Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
2 juillet 2014 3 02 /07 /juillet /2014 08:48

 

Dans trois ans...

.

Que cela sera joli -  ta petite tête au yeux étonnés

dépassant à peine du haut pré fleuri d'ombelles blanches

lorsque nous irons explorer le monde ensemble

Toi flageolant encore sur tes courtes jambes potelées

.

Tu questionneras sur  le chat furtif agitant la foison des tiges

Sur la perdrix qui jaillit sous nos pas en faisant ronfler

lourdement ses ailes (et je t'aurai vu tressaillir et suivre

l'essor fasciné de l'oiseau) Sur telle pierre ou tronc coupé

.

Sur les fourmis longeant la rivière à la queue-leu-leu

si minuscules et – pourtant – pleines de jambes filiformes

Ton doigt désignera la poire verte qui – ploc ! - a sauté

dans l'eau et moi de tes étonnements je ferai mes délices...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

.

Explosion

.

J'anticipe déjà l'immense déflagration de joie 

que sera pour nous - tes ascendants surpris -

le fait d'assister à ton premier éclat de rire

spasmes de bonheur de ton corps tout neuf

.

Il sera sans nul doute communicatif par réaction

en chaîne emportant l'assistance dans un mouvement

capable d'enfouir nos angoisses sous son insouciance

donnant un instant l'illusion que vivre n'est pas tragique

.

Jadis il me fut donné d'assister à celui de ton père

Et je sais par avance Ezra comment retentira le tien 

Ton rire sera net comme un cristal Puissant et frais

comme une avalanche décrochée d'un sommet inviolé

 

 

 

 

Variations ascensionnelles

.

Ce serait sous le haut couvert des pins où le ciel frissonne

Nous observerions comme entre ses mains fines l’écureuil

sans cesse actif tourne la pomme écailleuse qu’il décortique

Des mains petites comme sont tes mains de nouveau-né

.

Ce serait devant la haute mer dont le matin verdit la vague

Nous écouterions le cri des mouettes qui traversent nos regards

en batifolant libres parmi les nuées d’un étage à l’autre de l’été

Des cris un peu plaintifs légers comme un vagir de nourrisson

.

Il y aurait la montagne aussi quand elle éclaire de ses neiges

les soirs dorés par la lueur déclinante du dieu Je t’aurais transmis

le goût du pur effort de roc en roc et du monde vu d’en haut

quand îlot le sommet perce les blancheurs d’une intangible mer

 

 

 

 

 

.

El sonido de la kena

.

Si vient le jour où tu sois assez grand et moi-même assez

vivant Ezra je te jouerai sur la kena des mélodies venues

du fond des âges et jadis reçues d'amis d'un autre siècle

Elles t'apprendront sans doute comme à moi la nostalgie

.

Ce sont chansons d'un peuple qui n'eut d'autre loisir

que de cramponner sa terre ingrate et de résister sans fin

sur de haut-plateaux cernés de monts enneigés et de pauvreté

Un froid glacial y transissait les vigognes de l'août sur l'étendue

.

Ils habitaient des masures en glaise pourpre desséchée

Au jour le jour broyant les grains d'une sombre lumière

Ils vivaient en s'aidant d'un alcool mûri de salive édentée

Et pourtant ils savaient tournoyer en des fêtes multicolores

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

.

Jalousie élémentaire

.

Au vent j'ai dit qu'un petit fils m'est né aussi délicat

et précieux qu'un fin coquillage rose porcelaine

Le vent m'a dit je ne peux rien pour toi sinon

te souffler un poème et il a vitement passé son chemin

.

À la mer j'ai crié par dessus la rumeur des vagues

qu'un petit fils m'était né Elle m'a ressassé de sa gorge

pleine de galets que ce miracle n'était pas rare

et que les humains sont l'écume de l'univers

.

Aux échos de la montagne j'ai fait redire qu'il m'est né

un petit-fils gracieux fort et léger comme fleur d'edelweiss

Ensemble ils m'ont répondu qu'il n'y avait pas à en faire 

tout un plat J'ai ri de ce que me jalousait la terre entière

 

 

 

 

 

 

 

 

 

.

Insulaire

.

Né donc au sein d'une cité lointaine au bord de l'océan

te voici l'enfant d'une île et cette idée au fond me sourit

Tu auras des prunelles aux iris changeants comme les nues

de ton pays où pluie et soleil constamment se disputent

.

Tu parleras la langue du monde au point – je l'imagine -

de ne jamais pouvoir comprendre les poèmes dont tu es

le si joli prétexte Car déjà mon enfant la langue que je parle

est une langue morte obscure à mes contemporains

.

Cela n'a guère d'importance au demeurant puisque tu seras

aimé par ceux que j'aime et qui dureront heureusement

plus longtemps que moi Et confusément parfois te reviendra

l'image d'un très vieil homme dont tu ne sauras plus le nom 

 

 

 

 

 

 

 

 

.

Surrection

.

Je t'ai regardé longtemps dans tes langes cette première fois

davantage pétrifié d'être soudain grand-père que je ne l'avais été

d'être père jadis Le silence était de loin en loin troublé par les cris

des mouettes en maraude qui venaient du port aux beaux voiliers

.

Je t'ai regardé longtemps Ne crois pas que c'était pour chercher

les traits d'une quelconque ressemblance ou profil héréditaire

Non Seulement pour prendre conscience de ce que les années

m'ont appris De cette sorte de minuscule prodige qui jamais

.

n'a d'équivalent L'infime présence neuve incomparable avec

déjà ce regard inouï qui ne mettra que trois jour pour fixer

les choses et ces yeux qui plantent dans les nôtres d'un coup

l'impénétrable profondeur d'un Jugement encore inaltéré

 

 

 

 

 

 

 

.

Présomptions

.

