2 février 2010
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Odyssée 11
Ainsi tel un galet plat victime de l’élan qui l’a lancé ricoche en brisant l’un après l’autre chacun de ses reflets j’ai navigué de port en port de monde en monde sans jamais m’y reconnaître
Quand le bordé de carène a commencé malmené par les lames à suinter et qu’il fallut recalfater aussitôt que possible je me suis résigné à trouver une côte et j’ai fini par aborder non sans appréhension en un pays sableux parsemé d’arbres gigantesques aux feuillages pourpres
Là, dans des huttes de torchis vivaient les « hommes-lions » selon le nom qu’ils se donnaient eux-mêmes vêtus de tissus ocre le nez percé de six longs poils, le crâne orné d’une large crinière fauve Malgré leur apparence ils se sont montrés fort hospitaliers et leurs artisans tout à fait expérimentés savaient faire bouillir un goudron qu’ils tiraient d'arbres particuliers
Plus tard, sous les tropiques, un ouragan me drossa au Pays de l’Éternel Printemps où troglodytes des gens nus se couvrent le corps de pétales de fleurs se nourrissent de bulbes noirs et peignent d’animaux mouvants les parois de leurs cavernes
Par après je visitai sans l’avoir cherché beaucoup d’autres contrées excitantes puis décevantes telle cette Île des Poètes où déclamant leurs vers obscurs des processions d’aèdes les yeux fermés tournent en rond en redisant sans fin les mêmes choses sans que leur noble orgueil les autorise à écouter moins que quiconque un étranger à la tribu
Oh oui ! J’ai navigué de monde en monde sans jamais m’y reconnaître ni trouver nulle part de réponses à mes questions…
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1 février 2010
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Odyssée 10
Ah ! Combien les ports sont à la fois enchanteurs et trompeurs ! Après des jours de lente solitude voici que le relief d’un continent s’est profilé au ras des flots Quoique sachant fort bien qu’il n’était pas ce rivage que tu cherchais mais seulement une contrée exotique avec un idiome et des coutumes qui seraient difficiles à comprendre N’importe
La fatigue d’avoir tant duré dans l’éblouissante lumière en n’ayant eu pour dialoguer que le claquement de la voile, le friselis de la vague et les cris lancinants des mouettes te poussa malgré tes réticences à t’en approcher pour y faire relâche Désormais à bâbord et tribord tu pouvais voir de plus en plus de navires converger vers ce môle qu’un phare au bout d’une longue jetée bornait prétentieux comme un phallus dressé
Les quais grouillaient d’une population bruyante et colorée les uns déchargeant des ballots énormes qui faisaient saillir leurs biceps luisants d’autres un bac de poissons dans les bras criant à qui le leur achèterait Des femmes vêtues d’oripeaux divers négociaient avec de grands gestes pour finir un éclair glissait dans leur panier tandis qu’on devinait qu’une poignée de vieux billets avait changé de mains
Debout près de ton mât t’étant laissé distraire par le va et vient bigarré de la foule tu faillis être culbuté par-dessus bord quand ton étrave heurta le quai à l’endroit précis que tu visais où l’on voyait devant un large emplacement vacant une rangée d’anneaux de fer suspendus à la paroi
Rapidement tu nouas un bout dans le plus proche avant que la coque ne recule Après deux ou trois mouvement pour assouplir ton corps ankylosé tu sautas sur le quai juste au moment où arrivait un homme en uniforme défraîchi qui réclama en pidgin quelques piécettes pour t’autoriser à laisser ton bateau à cet endroit
Autour de la place du port une suite de tavernes aux enseignes rouges ou vertes avec des portes peintes en bois bleu proposaient sur des panneaux des menus écrits à la craie selon les lignes contournées d’une langue qui te parut fort décorative
Entré dans la première venue ombre fraîche et ventilateurs gémissant au plafond tu t’assis nonchalamment et t’exprimant surtout avec les mains tu obtins du patron qu’il te serve un plat indéfinissable assorti d’une boisson au goût amer Depuis longtemps tu ne t’étais pas senti aussi bien à ton aise !
