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Remarque intéressante d’un ami :

 

Si vous acceptez la critique [Pourquoi non ? (N. d. A .] d'un auteur minuscule, sur la forme de votre écriture et pas sur le fond, je suis toujours étonné que ce qui est l'exception chez les "plus grands" (Char, Dupin, Jaccottet etc...) concernant l'utilisation du "poème fleuve" (comme le Visage Nuptial chez Char) soit chez vous coutumier. Autant je n'hésite pas à me plonger dans des formes courtes, évidemment, mais aussi dans de la prose poétique, et il y en a un peu dans cet opus [Ici, je suppose : « L’Hymne au vent », sur Calameo (N.d.A.)], autant je décroche dans ce que, moi, j'estime un trop long poème (que j'aurais mieux lu en prose). C'est un préjugé mais je ne peux m'en défaire. En fait vous êtes un poète épique, c'est sans doute pour cela que parfois je perçois quelques accents persiens dans vos textes mais lui n'écrivait quasiment qu'en prose (et manquait d'humour selon vous)

 

 

Mon point de vue : (réponse)

 

Bon. J’avais mis ça en Calameo, au lieu de le laisser dormir, en songeant à vos paroles sur « la confrontation sur le Net ». Je pensais vous avoir fait une surprise heureuse. Ce n’est pas le cas. Soit. Vous avez raison. C’est long. Cela m’attriste, mais qu’y faire ? Ce n’est pas parce que les fumeurs ont le souffle court qu’il faut renoncer à courir le marathon de Paris ! L’heure du poème « long » n’est pas (re)venue, viendra-t-elle ? Je sens quelque lassitude de votre part :

Il est vrai que, rarement, je me lance dans des échanges. Auquel cas, ils sont intensifs, sans calcul, et sans jamais considérer du tout mon interlocuteur comme « minuscule », soyez-en certain… D’autre part, ni Char, ni Dupin, ni Jaccottet, ni Perse, ni Ponge, ne sont pour moi des références. Je suis « sans-père » avec juste ma « plume ». Mais ce que vous me dites sur la « mise en prose » qui rendrait un poème plus aisé à « lire », est une observation qui m’a déjà été faite par d’autres poètes, aussi éminents que ceux que vous citez.

 

Elle pose une question qui peut intéresser tous les lecteurs de poésie.  Je mets donc une réponse, un peu plus étoffée que celle que j’ai faite par mail, concernant cette question, non tellement pour justifier mes écrits à moi, c’est aux lecteurs comme vous de juger et d’être critiques, c’est leur droit et même, je dirais, leur rôle : c’est à cause de ces réactions à chaud qu’il est passionnant de mettre des écrits en ligne. Quand on publie des livres, le courrier des réactions est moins direct, moins spontané et moins fréquent, et la catégorie de lecteurs qui prend la peine de faire des remarques à l’auteur est différente. Le Net permet tout, jugements signés d’un pseudonyme, formulations sommaires, etc… Le reflet qu’on découvre par les « commentaires » sur ce qu’on a osé publier, en l’occurrence des poèmes, permet d’ajuster le point de vue d’un auteur sur la façon dont ses textes son reçus. Il n’y a pas « d’aristocratie ». On reçoit aussi bien la critique ou l’approbation, le mépris ou l’enthousiasme, d’un slameur, d’une étudiante en droit, d’un enseignant, d’une mère de famille, bref, on apprend comment on est lu par les personnes les plus diverses.