Que je serais heureux Ezra lorsque tu auras un an ou deux

si tes petites jambes te pouvaient déjà tenir en équilibre 

à la surface de notre planète – d'avec toi marcher dans un champ 

tapissé de fleurs claires sous les oliviers Tu regarderais

.

l'éclaircie de ciel bleu entre les frondaisons et vaguement

tu te souviendrais d'avant ta naissance lorsque tu n'étais 

qu'un éclair de fusion dans les regards de tes parents 

Une secrète lueur mauve irradiant d'attraction magnétique

.

En te regardant je comprendrais J'aurais moi-aussi comme un rien 

de nostalgie du temps où jeune père en promenade je serrais

l'étroite main d'un enfant d'autrefois qui te ressemble tant

et fait de ma mémoire le paradis caché de séquences inoubliées !

 

 

 

 

 

 

 

 

.

Mysterraqué

.

Peut-être Ezra parlerons-nous un jour ensemble de la vie

Tu me diras d'une petite voix nette de little boy des choses

analogues aux réflexions saisissantes et drôles que me faisait

ton père au même âge Car enfant l'on discerne encore sans

 

.

le savoir ce qu'a de saugrenu et chaotique un réel devenu

- pour nous les vieux - terne falot banal insipide incolore 

en somme habituel Ce sera comme la brise au point du jour

qui tire au clair tout l'espace que recense sa verte lumière

 

.

Ou comme après la pluie qui féconde les arêtes et les ombres

Qui rend aux ocres des falaises leur vivacité Qui surprend

les plantes et les lave et leur rend leur forme inexplicable

à quoi chacun s'étonne de se reconnaître en plein mysterre...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

.

Urzeit

.

Il est le père Il tient dans ses bras le fruit de son émoi

L'enfant léger pourtant si lourd de conséquences

déflagration d'avenir monstre de fragilité robuste

dernier maillon d'une chaîne de survivants qui remonte

.

au-delà des aurochs des tigres à dent de sabre des ours géants

au-delà des premiers dinosaures des poissons primitifs

jusqu'à la prime étincelle de vie étonnée d'exister soudain

sous forme de microbe auprès d'un fumeur noir océanique

.

À présent que te voici - bambin Ezra - tous nous mourons

un peu moins Tous nous te regardons comme on suit qui vagit

en s'éloignant d'un vol serein vers l'horizon la mouette de la lumière

car ton petit corps emporte un fragment de nous tous vers demain

 

.

 

 

 

 

Langage d’oiseau

.

Sur la maison passent mouettes pies heures ou nuages

Un clignement de soleil éveille le feuillage de cristal

près de la porte d’entrée que justement toquent des visiteurs

Il viennent voir le bébé gigoteur et mesurer la merveille

.

C’est une fleurette dans un champ caressé par le vent

Un bourgeon à peine poussé de sa branche et qui désire

inconsciemment devenir branche à son tour Appeau vivant

il s’entraîne à de petits cris d’oiseaux assoupis

.

D’ici quelques années je t’imagine Ezra tendant le doigt aussi

pour qu’un oiselet l’agrippe de ses pattes frêles Vous vous

regarderez l’un l’autre avec curiosité Peut-être même avant

qu’il ne revole aurez-vous échangé quelques mots flûtés

.

dans cette langue primordiale qu’aujourd’hui j’ai perdue…

 

 

 

 

 

 

 

 

.

Conversion

.

Vieillard amer voici que j'avais commencé à détester

l'univers entier – qui le mérite bien faut-il le rappeler -

puis Ezra Flynn tu m'es apparu Le monde a basculé

dans la lumière d'une indulgence insolite pour moi

.

Quel talent cette petite enfance pour changer l'hiver

en tiédeur printanière avec partout des roses et des lis

Ce qui nous semblait mièvrerie se change en simple élan

de tendresse Les pleurs discordants – en joyeuse chanson 

.

Même ton regard sévère de nouveau-né me fait sourire

Tu fronces tes sourcils comme un qui peine à identifier

le décor et les gens fort différents des agréments du Paradis

lequel pourtant avec ta présence s'acclimate parmi nous 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Échange

.

Gracieux garçonnet attendu comme il me plaît de voir  

avec quelle tendre force ton père te prend dans ses bras

Toi qui n'est encore qu'un poids plume – petit coq !

Un flocon de douceur endormie et tout auréolé d'amour

.

On dirait que tu t'es posé comme un duvet de neige

ici-bas Hier personne Aujourd'hui dans l'osier du nid

le miracle aux paupières closes qui respire sous le linge

immaculé Petite vie prodigieuse d'assurance et de sérénité

.

Je tends mon doigt à ta menotte et tu l'agrippes en dormant

et c'est une telle humble merveille que ce geste de l'instinct

par lequel déjà tu t'empares - toi mignon somnambule aimé -

de ce qui s'offre à toi pour que tu l'aimes à ton tour !

 

 

 

 

 

 

.

Ombre et lumière

.

Il faudra bien un jour – enfant de mon enfant -

que je t'apprenne un peu qui sont les bons et les méchants

comme je l'enseignai jadis à l'enfant qui fut mien 

et dont tu viens de faire un père sans me consulter

.

 

Mais le plus tard possible afin de laisser une chance

à ton bonheur parsemé de sanglots encore à ton échelle

Il sera bien assez tôt venu pour toi le temps de découvrir

la perspective et d'aller de ton regard pur chercher dans les lointains

 

.

tous les affreux secrets que cèle la planète Autant d'histoires  

et drames hérités qui ne partagent rien avec le pacifique azur

...Qui sont les bons et les méchants – car à la fin il faut

bien appeler un chat un chat et connaître la vraie justice

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Emotion nue

 

 

Trois petites filles dansent dans Chaplin Road

Elles portent de longues robes roses piquées de fleurettes

Et s'exercent ensemble à des figures compliquées

Qu'interrompt par moments une légère averse

.