Après avoir sympathisé avec les indigènes au bout de quelques temps tu envisageais de renoncer à ta quête absurde et de prendre ici tes quartiers pour toujours lorsqu’un grand sentiment de vide à l’improviste commença dans ton cœur à réveiller les échos de plus en plus impérieux de – comme on dit – « l’appel du large »
Et quelques jours après n’y tenant plus tu reprenais la mer reprenant avec elle ta solitude et cet espace de rêve infini qu’on nomme l’horizon.
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1 février 2010
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Odyssée 9
En premier après une longue voie d’eau libre, chantante sur laquelle la lune en s’éparpillant dans la nuit multipliait les signaux contradictoires te fiant à ta seule étoile tu as poursuivi inflexiblement un chemin dont tu refusais de savoir s’il te mènerait quelque part
Jusqu’à te retrouver bizarrement freiné ton esquif presque immobilisé par instants dans une espèce de mer des Sargasses fortement salée où il fallut te faufiler comme une anguille parmi les épaves et vestiges variés fragments d’espérances anciennes reliques de gloires égarées déchets de la Civilisation réunis à cet endroit par la force de Coriolis
Parfois même tu croisais allongé dans l’eau le ciel figé dans ses yeux creux les vêtements délavés et plaqués sur les restes d’un corps malodorant le fantôme d’un noyé les doigts encore crispés sur le livre de bord qu’il avait dû emporter juste avant que son navire ne sombre
Et qu’il tenait sur sa poitrine comme pour retenir un ultime battement de cœur mais toi avec ta curiosité coutumière tu t’en emparais au risque en te penchant de chavirer à ton tour sans un seul livre pour t’accompagner
Puis pour patienter dans ce calme exaspérant après l’avoir laissé sécher au soleil sur le plat bord tu t’efforçais de déchiffrer les pages ondulées dont l’encre en partie diluée par le flot racontait un drame presque illisible dans des termes d’une décevante banalité
Enfin lorsque le vent reprenait quelque force après un dernier regard compatissant tu te hâtais de t’éloigner le cœur plein de l’impression pénible que ce mort rencontré au carrefour des possibles était l’un des doubles de toi-même.
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31 janvier 2010
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Odyssée 8
Tu sais bien que tu n’es pas Ulysse ni Sindibad qui prit les diamants amassés dans le nid du phénix et que ton île n’est pas cette Ithaque du conte où t’attendrait la fidèle amoureuse en cent fois sur le métier remettant son ouvrage et même qu’excepté le conte rien n’existe du voyage merveilleux
Et pourtant tu l’as entrepris Magellan des mots parlant seul volubile avançant sur l’épair lucide de la page ainsi qu’un goéland longe le bord en laissant une piste étoilée dessus le sable clair avec la naïveté de qui pense pouvoir faire le tour de sa langue en tendant constamment l’oreille au murmure écumeux du ressac
Tant d’années pour n’obtenir aucun éclaircissement aucun portulan qui t’indique la longitude, ni la latitude de cette fameuse Ile Verte où réside en sa maison de cristal une toujours jeune beauté que tu appelles Vérité Tant d’années oui tant d’années !
Par-dessus ton épaule en jetant un regard tu aperçois la longue piste de traces cunéiformes devenue de plus en plus illisible à mesure qu’elle se perd en conjectures dans l’éloignement de tes souvenirs zigzags, effacement irrémédiable de l’errance Le voudrais-tu que tu ne saurais plus comment revenir sur tes pas
Il ne t’en reste plus rien que cet instant présent dont l’invisible substance est par ton corps incessamment traversée et par le geste de ta main qui continue en rythme à transcrire jusqu’au dernier jour mue par « l’énergie du désespoir » dont parlait le Poète le sillon de phrases aussitôt refermé que te dicte l’aventure de la mer.
