DE CHOSES ET D’AUTRES
“Encore une aurore couleur de champagne, pétillante au point que j’en ressens des fourmis dans les jambes... Cette immensité, qu’on voit grâce au peuplier quand sa cime dans l’azur balaie les nuages, c’est le vent...” Citation d’un poème de naguère, sans doute trompeuse. L’heure est plutôt à Yahuarcocha, à la Bibliothèque de Huancayo, au treize tours de Chanquillo, et à la spirule phosphorescente !
Comprenne qui pourra. Du reste voilà qui n’a d’importance pour personne ! Dans les abysses de ma mémoire, rôdent ainsi, éparses, quelques images d’Atlantides, avec panoramique sur les ruines, assorti du finale de la première symphonie pour orgue de Vierne. Continents lointains, peuples du soleil, plumes de quetzal et oreilles d’or, précipîces verts où rugissent les Urubambas !
Plus proches, les humains de ces régions perdues. Le regard adouci par les herbes fumées, dans le hamac, ridés, les vieillards bruns se balancent, qui ne vivront qu’une demi-vie. Maisons de bois et de feuilles. Les serpents se déroulent des branches basses, dans la pénombre du sous-bois proche. De petits cochons crient dans la boue en jouant avec les enfants nus. Une femme aux seins flasques, mais au beau regard, les enjambe.
Mes mondes à moi ne sont connus de personne. La lune seule les partage, depuis le temps où, par ma fenêtre ouverte, elle descendait la nuit, dans un parfum de jasmin, avec au poignet ses bracelets d’étoile, et passait la main dans mes cheveux collés par la fièvre : “Mais non, mon poussin mais non... Ce ne sont pas les papyrus des momies qui viennent te chercher, mais le vent desséché des bambous légers...”
TEMPS MODERNES
Ne faites pas le jeu d’un vent polaire. C’est assez que nous soyons environnés d’une foule de Cimmériens et autres tribus perdues, constamment persuadés qu’ils sont insultés par la lumière !
Agressifs, convoiter un or qui n’existe pas leur tourne la tête. Ils arrachent aux enfants leur médaille de baptême, aux petites vieilles leur sac a main, leur collier de veuve et tout ce qui sur elles brille.
Ils veulent imposer leurs langues sauvages, leur rites cruels de nomades. Répandre le sang est leur fête. Écraser les innocents leur jouissance. Un Moloch réclame d’eux, croient-ils, pareilles pratiques.
Gouverner nos cités, leur rêve. S’approprier nos cabanes et le peu que nous possédons, leur but premier. Tous les prétextes sont bons pour punir les faibles de leur “impiété” : leur seule règle.
Nous autres, convaincus de l’injustice du monde, au nom de l’indulgence les encourageons et leur tendons en souriant le sabre avec lequel ils nous égorgent, la kalachnikov pour nous massacrer.
À COUP DE RÊVES
Je ne vise à distribuer ni des preuves, ni des illusions. À coups de rêves, tel un moissonneur avec l’éclair de sa faux moissonne un champ fécond de minuscules momies, j’inspire.
Puisque me font défaut souvent les mots de la merveille, je raboute ceux qui me restent, troués parfois d’espaces sans fond à teneur de pur silence, hublots laissant entrevoir d’incommensurablement lointaines galaxies.
De jeunes Hermès aux talons emplumés entre elles louvoient librement, enfants grandis de la lumière couvée dans mon ombre, cette mère-poule maladroite !
SENTENCES DE GRANIT
L’amour nous trompe, nous fait penser que nous pourrions dominer le jour, que ce qui nous change, nous change en notre faveur.
Lorsque notre conscience, résurgente, paraît après un temps dans sa transparence parfaite, c’est une âme asservie au futur qui se révèle, ainsi qu’un navire enchaîné à son ancre.
Elle va et vient, ne revenant à son présent maçonné que pour confirmer son bonheur, à la façon de l’hirondelle dont j’entends pépier les rejetons sous l’avant-toit.
À la fin, nous nous retrouverons comme agrandis de tout cela que nous aurons perdu, piste de gestes innombrables, de baisers semés à l’instar des cailloux blancs du Petit Poucet.
Égarés, nous n’avons que ce passé pour regagner la direction essentielle, qui de nous-mêmes ne laisse rien que le plus dur noyau, une fois effeuillées les verdeurs de nos coeurs d’artichauts !
POUSSIÉRE DE LA CRÉATION
D’où nous viens-tu, poussière ? Ensemençant avec acharnement mon refuge, quasi-vivante alors même que nous mourons de nous absenter de notre forme en l’échangeant avec ta poudre.
Te déloger des angles, des recoins, des en-dessous, plus encore d’entre le foisonnement des livres, tâche aussi infinie que celle des malheureuses Danaïdes.
La guerre s’exacerbe avec le Grand Ménage de Printemps, en lequel nos compagnes sont de loin plus expertes que nous, misérables Chevaliers de l’Aspirateur.
Au quotidien, comme on dit, la lutte sournoise persiste : il demeure toujours une pellicule de grisaille quelque part, pour qui s’oublie à n’être pas constamment armé d’un chiffon humide.
Ainsi le dépôt, avec le vent, d’une dissémination poétique en nous, pollen universel dont on s’efforce, une vie durant, par testaments successifs, de se débarrasser.
Tout en ayant bien conscience que la mort seule aura la vertu d’y parvenir. Lorsque le dernier roseau, l’ultime ligature de sang noir, auront en un cri de syrinx épuisé notre souffle.
D’UNE ROSE FIGURÉE
Prisonnier de ton incarnat, rose libre, je t’imagine par les rues, lorsque tu partages tes sommeils aux paupières bleues.
Tes amours ignorés dans mes regards s’affirment comme des atouts dans une main de cartes, pour des parties que tu gagnes ou perds avec un regret proche de l’indifférence.
Une âme simple te recueille, à toi seule tu es son jardin. À moi ta limpidité, aux autres l’énigme. Le bleu de tes yeux est immense comme l’extralucidité de la petite Chouette Divine.
Continue de m’apporter la couleur de tout ce qui m’approche. Je m’occupe de l’eau dans le jade aux cinq chauve-souris, ô la Seule au coeur parfumé.
Finalement, malgré tes intermittences et la rosée de tes pleurs, tu demeures la fraîche amante - amande ? - du soleil.