Les voix des fillettes parlent un dialecte du sud de l'Inde

Ezra dort dans son berceau Parfois il sourit aux anges

d'un sourire énigmatique de petit Bouddha

Haut comme trois pommes en lui le mystère de l'univers

.

Quelle puissance inexplicable cette enfance si petite

Et sans armes autres que son sourire et ses larmes

Elle se joue de nous avec une aisance magnétique

En activant au fond de nous un invincible lien d'amour

 

 

 

 

 

 

 

 

Averse à Heron rd.

 

 

La voix du nouveau-né à l’étage monosyllabe de cristal

Alterne avec l’autre voix douce apaisante et ferme de sa mère

Dans les vases sourient les fleurs en silence étamines en avant

Il faut que le petit découvre au plus tôt les beautés du monde

.

L’averse par instants colle sa face larmoyante à la fenêtre

Curieuse de savoir à qui appartient ce dialogue originel

De son berceau le nourisson cherche quelle inconnue présence

Fait contre la vitre ce cliquetis d’ongles limpides qui éclaire

.

Oreille minuscule coquillage Cheveux fins sur ce crâne poli

comme des algues par la mer collées sur un beau galet rond

Vagissements rythmés comme ceux des ondins de l’écume

Ainsi qu’il sied à celui qui est désormais le dieu de la Mère !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Passage du témoin

 

Joli bébé vêtu de vert ainsi que le printemps

Tu t’essaies la voix tandis que Mozart déroule

tout bas près de ton berceau sa chansonnette au piano

Et le soleil cligne de l’oeil entre deux cheminées de briques

.

couronnées en dents de scie comme à la fête des rois

Toutes les maisons du quartier semblent s’être coiffées

de ce même ornement en ton honneur Elles savent

Fort bien que c’est toi Ezra Flynn l’héritier de nos songes

.

Et spéculations fantasmatiques sur l’avenir C’est toi

qui relances l’espoir de vies que l’inattendu avait désertées

Toi la graine d’un bonheur immense effrayant et fragile

qui serres mon index comme s’il pouvait t’en montrer la route

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Paysage maternel

 

Sous le feuillage de cristal en lequel se joue le soleil

mère et enfant communiquent par ronronnement doux

de visage à visage cheveux pendant en avant jusqu’à

l’épaule du bambin en contemplation extatique

.

Ce que consultent ses yeux c’est l’humeur du paysage

que sont pour lui les yeux le menton le nez les mèches

à portée de mains pinces miniatures qui agrippent

par surprise avec la force du vespertilion somnenvolé

.

Pourtant elle aime, Ezra, tous tes incertains caprices

Un sourire de toi lui fait bondir le coeur - plus tard

chaque mot que tu lui diras s’y déposera pour toujours

Car c’est ainsi que sont terriblement faites les mères

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

.

Encore un matin

.

 

                                                    pour Cassie

.

Lenteur pour l'innocence aiguë de ton regard - Ezra

Comme en un film au ralenti Comme en songe

à mes gestes prudemment je tiens la bride

pour ne pas risquer de t'effaroucher 

.

Quelque mystère en ton sourire à demi-dormant

m'apaise On dirait une bombe qui aurait promis

de n'exploser que dans très très longtemps Ma main

sent que bat une minuterie dans ta poitrine frêle

.

Ta respiration infime est une musique tranquille

Tu es serein comme un qui se sait bien aimé

Autour de ton sommeil le petit-jour chuchote

À te contempler s'attardent au ciel deux ou trois étoiles...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

.

Obsolescence

.

Si le loisir Ezra m'en est laissé je te dirai

un jour combien notre monde fut différent  

Les colombes arpentant les tuileaux de mon village

Aux champs l'appel exquis des pruniers sauvages

.

Les hautes cannes vertes qui nous protégeaient

nous amoureux des regards tristes et réprobateurs

tandis qu'au clocher de fer forgé sonnait six heures

et qu'au ciel les hirondelles criaient de bonheur 

.

En ce temps-là le soleil régnait sur le pays des origines

Les rues n'étaient que sourires et que signes d'amitié

Respect aux cheveux blancs respect au patois provençal

Et les jours de marché pour nous étaient des jours de fête... 

 

 

 

 

 

 

.

Allegretto vivo

.

D'un bref cri de chaton te voici affirmant ta vie

Ezra Deux mains sur le visage tu t'assoupis

En toi tout en détails est délicieuse miniature Ongles

minuscules de nacre transparente Doigts gracieux

.

et comme nonchalants Bras ronds et grassouillets

Mignon corps qui gigote comme une grenouille

qu'on a mise sur le dos et qui cherche son étang

intangible désormais Et ces moments d'une voix

.

Une voix qui sait qu'elle n'a pas besoin de dire

Qu'une claire syllabe encore animale suffit et qu'alors

des puissances familières vont venir à la rescousse

de tes désirs de nourrisson et de tes impensables rêves.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

.

Ezra – après vingt-quatre heures

.

Petit gémeau Petit fruit rose et souriant de tant d'attentes

si patiemment entretressées entre deux mondes 

te voici donc Et voici que chacun s'extasie au moindre

geste de ces doigts que tu découvres Au moindre bâillement

.

arrondissant comiquement ta bouche et te fermant les yeux

Les vieux sur ton visage scrutent des invitations à l'espérance

Les plus jeunes détaillent les indices indécis de ressemblances

Tu rayonnes dans la simple gloire qui fait la beauté des mères

.

Bonjour à toi de la part de l'Humanité Tes pareils te saluent

Ils savent en quel chemin de fleurs de pierres et de braises

aventuré tu vas devoir comme on dit couler désormais tes jours

Des jours qui suivront celui-ci et seront doubles comme toi.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

.

Avant toute parole

.