        Cela est un phénomène moderne et remarquable : lorsqu’on fait une lecture de son œuvre en public, les réactions sont toujours discrètes, d’ailleurs le public qui est venu n’est pas là par hasard comme certains qui passent sur le Net, regardent un blog, et zappent sur un autre. Ce public est venu parce qu’il est déjà intéressé, qu’il sait quoi et qui il vient entendre. Sur le Net, on est visité par des personnes qui ne sont pas forcément « culturellement préparées », ni bien disposées envers vous, et l’on découvre « brut de décoffrage » leur manière de réagir à ce qu’ils ont lu. Pour ma part, qu’elles soient positives ou négatives, ces réactions me touchent toujours positivement : que quelqu’un ait pris la peine de me donner son opinion, même par une onomatopée, m’enchante en tant que signe que « quelque chose s’est passé », quelque chose de non-indifférent, de non-tiède…

 

Pour la question du poème long « ennuyeux », duquel « on décroche », et de l’écriture en vers ou en prose, j’ai plusieurs constats et remarques à faire. Le premier est que le poème long en français existe. Je veux dire ; chez mes contemporains (exemple, Elytis en grec dans « Axion Esti », et d’autres, en français Bohrer, Darras, etc..). La seconde est que, pour le recueil incriminé, « L’ Hymne au vent », il n’y a qu’un seul poème long, final. Et globalement dans mes livres, je ne crois pas que les « poèmes longs » (ainsi que l’affaire de la « mise en prose ») soient objectivement plus fréquents que les autres. Mais tout cela importe assez peu, excepté pour moi-même.

 

En revanche, sur la question générale, c’est-à-dire placée dans une perspective où mon cas personnel n’est qu’un parmi d’autres, je voudrais vous livrer quelques réflexions. La première est que, historiquement, la forme « versifiée » de la poésie n’était pas pour introduire une distinction avec la « prose », la « pezographia » (écriture de fantassin en marche), mais seulement pour permettre à l’aède ( le déclameur de poèmes, le troubadour) de repérer facilement les grandes unités rythmique qui animaient la poésie, en faisaient un langage où (« versus ») dans « un moule rythmique » des quantités variables de langage étaient « versées ». C ‘est cette introduction du nombre et du rythme dans des poèmes déclamés avec danse, parfois chantés, en association avec de la musique, c’est cela qui faisait que la parole du poème était davantage surveillée que la prose « pezographique », la prose courante. Il fallait que ce soit une parole rythmiquement plus pleine, plus ferme, plus achevée, principalement d’ailleurs parce qu’elle avait à voir avec le sacré et le religieux, donc la dignité de la parole.

            Autre remarque : les textes poétiques archaïques sont généralement écrits sur les papyrus de façon continue, car on ne pouvait se payer le luxe de perdre de la place vu le coût du matériau. Quand ce coût eût baissé, on a commencé à couper des lignes, à laisser du blanc, pour les textes en prose comme en « poésie ». Cela permettait à l’œil du lecteur – récitant – de repérer mieux les ensembles rythmiques, ou les unités de « phrasé », pour mettre en évidence le sens. Cette habitude est devenue règle pour la poésie, à mesure que la versification est devenue plus subtile, a été adjointe au poème par les poètes, en tant que moyen d’expressivité supplémentaire (surprise des coupes, des rejets, des échos sémantiques de la rime ultérieurement, quand on est passé de la versification gréco-latine ancienne où les « pieds » étaient des groupes rythmiques de syllabes, spondées, dactyles, trochées, iambes, etc.., à une versification où théoriquement seul le nombre de syllabes (pieds) par vers compte.)

            Dans la poésie la langue cherche à se montrer à son « plus beau », et le rythme de la diction compte beaucoup. La langue qui trébuche, n’achève pas ses formules, etc… du parler quotidien, et de la prose qui en résultait quand on la transcrivait telle quelle, n’était pas acceptée. On peut considérer d’ailleurs qu’en poésie, elle l’est rarement. Vous citiez St John Perse : il n’écrivait pas plus ses poèmes en prose que Claudel. Si l’on analyse ses « versets », on découvre qu’ils sont toujours à base de mètres classiques, octosyllabes, alexandrins, hexasyllabes, en général pairs. Le seul avantage du verset, dans des poèmes très longs comme Amers, c’est que cela évite d’augmenter formidablement le nombre des pages, et que cela requiert pour la « diction » un élan considérable du souffle en rapport avec la « grandeur » des thèmes qui se déploient dans le poème. Tout cela étant rapport physique au corps, bien sûr. Comme en peinture, c’est un non sens de présenter un Rothko sur 8 cm dans un livre, alors que le rapport du corps du spectateur à la toile devrait être l’égalité au minimum, étant donné qu’on est face à un pan de deux ou trois mètres carrés, de couleur, dans lequel la promenade du regard se perd à travers les dégradés, à travers le choc de la couleur massivement reçue, etc… De même, ce n’est pas du tout la même chose d’être face au colosse de Ramsés II à Abou Simbel, et d’en regarder une photo dans une encyclopédie.

