à quelques nuances près – intéressantes mais pas décisives -, des organes, un cerveau, une imagination, des sentiments semblables... il est quasi-certain que toutes les circonstances qu'un être humain peut avoir vécues l'ont été auparavant par un autre être humain. Dans le cas du poème « d'amour », ce constat est particulièrement évident. Toutes les configurations qui ont ébranlé le coeur humain au point de le pousser à écrire des poèmes sous l'emprise de la passion amoureuse sont depuis longtemps connues, analysées, répertoriées. Il faut être adolescent, au début de sa vie amoureuse, pour avoir la conviction que l'on vit quelque chose d'unique, et qui ne ressemble à rien de ce que peuvent avoir vécu les autres humains.

On peut donc comprendre que faire figurer la circonstance dans le poème semble résolument superflu à la plupart de ceux qui en écrivent. Pour ma part, je ne suis pas absolument de cet avis. Il me semble qu'ancrer le poème dans un moment de vie, même si ce moment ne transparaît que très peu, lui confère une relation à la réalité d'une vie d'homme, y introduit un ferment, disons selon un mot galvaudé aujourd'hui, « d'authenticité », et l'éloigne du simple exercice de langage, avec sa feinte de fiction. C'est le signe d'un consentement à ce que le poète appartienne, tout à fait banalement, à la même condition que tout un chacun.

Sous un autre angle, s'il est indiscutable que, grosso modo, depuis l'aube de l'humanité les êtres humains revivent toujours à peu près les mêmes choses, éprouvent des sentiments presque identiques, le fait d'assumer franchement la circonstance du poème n'implique pas que, dans l'écriture du poème, cette circonstance soit traitée de la même façon. Il est même intéressant de constater qu'à partir de la même circonstance, les poètes que nous considérons comme « grands » nous livrent des poèmes dont la vision et la composition sont fort différentes. Avec cette différence de perception dans le traitement de la circonstance surgit l'originalité de sensibilités dont chacune apporte une pierre nouvelle à la richesse de la conscience humaine. Des façons nouvelles de percevoir le connu le transmettent sous la forme de l'inconnu. Tout l'intérêt de la poésie pour moi réside dans cette métamorphose : si l'habitude, le connu, le banal, font disparaître les choses, les effacent progressivement de notre attention, la circonstance connue, lorsqu'elle nous est transmise par une petite machinerie de langage appelées « poème » - ou par tout autre écrit recelant le caractère du « poétique » - sous la forme de l'inconnu, déshabitue, débanalise, fait (ré)apparaître les choses et nous offre la possibilité de les percevoir avec un oeil neuf, une vision comme lavée, à la manière de ces paysages après l'averse qui retrouvent leurs couleurs et nous donnent l'impression que jusqu'alors nous ne les avions jamais véritablement vus.

Cette associations de la circonstance et de la manière de la figurer en parole – à travers l'analogie que permettent d'exprimer les figures du discours, dont la métaphore est l'une des plus utilisées, spécialement depuis le Surréalisme – nous fournissent ainsi les critères fondamentaux de ce que j'appelais plus haut le « poétique ». Plus globalement, lorsqu'on ressent une chose comme « poétique », c'est que, dans telle ou telle circonstance, subitement cette chose, si ancienne et quelconque soit-elle, nous apparaît comme splendidement neuve et cette nouveauté en nous produit un ébranlement ému, un déplacement de la pensée au-delà de « l'ordinaire réalité » analogue à celui que provoque le poème (ou l'oeuvre d'art en général) : sorte d'invitation au voyage à la fois intérieur et extérieur que, faute d'un mot plus adéquat, nous appelons « le rêve »...

Le rêve, en ce sens, nous enseigne la réalité. C'est quitter le monde pour y revenir avec une vision revirginisée, disposée à un nouvel amour, les grecs diraient « érotisée », qui restitue à chaque chose du monde la fraîcheur attractive qu'elle avait perdue, le murmure de source que nous n'entendions plus à cause de l'éloignement dans le passé d'une période où cette fraîcheur, ce murmure, cette nouveauté, ce contact avec l'inconnu, nous étaient naturels et quotidiens : l'enfance.

La vision poétique nous amène à vivre chaque moment comme si nous le vivions pour la première fois, au cours d'une vie commençante, avec sa valeur restaurée, et d'une certaine manière, il est exact que chaque instant de notre vie est premier : le poétique nous déprend de l'illusion due à l'habitude, selon laquelle « la vie est un éternel recommencement ». D'une part, « éternel », non. De l'autre « recommencement », impossible. En considérant la vie ainsi, on agit au contraire de la démarche poétique : on abstrait de la circonstance les détails (qui sont sa substance même), tout ce qui était son rapport avec notre vie propre, singulière, vie en laquelle nous occupons une position centrale, unique, que personne, même proche, ne peut occuper à notre place. Il s'ensuit que le texte poétique s'efforce de rendre compte de la vie particulière, spécifique, de son auteur et en même temps, revendique à travers cette spécificité écrite de concerner la vie de tous, de partager avec tous. Dans le poème, la figuration du détail se veut un tremplin vers l'universel.