Quels tours utiliser pour parler de l'enfance à peine

irrompue avec ses mains minuscules et potelées

en ce bas-monde visqueux à force de mystère 

Un cri bref lui suffit mais ne nous suffit plus Il faut

.

pour nous un plus long souffle Un courant de phonèmes

variés et miroitant comme en secret de l'énergie du poème

Il nous faut un delta composé des discours les plus divers

afin qu'existe pour nous l'Autre et qu'on existe pour lui

.

Oh de nouveau habiter le regard de cristal de l'enfance

Revoir la merveille du monde à l'envers et ces visages

penchés vers moi qu'auréole un azur d'une telle envergure

qu'en poussette on pressent ce qu'un jour on va nommer infini !

 

 

 

 

 

 

 

 

.

Dix minutes après

.

Joli petit dormeur qu'encore ta mère veille    

lorsqu'on te parle tu miaules comme une mouette

et te rendors aussitôt parmi les nuages de ton paradis

à tire-d'esprit filant à travers l'espace de tes rêves

.

Qui peut croire que tu serais absent lorsque tu réponds

grâce à ce puissant inconscient qui déjà s'est attelé

à la tâche de créer un monde avec tes sens nouveaux

favorisée par le magnétisme de l'amour qui te cerne

.

Mignon centre de ton univers déjà tu cherches le site

d'où s'écoule la vie généreuse abondante et tiède

qui te porte et te nourrira de sa violente tendresse

jusqu'à te reconnaître assez grand pour happer au vol

- les pieds campés solidement sur Terre - d'autres rêves.

 

 

 

 

 

 

.

À toi songeant, Ezra...

.

À toi songeant, Ezra, un champ de marguerites sous les oliviers

m'apparaît. C'est irrationnel comme tout ce que je sais qui durera

plus que moi-même. Toi aussi peut-être iras-tu voir à Olympie

le printemps, ou bien à Corfou, l'île émeraude où l'on est heureux…

.

J'espère qu'en ton temps les splendides ruines existeront encore.

J'espère qu'il y aura un monde et qu'il te semblera, toi qui n'auras pas

connu le mien en train de sombrer dans les profondeurs de l'histoire,

aussi vivable qu'il se peut lorsque, homme fait, nous échoit un rien

.

de bonheur, une frimousse rose à peine éclose dans ses linges clairs,

endormie entre les bras d'une mère étonnée, avec sur son visage 

l'invisible immensité d'aimer que seule l'expérience d'un regard 

qui a longtemps fixé la face de sa mort peut fugacement déceler.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

.

Sentences pour Ezra

 

.

Il redoutait qu'en sa flûte de roseau la vibration de vie qui portait la mélodie ne s'éteigne. C'était un frémissement qui avait survécu depuis le temps de Saxahuaman, le temps des guerriers farouches aux oreilles d'or. Certains instruments vous apprennent l'âme d'un peuple.

 

*

 

Je crois à l'humain lorsque la pensée est floraison spontanée de la nature humaine, non l'effet d'un échafaudage artificiel déserté par l'émotion.

 

*

 

Un philosophe qui ne serait pas fondé sur un poète, qu'il soit en lui-même ou extérieur, ne saurait penser ni utilement ni humainement. (Idem pour un homme de science.)

 

*

 

La foudre est pour le poète la face cachée de l'éternité.

 

*

 

Terroriste, tu crois avoir démodé les roses. Ta faiblesse est de n'avoir pas conscience qu'elles te survivront.

 

*

 

Le poème et le souffle avec le temps se fragmentent. Un seul fragment pourtant suffit pour un esprit pénétrant à témoigner de l'existence d'une civilisation ignorée.

 

*

 

Dis-toi que, tout brisé que tu puisses être, tu n'es jamais que le reflet du chaos qui t'a vu naître. La lumière verticale en triomphera.

 

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0
22 juin 2014 7 22 /06 /juin /2014 17:24

 

 

.

En mon silence

.

En mon silence personnel passent les nuages

avec un bruit de papier qu'on froisse

ou de mistral dans les frondaisons de l'automne

Du sang au fond de moi circule dans le noir

charriant une humeur d'oxyde de carbone

sans issue

.

Point de jour ni de nuit pour cette voix coupante comme verre

brisé qui se propage et fuse

accompagnée d'une kyrielle d'éclats

digne d'une comète

solitaire au sein d'années-lumière d'absolu parfait

parfois scintillant d'un écho fugitif

.

C'est un espace sans amour

sans un rire d'enfant vacillant sur ses jambes neuves

sans une jeune mère au profil pur et sage

sans un geste de mise en garde ou de compassion

sans même l'offre d'un murmure d'eau limpide

gloussement de ruisseau cascadant sur une dalle de schiste

bavardage mélancolique du lavoir sempiternel

en lequel nul couteau rouge n'est à laver

.

Ma soif reste dans la lumière du désert ardent

en lequel je réside grain de sable dérisoire

qui se parle à lui-même en son silence personnel

avec un bruit de nuages et de papier qu'on froisse

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ellipsoïde

.

Jeune, on accepte le compliqué, parce qu’on est certain d’avoir l’énergie pour le dominer.

Avec les années, on aspire au simple et au nu. De plus en plus exténué !

.

Je te le dis mon poème est triste

Il n’est plus qu’un regard d’enfant pour l’égayer

Son cri de pure joie

Sa vie commençante – en culottes courtes

Les bras levés

Pour le ballon qui s’envole vers l’immense bleu

.

Un saule blanc pêche des reflets à la ligne, au fil du courant. Philosophe, debout sur le talus près de l’eau, un vieil if l’observe. Athéna l’habite. Cela vaudrait une fable.

.

L’Étoile Polaire, la Croix du Sud. Elle, moi.

.

Que de ton cœur jaillisse

D’une banalité pourtant inoubliable

Le poème

Quadrature du cercle

Rectangle à l’épair lunaire.

.