 

            On peut donc penser que celui qui n’apprécierait le colosse de Ramsès II que sous la forme des miniatures vendues pour les touristes, aurait un problème avec une grandeur qui lui fait peur, un besoin de dominer avec son corps l’objet de sa contemplation, ce qui est impossible face au gigantisme écrasant du colosse, qui lui fait se sentir « spectateur minuscule ». Or, une œuvre d’art, poésie ou autres, est une proposition de se hisser, de se grandir, de s’agrandir, d’intégrer un « cosmos » supplémentaire, de s’égaler potentiellement, en somme, à la perception de tous les mondes humains. Refuser cette proposition, regarder ailleurs, c’est simplement rejeter ce qui nous dépasse : c’est le contraire de la démarche poétique, qui tente au moyen de l’échec, oui, de l’échec reconverti en moyen, de s’égaler au chaos au milieu duquel nous vivons. Le poète sait bien qu’il ne pourra jamais « tout dire », ne serait-ce qu’à cause des limites de sa langue, mais il pense qu’il pourra gagner sur son « indicible personnel », arracher pour soi quelques bribes plus ou moins importantes au chaos et les changer en un cosmos plus ou moins transmissible aux autres. Cela fonctionne ou ne fonctionne pas, tout dépend du degré de hardiesse dans le maniement du langage, mais aussi du degré de réceptivité de ceux qui pourraient s’intéresser à cet « échec », et de bien d’autres hasards. C’est le « risque » absolu que prend tout poète, et tout écrivain, et tout artiste en général.

On prend ce risque, et alors ? Quand on sent court on fait court, quand on sent long on est plus généreux : quant à moi, je ne suis pas tant militaire que « troubadour » ! Je me berce seulement de l’illusion d’emporter par les mots, d’emporter « le lecteur », haut et loin. Pour ce qui est des critiques, elles me rappellent le point de vue des critiques musicaux français du début du XX° siècle contre la musique de Mahler, on lit (sous la plume des amis de Vincent d’Indy par exemple et de « l’école symphonique française » d’alors): « Pas de structure, immenses symphonies, trop long galimatias confus, orchestre démesurément enflé, on ne sait pas ou on va, enflure et redondances, musique de « chef d’orchestre », imitation de Wagner, » et autres gracieusetés, alors que si l’on y regarde de près, Mahler est plus souvent proche de la musique de chambre, peu d’instruments à la fois, du contrepoint systématique issu de Bach, etc…et qu’il n’avait guère de points communs ni avec ce qu’on lui reprochait, ni avec Wagner, et que son originalité foncière éclate aujourd’hui aux yeux de tous. Faut-il couper l’Hymne au vent en petits morceaux titrés pour ne pas lasser l’attention ? Ce serait une astuce malhonnête ! Et si je n'ai pas écris cela en prose, parmi bien des raisons, (nombres, symbolique, etc...) la principale est que la découpe en vers met en scène le poème dans la page, à l'intention du dire, comme on écrit au sol, sur les planches, la chorégraphie d'un ballet.