 


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19 juillet 2008 6 19 /07 /juillet /2008 13:26

  

     3. De la métaphore et son raccourci.

        Si donc la démarche de l'analogie est centrale pour l'esprit – je rappelle que la formulation simple de l'analogie, c'est « une chose A dans son rapport avec une chose B, est comme une chose C dans son rapport avec une chose D » (p.ex. « Une suite de pas dans son rapport avec une étendue de neige est comme une ligne d'écriture dans son rapport avec la page blanche. ») - , et construit une nouvelle relation, de similarité ou de dissimilarité, entre des relations associant des choses de nature tout à fait différentes, cette démarche analogique se monnaie dans le langage selon des formulations plus ou moins économiques, plus ou moins compactées, et donc plus ou moins faciles à comprendre.

Je peux rester dans l'explicite : « Ces pas dans la neige ressemblent à (sont comme) une écriture sur une page blanche... » Mais je peux aussi condenser l'énoncé d'autre façon, par ellipse (ek-leipsis, en grec « disparition ») : « Des pas ont écrit sur la neige. » ou encore « les pas de l'écriture sur la page neigeuse », ou « la neige écrite ». Sous ces énoncés faux (les pas ne sont pas du tout une écriture, la neige quoique blanche n'est pas du tout une page) repose toujours une analogie juste. Un tel transfert, implicite, par compactage du langage, des qualités de certains éléments d'une analogie sur d'autres (l'écriture sur les pas, la page blanche sur la neige) a été appelé « métaphore », « manière de parler qui fait porter par une chose les qualités d'une autre ».

Naturellement, plus la formule est condensée, plus elle apparaît difficile à comprendre à cause de l'épaisseur d'ellipses à reconstituer. Elle demande une certaine gymnastique de l'esprit dont le lecteur contemporain, s'il en reste, entraîné à la paresse parce qu'il lui faut généralement des informations immédiates, faciles à assimiler comme celles des médias, a souvent perdu l'habitude.

Le lecteur de poésie, lui, goûte un certain plaisir à cette économie de formulation. Il apprécie d'avoir à faire lui-même une part du chemin vers l'énigme apparente, il aime à enclencher son imagination pour se mettre à la place du poète et reconstituer l'état d'esprit de la circonstance qui l'a conduit à la formulation elliptique de la métaphore.

Le poème devient ainsi une petite machine d'écriture destinée à faire pénétrer quelqu'un dans l'état d'esprit de quelqu'un d'autre en l'engageant à un effort mental, assorti d'une sorte de plaisir analogue à celui des devinettes de notre enfance, à ceci près que cette fois, c'est aux énigmes du monde telles qu'un autre être humain les perçoit, que le lecteur se confronte : une activité mentale voisine de la traduction, de la communion, et de tout ce que les oeuvres d'art proposent à la compréhension comme entraînement à une autre compréhension : celle de la vie même...

 

Bien entendu, la métaphore, figure essentielle du langage « figuré », n'est qu'une des multiples façons de compacter les analogies, toutes reposant peu ou prou sur l'ellipse, laquelle

est elle-même issue du fait que, quelle que soit la quantité de langage qu'on déploie à propos de quelque chose, cette quantité ne suffira jamais à épuiser la réalité de la circonstance qui nous amène à vouloir communiquer avec une autre personne. Toute phrase, même la plus longue et la plus loquace, est donc fondamentalement elliptique, c'est à dire passe sous silence divers éléments considérés comme des « présupposés connus » de l'interlocuteur : on pourrait définir d'un mot l'ensemble de ces présupposés, nécessaires à ce que les phrases reçues prennent un sens, aient un rapport avec les choses auxquelles elles se réfèrent. Ce mot, c'est « culture ». La culture n'est pas simple érudition. Elle est l'arrière-plan « elliptique », non dit, construit (à l'origine inconsciemment) par toute une société, et qu'un individu donné doit implicitement connaître pour donner du sens à ce que lui dit n'importe quel individu de la société en question. Cet arrière-plan est naturellement "oublié", c'est à dire repoussé dans l'inconscient. Mais il existe : il suffit pour s'en convaincre d'observer les réactions de ceux qui ne l'ont pas en eux. Si je dis (figure du discours) : "Untel m'a cassé les pieds !" Celui qui n'appartient pas à la même société, dont l'inconscient n'est pas imprégné de la même culture que moi, va regarder mes pieds pour voir de quelle manière mes pieds ont été mis en miettes, et se montrera un peu éberlué de voir mes pieds intacts...