Insondable, ce qui inspire, comme un astre au fond d’un puits. Parfois convulsé…

.

Le vagissement du nouveau-né. Une mouette en mai sur la mer.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

.

Sans ambages

.

Pour la belle simplicité d'un vers à la cadence pure, il eût donné toutes les gemmes de Golconde.

.

La barque de bois attiédie, sur l'eau nue. Les saules pleureurs dans leurs filets ramenant ainsi qu'un brochet le soleil de l'après-midi. Ton sourire qui embaume l'air d'invisibles lis. C'est assez.

.

L'allant qu'il laissait infuser dans ses écrits à l'intention des autres, combien il aurait aimé se l'enseigner à lui-même.

.

Une sorte de chanson que rien n'apaise. Comme un passereau victime du printemps !

.

Deux choses ont tendance à ne plus revenir, dans mon pays : la rime et l'hirondelle.

.

Ne jamais être un modèle, mais une source. Que mille oiseaux bigarrés viennent y rincer le cristal de leurs chants.

.

Le plus haut sentier, c'est aussi celui où le vent fait vrombir le plus fort les rhombes des mélèzes. Au-delà, voici l'immaculée conception.

.

Pas de repentir possible ! Tel un coup de pinceau sur le papier de riz pour les veines du dragon du sumi-e, ou le premier pas d'un enfant hasardé dans la neige...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

.

Vie d'exilé

.

Je ne te dirai pas, jeune homme distrait, que la vie est un exil qui n'en finit pas. Chaque jour, il s'accuse, encore que le panorama est si riche à ton âge, que dans cette profusion, bien malin celui qui s'apercevrait de ce qu'il perd. Ce sont détails qui n'ont de sens que lorsqu'on subit le progressif dénuement d'un âge avancé. On perd un peu de force musculaire, on perd sa maison, voire son pays. On perd les enfants petits jouant au jardin. On perd le cœur qu'on mettait à l'ouvrage. On perd les illusions, naguère encore suffisantes à la combustion de l'espoir.

Puis on perd les livres, le goût des fictions. On se détache de la sentimentalité navrante, qui nous soulève le cœur. Et ainsi, détail après détail, ce qui constitue le « monde des Autres » se met à nous répugner de plus en plus. Au point qu'on sait que ce n'est pas cela que notre agonie regrettera de quitter, mais plutôt d'humbles choses : le timbre d'un loriot ou d'un rossignol. L'odeur d'une mèche de thym ravie à la prairie. L'amicale et rugueuse sensation contre notre front de l'écorce d'un tronc de pin ou de chêne. Le frémissant chuchotis du premier soleil dans le nuage feuillu de l'olivier. La honte fidèle du chien qui sait qu'il nous a impatiemment réveillés parce qu'il n'y tenait plus.

Oui, ce sont des riens que nous regretterons de cette terre, excepté, pour certains, la profondeur des regards échangés avec de rares êtres intensément aimés. À condition qu'ils ne nous aient pas depuis longtemps, de gré ou de force, abandonnés comme nous en abandonnerons de gré ou de force à notre tour, tout humain devant conserver à l'esprit que sont temps de vie est compté, quoique nul ne sache vraiment par qui !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

.

Incursion

.

Hurlez, aboyez, singes tristes parmi les branches penchées sur la cascade immense. Chatoyante mousseline et tulles au soleil ! Quelques touristes rougeauds vêtus sans dignité commentent. Leurs gros genoux cagneux et plissés s'enfoncent dans leurs shorts couleur caca d'oie.

.

Passez en trottinant, ânes surchargés, par l'étroit sentier. Les ballots énormes tanguent, frôlent la roche du défilé. Très distante encore, l'orée de la montagne flamboie devant, dunes et cabanes en tessons de poteries. Un avion brode quelques rares fleurs de nuage sur le ciel impitoyable.

.

Monsieur guide madame sur la pente, les lacets du sentier sont serrés. Une floraison inattendue de marguerites ploie dans la brise, qui soulève les chevelures et les linges. Demain, l'on visionnera les photos sur l'écran des téléphones. On rira des visages à demi-bleuis par les ombres.

.

En bas, l'oued calmé sinue en reflétant des palmes. Les oiseaux sur les pierres plates relèvent leurs becs de l'eau et se gargarisent. Aux crêtes blanchies par des strates de phosphates, se profile de temps à autres la silhouette successive et bossue d'un dromadaire en caravane.

.

La chaleur tend une limpidité tremblante entre le paysage et nous, comme pour trahir la secrète instabilité des choses. Toi-même, beauté, il suffira que tu t'éloignes d'un jet de pierre pour te révéler incertaine. Il n'en faudra pas plus, j'en ai la conviction, pour que sans préavis tu me tournes le dos.

 

 

 

 

 

 

 

 

Ostinato

.

Comment prendre au sérieux celui qui est au sein du cosmos à peine moins perdu qu’au milieu de son profeuillage de poèmes ? Serait-ce que pour affirmer envers et contre tous l’existence de l’impalpable Poésie, il s’acharne au point d’en aboutir à s’égarer ?

.

Il y avait bien une clé. C’est la porte qui manquait. Si j’en avais trouvé la serrure, il se pourrait que j’aie aujourd’hui moins ridicule figure.

.

Que l’incendie froid de mes écrits consume dans ton esprit la traîtrise des humains à l’égard de leur paradis en plein naufrage, voilà un rêve dérisoire ! Mais je le cajole avec sollicitude.

.

Un grain de sable. Peut-on imaginer qu’il enraye le mécanisme titanesque, en passe de broyer tous les peuples sans distinction ?

.

Soyons des êtres de silence et de respect. La beauté naturelle de notre Terre le mérite.

 

 

 

 

 

 

.

Vaticination

.