 Pour ce qui est de « l’épique », sans doute, c’est toujours une sorte de bataille épique, que d’arriver à mener un poème jusqu’au bout. C’est une question d’oralité aussi : le temps du dit ne revient pas, le temps du lu revient à volonté. Je n’écris pas pour le « lu ». Cela me fait penser à des débats que j’avais, du temps de la composition musicale, avec des amis compositeurs : il y a des partitions célèbres (par exemple la 9° de Schubert) qui, à les regarder, n’ont point d’allure.  La partition semble longue, monotone, indigente : ça n’a pas la gueule d’une partition d’Alban Berg ou de Luigi Nono. Les thèmes sont « moches à voir ». Mais à l'écoute, on découvre avec étonnement qu’ils tapent en plein dans l’émotion et que ce genre d'oeuvres recèlent la prégnance d’un monde puissamment exprimé…

A la décharge du « critique », j’avoue que dans ma lointaine jeunesse, n’ayant encore jamais fait un poème, quoique lecteur effréné, je n’arrivais pas non plus à supporter des poèmes de plus de quinze vers. Pour moi, le poème devait avoisiner la taille du sonnet, et Lamartine me faisait décrocher aussi. C’est l’ennui que la poésie soit lue « écrite » et non plus présentée « dite ». L’oralité d’un bon « diseur de poème » peut révéler des choses saisissantes là où en tant que lecteur nous n’avions rien vu, comme il est différent de lire sur partition le thème d’entrée de la 9° de Schubert que j’évoquais, et de l’entendre jouée par un orchestre qui la comprend et la déploie. Je reprécise que je plaide davantage ici pour l’affaire du poème long que pour les miens, ce n’est pas parce qu’ils seraient longs ou courts qu’ils seraient plus réussis ou plus ratés. Je préfèrerais évidemment qu’ils soient une « révélation fraternelle » qu’un « quelle barbe ! ça me donne envie de dormir ! » Mais, je le redis, c’est le risque… Ils touchent en certains lecteurs la limite de l’« objectivement mauvais » et ces lecteurs me le disent franchement. Je les en remercie. Cela ne change rien à mon point de vue sur qui ils sont, sur l’estime que je leur porte. Au contraire, je vois à présent qu’ils ont la bonne position : dire ce qu’ils pensent avec leur esprit critique à eux. Je ne peux réclamer mieux et j’espère que nos relations demeureront ainsi. Qu’on ne se force surtout pas à me lire… Sans faire aucune publicité, environ dix mille pages ont été lues sur mon blog. Ce n’est pas si mal et je ne cherche pas les lecteurs : si je me suis mis dans des « communautés », c’est par pure sympathie. Dans les communautés que j’ai rejointes, vous soupçonnez sans doute que je ne rencontre pas grand’chose en fait de « niveau d’écriture poétique » à proprement parler, pourtant le niveau de sentiment poétique, le témoignage à travers leurs poèmes que beaucoup de ces personnes sont davantage « poètes de leur vie » que poètes en poèmes, m’émeut plus que les anthologies d’illustres exsangues de certains blogs aux prétentions « élevées » où l’indicible ne se traduit souvent que par des bafouillages. Je préfère qu’au gré du hasard, les explorateurs du Net lisent les poèmes où ils entrent de « plain-pied » pour ainsi dire. Comme les enfants, dans ce modèle que sont pour moi les Fables de La Fontaine. Si mon poème n’est pas un "petit cadeau, poème d’argent" (Elytis, dans l'Arbre Lucide) - la parole est d’argent ! -, ça ne vaut pas le coup. Je le dis aux lecteurs : faites vos poèmes à vous, faites m’en connaître. C’est plus important. Et cela m’intéressera toujours. De plus, même dans certains écrits "maladroits" des choses émouvantes et géniales se font jour, bien plus souvent que je ne l'aurais cru. Les jeunes (et les autres) qui s'exercent à la poésie aujourd'hui ont vraiment des "choses à dire", et pas banales du tout : je ne dis pas du tout cela pour m'attirer des sympathies, par "démagogie", mais parce que c'est la réalité que je perçois. Non sans étonnement . J'y vois encore une des leçons du Net... et une claque à certains de mes préjugés (J'en ai moi aussi ! Mais ils ne sont pas une loi, et je les surmonte souvent facilement !) 

            Bien amicalement toujours. Avec mes regrets… de cette réponse trop longue !

 

       Xavier Bordes
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