Manitou, le castor et les animaux révoltés.
On croit toujours que l'herbe est plus verte et plus grasse
dans le champ de notre voisin,
que son enclos a plus d'espace,
que sa vigne a plus de raisins...
C'est que l'envie, surtout chez les Gaulois
qui de l'égalité ont voulu faire loi,
est une tare, avouons-le, des plus communes :
si l'ignorance est son moteur, la bêtise fait sa fortune.
Trop tard le plus souvent, l'envieux reçoit ses torts,
comme en témoignera l'histoire du castor
que me conta jadis, un jour d'été indien,
dessous sa véranda, un ami canadien
et trappeur de surcroît. La fable, la voici
- prenez un rocking-chair -, elle commence ainsi :
Quelque part dans un coin perdu des Laurentides,
semé comme on le sait de monts, lacs et marais humides
qu'en eaux abondent mille fleuves et torrents,
les orignaux, les cerfs, les herbivores leurs parents,
et même d'autres animaux qui ne broutent pas d'herbe,
les loups, les ours, les renards, les furets,
sur un ton vengeur et acerbe,
réveillaient les échos de toute la forêt.
Ensemble, ils réclamaient contre la même cible.
Rugissant, mugissant, beuglant, bramant à l'unisson,
chacun apostrophait l'Être Unique, l'Inaccessible
qui, depuis son palais masqué par l'horizon
à force d'outremer,
nonchalamment règne sur l'univers :
le grand Wacondah-Manitou.
Les humains font souvent d'un rien toute une histoire,
l'animal, lui, se plaint rarement sans raison.
Le grief en l'occurrence était notoire :
il s'agissait des errements et des divagations
d'un certain ru à travers les pâtures.
«Lorsque la neige fond sur les pentes du Mont Tremblant,
clamaient-ils, nous n'avons plus assez de nourriture !
Les eaux recouvrent tout de leurs débordements !
Il faut faire cesser pareille erreur de la nature !
Il y a trop longtemps que l'injustice dure :
un véritable dieu soigne ses créatures !»
Manitou, qui dormait, s'en trouva réveillé.
Le vacarme montait jusqu'à son oreiller
de cumulo-nimbus : une clameur confuse
dont le sens échappait. Après avoir bâillé,
perplexe, il se gratta l'occiput : on abuse,
là en bas, pensa-t-il, de ma suprême Majesté.
Qu'ont donc ces braillards à se révolter ?
Je m'en vais convoquer sur l'heure le grand harle,
il m'instruira : il faudra bien qu'il parle.
L'oiseau à tire-d'aile arrive près du lieu
céleste où se trouvait le lit-trône du dieu,
et d'un caquet mal assuré fait l'exposé
des animales rouspétances :
«Trop longtemps arrosé,
le pays, Majesté, perd sa vertu broutable,
(Mais je ne fais que rapporter d'infimes doléances,
- pour moi, cette affaire est sans conséquences !)
il s'ensuit chaque année une famine insupportable...»
Sitôt le palmipède congédié,
Manitou, juste dieu, conçoit de remédier,
à une situation qui a troublé son somme :
Un champ ne doit-il pas nourrir son homme ?
Il décide aussitôt d'envoyer le castor :
«Lui saura, pense-t-il, dompter un ru trop fort,
en endiguer le cours en maçonnant ses rives.»
Sitôt, dans la région notre castor arrive.
Il a vite compris de quoi chacun pâtit.
Il creuse sous les eaux, il s'efforce, il bâtit,
il perce des canaux, érige des barrages,
bref, dans les profondeurs, voici qu'il aménage
sans faiblir un instant toutes sortes d'ouvrages,
et se voit au printemps bientôt récompensé
quand le dégel démontre aux incroyants qui prient
encor, les effets de son industrie :
sagement la rivière obéït à son lit,
le temps de la disette est aboli.
Chacun broute à sa faim. Chacun mange de tout
à satiété jour après jour en louant Manitou
lequel, glorieux, a regagné sa couche de nuées.