À la fin pour l'exilé, l'idée que pourrait persister l'espoir de revenir se dilue dans le rude courant des jours, telle une montagne dans la brume charriée par un vent glacé.

.

Le lumignon qui clignotait à flanc de nuit s'évanouit, avec le sentiment que l'altitude nous est désormais interdite, que devant nous s'étend la blancheur luisâtre d'un ossuaire.

.

Notre nom lui-même fondra, parti à la dérive et s'amenuisant ainsi qu'un glaçon cassé de sa banquise. Il n'en demeurera un temps qu'un passé douloureux puis rien, plus rien.

.

L'amante des îles aux parfums de thym et de lentisque, en peignant la fourrure de sa licorne familière, offrira sa jeunesse au clair de lune et grandira, envahie par la certitude de la mer.

.

Son âme primesautière aura bondi, éperonnée de ses blessures silencieuses, jusqu'à cette sorte de douceur tellement violente qu'elle lui offrira, plus tard, le consentement des mondes.

.

En ce lointain futur, ce sera nue, et déserte, que la montagne émergera des vapeurs, avec cette allure d'étrave dont ne viendra jamais à bout le temps qui vient à bout des hommes.

 

 

 

 

 

 

 

.

Cinq pas au Nord

.

Perturbable fleur de lumière, tu as les inflexions d'une chanson préférée. Ton silence éloquent traverse l'espace et féconde les étamines de l'azur. Instable lorsqu'on navigue sous les ponts de Bruges, tu nous précèdes au miroir des canaux. Je me souviens de toi comme si je t'avais rencontrée, ici mate au flanc d'étain d'une chope, là brillante aux vitrines ennuagées. Tu es l'écrin du carillon qui brise indéfiniment son cristal au beffroi.

.

Ostende offre à présent sa promenade. D'instinct, chez Van den Berghe, une impulsion nous fait entrer pour des gaufres et de crêpes assorties d'un thé fort. Face à nous le vent brosse le pelage de la mer aux airs glauques d'océan. Les mouettes virent et se répondent, signalant d'un cri plaintif le moindre éclair argenté qui gicle de la vague. Qui dirait qu'un demi-siècle s'est engouffré dans le néant depuis ma dernière visite ? Luxe, calme et volupté...

.

Ô longues lueurs du Nord, fleuves sinuant parmi les merveilles des pimpantes cités, parmi les étendues vertes ornées, ainsi qu'un potager d'un épouvantail, des gesticulations désespérées d'un moulin à vent en train de se noyer dans un ciel d'orage, jusqu'à la plus sombre étendue des eaux, au-delà des dunes parsemées de touffes d'alfa de Sint-Idesbald...

Marchons par le Strandlaan jusqu'à Baldus beach, l'immense plage à présent aménagée...

.

Longues heures irréelles, grues de fer tenant en suspens des vapeurs joufflues couleur d'ecchymoses au-dessus des toits anciens aux clochers aigus, je sens le fourmillement des secondes fraîches sur ma peau. Dans ma tête se déroulent des portulans, s'y animent des trois-mâts plus compliqués de gréements que toiles d'araignées ; on décharge des tonneaux sur les quais dans un sourd roulement de pièces d'artillerie. Des marins se hèlent, ou jurent.

.

Sur mon épaule est encore douloureux le poids des ballots déchargés, la journée durant. Je songe à une dame inconnue qui dort avec son chat dans les étages de la capitale. Aucun bruit, l'atmosphère promène des parfums mystérieux. J'attends la nuit, ses clartés noires et ses périples à teneur si forte d'illusion qu'on les prend pour du réel. Dans les ténèbres une voix d'étoile polaire chantonne des couplets où il est question d'amour et d'éternité.

 

 

 

 

 

.

Pour la soixante-dixième

.

Sable et paille, a dit le poète exilé. Or moi j'ajouterai falun des urnes. L'espace est tel de mon désert couleur de tourterelle...
Et celui qui n'est pas aimé, ses fautes sur l'épaule, s'y enfonce avec son bâton torsadé. S'il n'est pas pèlerin, malgré sa houppelande,

Les collines arides crénelées de ruines, avec leurs tablettes gravées d'idéogrammes ou de runes sous la poudre, éveillent au ras de l'horizon bleu sombre une lumière qui l'attire.

.

Le temps soulève le khamsin devant les pas de qui voulait le suivre. On y entend gémir les âmes égarées. L'opacité de l'air s'intensifie jusqu'à l'irrespirable. Même les sibylles aux yeux extralucides, ne pouvant plus lire la piste, finissent par renoncer. Qui peut suivre celui qui ne connaît pas le retour ?

.

Que sa mémoire prenne la plus jeune et la plus triste par la main, la guide jusqu'à recouvrer la voix, qu'à nouveau elle acclimate ses énigmes au cœur des cités ! Et que nul ne se soucie d'apercevoir au loin ma forme qui se dissipe en poussière !

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0
14 juin 2014 6 14 /06 /juin /2014 10:09

 

 

Itinéraire

.

Le ressac du vent dans les arbres en ton cœur réveille l'inachevée symphonie des forêts de tes jeunes années

Lorsque d'un cantique pur l'alouette à la cime du matin ouvrait un infini de cristal

Quelle innocence alors dans le sommeil des fleurs

Sans motif tu sentais les larmes brûler tes paupières

Et tu frissonnais d'avoir un moment croisé le regard d'un chevreuil

.

Depuis le chemin s'est évanoui

Insensiblement et sans traces

Échappant à la surveillance des oliviers et des coutumes anciennes

Les murs de pierres sèches sont noyés sous les ronces aux fruits couleur d'encre

Tu avait hâte de grandir imaginant que c'était un bonheur de devenir un homme

D'affronter avec des membres forts la duplicité des eaux et l'écrasante domination des monts

Pareils à de sombres polynésies sur la mer de nuages

.