Les multiples manières « d'ellipser » particulières à la culture spécifique d'une société produisent ces « manière de dire » qu'on a répertoriées sous le nom général de « figures du discours ». Ultérieurement, nous analyserons les principales de ces figures, les plus caractéristiques de la culture occidentale, pour examiner à la fois comment elles définissent des ensembles sociologiques de l'humanité (avec leur « mentalité ») et ce qu'elles peuvent nous apprendre sur notre propre façon de penser, sur notre langage, notre conception de la réalité, nos moeurs, etc... (Je laisse pour l'instant toutes les portes ouvertes...)

Notons au passage, pour finir, que le poète se ressaisit de cette culture et, après l'avoir assimilée du mieux qu'il lui était possible, s'en fait, par ajouts personnels, une culture propre, comme s'il avait l'ambition d'être une société humaine à lui tout seul, de recueillir en lui, pour sa parole, l'innombrable voix de l'humanité – entière s'il le pouvait – et de se faire le creuset de tout ce qui est de l'ordre de l'humain, et partant, de l'univers, à quoi il puisse avoir accès.

 

 


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18 juillet 2008 5 18 /07 /juillet /2008 11:31


2. Comparaison et déraison.


« Votre âme est un paysage choisi ». De soi-même, le collégien que j'étais avait restitué « est comme », changeant la métaphore en comparaison... Cette restitution instinctive du « comme » m'avait alors donné à réfléchir. Que le « comme » fût escamoté, était-ce pour une question de pur décompte des syllabes ? Cela me paraissait peu vraisemblable pour un poète que je classais idolâtrement dans les virtuoses rompus à tous les arcanes de la versification... Restaient donc deux principes possibles et non contradictoires, d'ailleurs : l'économie de mots, et le fait que le « comme » sous-tendait secrètement toute la démarche poétique. En m'intéressant au reste de l'oeuvre de Verlaine, puis à celle de tous les poètes français (ou traduits) auxquels je pouvais accéder, j'ai vite acquis la conviction que le « comme », en saisissant par confrontation deux choses entre lesquelles l'esprit pouvait trouver, découvrir, inventer, un lien caché, était l'endroit précis où se rejoignaient la vision imaginaire et la vision sensible, pour former le relief de la réalité « stéréoscopique », ou plutôt « stéréoscopoétique », qui me préoccupait si vivement. J'ai vécu cela comme une sorte de victoire et je me suis mis à griffonner sur des papiers toutes les comparaisons qui me venaient à l'esprit au fur et à mesure des circonstances de ma vie.

Ce qui me fascinait le plus, c'était le résultat expressif, « criant de vérité », auquel mes formulations aboutissaient, et d'autant mieux que les choses comparées semblaient irréconciliablement éloignées. Trouver le « comme » entre elles devint un jeu passionnant auquel je m'adonnais sitôt que mon autre activité, très prenante, la composition musicale, me laissait par fatigue ou panne d'inspiration, quelque loisir. Si bien que lorsque j'en arrivai à découvrir les poètes surréalistes, je me pris, comme à des mots-croisés, à m'efforcer d'expliciter ce qui me paraissait un stock de devinettes particulièrement ardues.

Je cherchais la raison « commante » sous la déraison apparente, et je la trouvais souvent. J'entendais « la terre est bleue comme une orange » à la façon du raccourci d'une phrase qui eût dit à peu près « la terre est bleue comme une orange qui serait bleue » et je trouvais l'idée intéressante, parce que c'était une idée de peintre : entre temps, je m'étais essayé à peindre, j'avais lu tout ce que les cubistes – notamment – avaient écrit sur les couleurs « complémentaires ». Je me disais donc que rien n'était plus efficace que d'imaginer une orange gigantesque, placée dans mon esprit à côté de la terre bleue comme on la voit de l'espace, pour mieux sentir l'intensité du bleu dont rayonnait notre Terre. Le principe de « stéréoscopoésie », par contraste ou ressemblance, fonctionnait, autour du comme, explicite ou sous-entendu... Par la suite, j'ai découvert avec les philosophes, que l'esprit ne connaît rien des choses, il ne connaît que les relations, les différences et les ressemblances entre elles. Et que ce travail d'analogie/antilogie était le seul qui permettait à la pensée de prendre pied dans le réel et d'agir sur lui. Ce qu'ont fait les scientifiques lorsque l'ondulation des vagues, de proche en proche au cours du temps, les a menés à la conception ondulatoire de la lumière, ou lorsque la poussière de ciment, coagulée par l'intervention de l'eau en corps solide, a conduit les anciens à imaginer que tous les corps solides étaient, de même, faits de poussière infinitésimale, théorisée en « atoma » crochus, lesquels ont entraîné la chimie, les concepts de molécule avec leurs valences, et d'atome modernes reliés par des forces. Ce que nous appelons science, par suite, m'apparaissait comme le développement et l'explicitation de coups de sonde lancés en aveugle par l'art, en premier lieu la poésie, dans le foisonnement desquels certains, logifiés, « réussissaient » et connaissaient une immense carrière à travers l'histoire de la compréhension scientifique de l'univers.

 



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