Mais les bêtes, d'abord par l'heureux dénoûment
calmées, après deux ou trois ans s'étant habituées
à leur nouvelle vie, cherchent le quoi et le comment :
«Ce compère à queue plate, insolite émissaire
envoyé par le dieu, quelqu'un l'a-t-il vu faire
quoi que ce soit pour nous aider ?
Qui peut croire qu'il a jugulé la rivière
à lui tout seul ? On a droit de se demander
quelle est sa compétence en la matière...»
«Il a le poil collant, et la peau terne.
D'ailleurs dans la sombre caverne
par lui creusée au coeur des eaux,
un ragondin de mes amis affirme qu'il hiberne.»
«Oui : c'est le genre à faire de vieux os
dans un refuge à lui seul accessible !
C'est pour ça qu'il est invisible :
Il mange notre pain et dort ! Et quant à moi,
il ne m'a jamais inspiré confiance !
Je le prends simplement, ma foi,
pour un habile parasite : et donc je pense
que nous ferions fort bien de lui donner congé.
Le moindre d'entre nous en serait soulagé !»
Le castor qui oeuvrait, toujours inaperçu,
dans un creux de la berge, entendit ces propos
prononcés haut et fort : «Message bien reçu !
murmura-t-il, en lissant sa moustache.
Je vais ailleurs prendre un repos
bien mérité : à vous l'ingrate tâche,
messieurs les beaux parleurs !» D'un doigt menu,
il noua son maigre ballot, quitta sa cache
sur le champ et s'en fut, comme il était venu.
On le sut au printemps. Ses détracteurs, la mine
triomphante, observaient : «Rien ne change au menu !»
Ce qu'il advint, beaucoup plus tard, on le devine.
Le coq de bruyère
Un jour certain coq (de bruyère),
- c'était en septembre, je crois -
chassé du lieu où il vivait naguère,
trouva refuge dans un bois.
Ses habitants, chacun dans son patois,
renard, martre, mulot, chauve-souris, cervidés qu'on devine
au loin, sanglier, serpent, passereaux, pie et corbeau et fouine,
de siffler, de bramer, d'aboyer d'une unanime voix :
«Comme il a bonne mine !
Que son chant est nouveau !
Comme il a de vigueur ! Mille, mille bravos !».
L'un admirant les plumes colorées du volatile,
l'autre vantant des qualités que je crois inutile
d'énumérer ici, tous avec grand honneur
l'accueillirent, amitié et chaleur.
Le temps passa. L'oiseau remplissait son office
d'oiseau. Et même y ajoutait quelques services
gracieux afin de bien montrer sa gratitude d'étranger :
il « échangeait », - n'a-t-on pas raison d'échanger ?
Il devint à la mode, on le montait en grade...
On le nomma même « phénix » le jour de la Parade :
quand ceux du bois voisin viennent, une fois l'an,
par raison de coutume ou de rite, ou de la nuit des temps,
si tant est qu'on ait là quelque raison qui vaille,
avec femelles, parents et marmaille,
pour visiter les lieux
en touristes : enfin, tout alla pour le mieux
un temps. Si les humains sont versatiles,
autant l'est la gent forestière, en premier les reptiles.
Sous les buissons : «Qu'a-t-il de plus que nous ?»
entendait-on siffler. «Bientôt, devrons-nous à genoux
adorer cet oiseau qui n'est pas de notre collège ?
C'est trop de privilèges !»
Un autre murmurait : «C'est, dirais-je,
quelque paon échappé d'une fable, ou bien quelque diva
égarée parmi nous !» «S'il s'en va,»
ajoutait un troisième avec acidité,
«ni mes amis ni moi n'allons le regretter !»
Or, l'oiseau détesté
d'abord rétrogradé à son rang ordinaire
de quelconque coq de bruyère,
qu'il n'avait nullement demandé de quitter
du temps qu'il avait fui les chasseurs imbéciles,
s'en retourna trouver asile
ailleurs : et le bois retrouva son train-train monotone,
ses infimes cans-cans, et ses insipides automnes.