Même redescendu parmi l'agitation fourmillante des plaines

Une étendue quasi-psychique de blancheur est restée collée à tes pas

Sous forme d'une solitude écrite à laquelle il n'est pas de remède

Et que renforçait le mistral au lieu de la dissiper

Soufflant sur tes moissons de mots l'or d'un ondoyant exil

.

Dans la glace ovale où tu te vois

Aujourd'hui quoique disant « je » tu ne te reconnais plus

L'oeuf du monde au premier plan affiche un imbécile qui copie tes gestes

Derrière lui se creusent les ombreuses profondeurs de la mémoire

Telles ces armoires de chêne pleines d'une noirceur sépulcrale

En lesquelles ta mère rangeait une infinie quantité de secrets merveilleux

Qu'après sa disparition tu n'as retrouvés que tristes et déteints

Et ternes comme rêves dont on a si souvent pincé les ailes

qu'elles en ont perdu leur poussière exquise d'arc-en-ciel

.

Seule la beauté de la Femme est demeurée radieuse intacte

Comme une de ces amphores grecques qu'on retrouve dans la mer

Après un très ancien naufrage

Et dont les lignes sont si parfaites que rien n'a pu les briser

Tandis que le ressac du temps dans ton âme à la faveur de l'amour réveille l'inachevée symphonie de tes jeunes années.

Partager cet article
Repost0
13 juin 2014 5 13 /06 /juin /2014 18:49

 

Après l'orage

.

Mon poème baisse la voix, comme à demi l'on tire les contrevents, lorsque dans la chambre se disent des choses intimes. Sans quoi l'amour n'aura pas lieu.

.

Tout est si pur après l'orage dont les feuillages pleurent le départ avec celui de la danse que les nuages leur avaient enseignée. Quelques dernières grappes de pluie frappent l'image lumineuse du lavoir.

.

La grâce d'aimer, sa source est dans les yeux de ton amour, le village, ses toits, la colline, sont enveloppés de ce bleu turquoise qui te donne l'envie de rayonner, comme si tu communiais à la joie du soleil.

.

Sur le sentier du cimetière, arrache un brin de fenouil au talus, froisse-le dans tes paumes : ce que tu respires, ma belle, c'est l'ivresse de ta propre nature. L'insecte qui bourdonne ne sait pas qu'il te murmure un intraduisible secret.

.

Si tu me donnes ta main, je te promets que tu traverseras la transparence qui mouille les pierres sans qu'elle te glace un seul orteil. Je ne puis empêcher cependant que le courant n'emporte telle seconde qui reflétait ta beauté blonde.

.

Écoutant la forêt, tu me dis, amour, que tu ne pourrais vivre sans le continuel échange de chants et de branches dont s'amusent les oiseaux. Je te comprends, moi qui protège ton nid à ton insu depuis tant d'années...

 

Partager cet article
Repost0
13 juin 2014 5 13 /06 /juin /2014 18:47

 

Une flûte thaï

.

Chaque objet chez toi s'éclaire d'un halo de souvenirs. Certains venus de loin, tel cet œuf noir aux flancs troués qui est une ancienne flûte xun de Taïwan. Il voisine sur l'étagère avec un mini-vase de Corfou, deux naïs courbes de Roumanie, et des statues d'ébène – un cornac assis, un éléphant, un joueur de flûte - du Rajasthan. Dans un coin, un buste sculpté par ta fille, une petite aquarelle d'une mosquée du désert, dans une palmeraie du Draa. Cachée derrière les dossiers, une flûte thaï avec un ruban de roseau noué à l'embouchure, et des trous percés à la gouge dans un long tube d'une rectitude et d'une minceur parfaites...

.

Si douce, sa sonorité, qu'elle n'effarouche pas le nuage de rêves qui se condense dans l'air autour du joueur. Elle conte de sa voix asiatique des mélopées qui évoquent des drames traditionnels, pleins d'amants qui ne laissent pas voir leur désespoir, de harnachements de dentelles dorées sur des tuniques de soie translucides, de méditations au crépuscule sur les marches des temples hantés de singes hurleurs et battues par le fleuve qui, déclinant ses écailles, se coule dans les derniers rayons du soleil ainsi qu'une gigantesque et paresseuse couleuvre. Les complaintes universelle de la vie aux cheveux noirs et regards en amande.

.

On ne sait si véritablement la musique adoucit les mœurs.Certains tams-tams ont des résonances menaçantes et belliqueuses, et ne semblent pas induire aux affectueuses embrassades ni aux rencontres pacifiques. Il est des flûtes en revanche qui ont l'intonation même de l'intimité ; qui, de sonorité faible en apparence, portent loin, à en juger par les oiseaux à tire-d'aile approchant du fond de l'horizon. Pour l'étonnement du profane, c'est un message profondément amical qu'elles propagent, quelque chose comme, apte à museler toutes les férocités, une atmosphère pacifique d'Éden qu'on croyait à jamais disparue.

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0
13 juin 2014 5 13 /06 /juin /2014 18:44

 

Amalgames

.

Une seule mince pensée, en filigrane de l'attente, me fixe avec ses yeux d'enfant qui marcherait à peine. Comment expliquer une telle chose ? Comme pris par l'heureuse passion de traduire, on s'acharne sur la formule, celle qui rendrait compte à un iota près.

.

Le merle, au sommet du bouleau venu virtuoser le soir, le merle reprend ses variations et les reprend encore, cent fois sur le gosier il remet son ramage, tandis que le soleil, les joues toutes rouges, déplie et repasse son linceul de nuages. Et moi je rime.

.

Demain, je rêve, nous nous rencontrerons demain, ou plus tard. Nous irons au jardin respirer les roses encore épanouies, le chat au pelage d'orage nous regardera de loin, allongé dans l'herbe et la tête aux aguets. L'odeur de l'herbe humide éclairera ton visage.

.