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30 janvier 2010
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Odyssée 7
Comme si ta parole cherchait son orient rêve plus vrai que le réel le cœur plein de fureur rentrée tu prononces à mi-voix « thalassa, thalassa » en grec pour conjurer l’amertume que tu as emmenée avec toi telle une odeur aigre et tenace en quittant la proximité des hommes et retrouver - « thalassa, thalassa » - cette joie un peu triste dont se trame ta vie
La sérénité mélancolique de celui qui n’aurait pas connu l’amour ou n’en aurait connu que la tendresse en des temps oubliés
Une sorte d’Atlantide en ruine aperçue à travers la transparence des fonds que parcourent des raies-mantes au vol paresseux et des bancs de millions de poissons scintillants qui virevoltent autour des colonnes des arches sombres des statues aux ailes brisées des pans de murs fleuris d’actinies entre les doigts desquelles palpitent des clowns jaunes et noirs
Tu rêves que le langage te promène ainsi au gré des courants t’offrant ici ou là au hasard de ses écharpes transparentes la corolle médusante d’un poème un vers couleur de printemps la musique d’une phrase au sein de laquelle respire clos sur lui-même ainsi qu’une chrysalide un embryon de mystère doré.
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30 janvier 2010
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POUR RIRE
Si tel est le destin des poètes
Que d'être méprisés comme des morts-vivants
et transparents aux pourritures lourdes
aux blanches lèpres de l'humain
soit leur seule existence - quasiment
inaperçue mystérieuse confidentielle !
Deux cent douze personnes Pas une
De plus - sur cinquante millions ici
Et des milliards de poux bipèdes
Sur l'écorce terrestre - ailleurs !
"La poésie en France" a dit
quelqu'un (pour rire, je suppose)
"aura été l'événement majeur
de notre siècle - après la rose !"
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30 janvier 2010
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UNE VOIX
Ton pas noir traverse l'étendue comme au ciel une fumée
L'ami s'éloigne les cabanons sont désertés au bord des profondes marées d'Octobre.
Dans ta mémoire une voix sans visage balance qui caresse en chantant des phrases étrangères
Une voix qui voudrait vivre et briser sa prison d'échos
Non qu'une impuissance quelconque te borne Non que cet univers de roches et d'écumes mauves se refuse à être aimé
Mais comment prendre ? Comment répondre à l'altérante fragilité de cette mer aux seins innombrables de cette houle aux aisselles salées...
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29 janvier 2010
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L'ATTENTE
Naissent pourtant hors du rêve dont nous sommes nés un cent de pointes étoilées au fond du bleu théâtre de ce soir
Tu cherches l'herbe la plus simple tu cherches sans chercher
pour garder tes rivages purs
Vaine l'attente ! Ce que tu aimes te surveille le jour oblique accuse l'ombre miroir si doux de l'eau dans un autre regard
Et l'eau descend tournant les pierres aux silences légers
Qu'espérer d'elle - mais qu'espérer de son peu de lumière aussitôt tarie dans les sables
Toi qui ne touches rien d'un univers indiscernable.
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28 janvier 2010
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CETTE CHOSE
Cette chose dans la vie qui sans cesse nous abandonne légère comme un rêve et se fait oublier comme on tourne la tête et soudain plus personne
Que le merle rieur en haut du peuplier ! Ces ciseaux de coiffeur tout près de ton oreille bruissement impatient souvenir ailé d'Euménide au creux nacré par un reste d'enfance
Rien qu'un merle noir et lustré qui lisse comme une évidence son plumage au fourché caudin du peuplier Là où tête baissée défilent les nuages semblables à des jours vaincus et humiliés
Et l'on n'entend et l'on ne voit personne hors le soir qui ramage aux grands arbres flexibles et le silence de cristal dans les clochettes qui résonne avec l'âme qui nous revient frisson d'un beau langage
Vêtu de nuit à l'ouverture des étoiles fleurs de pierre soleils chacun dans son abîme chimérique comme un ancien livre d'image où pourtant souples et vivants s'avancent des saints gauches
Avec leurs capuchons pointus leurs bures hiératiques leurs faces rayonnantes d'ancres vieilles et barbues juste au-dessous des auréoles d'écubiers
Alors que l'astre au fond de nous se fane et disparaît donnant un instant l'illusion que la mort a changé de cible !
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28 janvier 2010
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JADIS ET NAGUERE
Là-bas tu sentais le printemps
Venir comme l'angoisse agite
A présent dans tes yeux trop grands
Ses ballets d'ombres sélénites
Un printemps moutonnant vers l'aine
Turgescent et rose, et boudeur
Plus que ces conques de Verlaine
Où macère une trouble humeur
Et toute prudence étrangère
Entre tes lèvres devenait
L'objet d'une nacre perlière
Et du délice qu'on connaît.
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