Dissimule ce frisson, toi la joliment aimée, rejette d'un retrait fier de ton front cette chevelure qui ruisselle sur ta figure en un beau désordre, et retournée, le carmin de tes lèvres avancé, approche, approche avec anxiété, jusqu'au baiser de la fusion nocturne.

 

 

Partager cet article
Repost0
11 avril 2014 5 11 /04 /avril /2014 17:33

 

La baie à Roquebrune

.

Rien n'y ferait sans doute, ni le soleil dans l'eau de mer

infusant ses feuilles de lumière pour que brille le sel,

ni la résistance amoncelée des rocs, jouets énormes

de la dernière tempête, ni le phare triste qui scrute

obstinément la ligne circulaire qu'autour de lui trace le ciel...

.

Paresseuses des mouettes planent scrutant la glaire des vagues ;

Leur plaisir est de se déplacer, peu leur importe vers où

pourvu que ce soit dans le sens inverse de celui qu'esquissent

les drapeaux. Non, rien n'y ferait, à la douce douleur sans

remède qui sur toute la baie pose sa brume laiteuse

.

tandis qu'au long du littoral des pères décoiffés par la brise

promènent leurs enfants, le plus jeune sur leur épaule

tel l'agneau blanc du bon pasteur des images bibliques,

et chacun se penche pour admirer un galet ou un autre, qui

n'ont rien de rare mais cela fait justement toute leur beauté.

 

 

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0
4 avril 2014 5 04 /04 /avril /2014 15:45



 

Pétale blanc

.

Pétale blanc de lune au ciel

Blanc pétale sur l'étang

.

Des futaies sous la baguette du vent

répètent le psaume du renouveau

.

La grenouille amoureuse entre les joncs

lorgne d'un œil d'or

.

Bientôt comme un jour de manif'

la vase grouillera de noirs têtards têtus

.

Pétale blanc de lune au ciel

Blanc pétale sur l'étang

.

L'effraie cherche un grenier plein de rats

pour nicher avec son mâle aux yeux fixes

.

Sa tête étrange fait un tour sur elle-même

puis se revisse dans l'autre sens.

.

Je jette un caillou dans l'eau de la nuit

La lune un moment s'esquive

.

Pétale blanc de lune au ciel

Blanc pétale sur l'étang





 











L'heure verte

.

Cinq heures À peine l'aube verte neige sur les toits

qu'à la pointe du bouleau comme échappé d'une cage

le merle s'égosille On dirait qu'il veut à coups

de vocalises attraper au lasso les nuages

.

Petit bec de profil ouvert ainsi que des ciseaux

quels secrets dévides-tu en volutes sonores

dans ton royaume vide Imperceptible presque

au loin un cousin te répond Même faconde même

.

habit noir et pattes montées sur ressorts j'imagine

Discrète à l'abri du fourré de temps en temps s'agite

la merlette brune que tu t'es attaché à séduire

C'est elle qui te donnera de petits œufs nacrés

.

Voilà que la vie, cette chose insolite, étrange

et pourtant familière avec leur éclosion va en piaillant

se perpétuer selon la règle féroce injuste indéfinie

de ce qui disparaît et que l'on appela «Nature».

 

.

 







Hors de portée

.

Sans cesse occupé à renaître

tel un enfant mélancolique du printemps

il était une sorte de moine avec le bol et le shakuhachi

perpétuellement en quête de ce qui n'a pas de prix

.

La sérénité, c'était un bruissement d'abeilles

explorant l'explosion lente de chaque fleur de cerisier

au cœur un peu de pollen d'espoir leur dore l'abdomen

Leurs ailes vibrent d'une pure transparence semblable au poème

.

Que d'énergie mobilisée

lorsqu'on en pince pour une étoile

mettons Al-Tarf dans la constellation du Cancer

Cela rayonne dans notre conscience animale

.

Depuis une distance qu'il faut avouer incommensurable

de même que l'origine de cette mélopée – notre langue maternelle

Cette ariette sans notes qui nous fait pleurer quand on entend

les sanglots longs des violons de l'automne





.











Rendez-vous de mai

.

Penche aux branches le vent caressant

.

Nous retrouverons-nous demain

au coin du petit bois de pins où tu venais jadis

Les nuages se cachaient derrière les corymbes noirs

.

Penche aux branches le vent caressant

.

On entendra flûter les mignons troglodytes

incessants et vifs d'une ramille à l'autre Arpèges roses

comme baisers au creux de ton oreille mélodieuse

.

Penche aux branches le vent caressant

.

Carmin d'une nuque où s'agitent quelques vrilles d'or

puis vers moi tourné ton visage subitement grave

toute distance effacée par ton regard transparent

.

Penche aux branches le vent caressant

.

Tandis que chemine la foudre avec nous

crissent sous nos pas les aiguilles des pins

accumulées en un tapis sépia comme l'éternité.

.

Penche aux branches le vent caressant











Aube de rencontres

.

Sous son capuchon noir elle lime

obstinément la clé des champs

Métal contre métal avec un cri aigu

mais on ne voit que la mésange

.

Dans ma tête éclatent l'une après l'une

sur les prés des fleurs couleur de lune

J'anticipe ce qui n'est pas encore arrivé

J'ai l'impatience des vieillards

.

La qualité de l'univers m'intéresse encore

L'air de la forêt porte une nuance de cerfeuil

Sans raisons les rayures des marcassins qui déboulent

derrière leur mère en soies sombres

soudain - comme talonnés par le diable -

.

ces rayures m'enchantent ainsi que les petits groins

entrevus le temps d'un éclair

Me troublent désormais partout les signes

innocents et heureux d'un appétit de vivre

qu'une ombre qui m'habite a perdu depuis très longtemps.











Banale journée d'avril

.

Entrecroisements subtils d'oiseaux aigus

au sein du vert multiplié

chaque feuille copiant l'autre avec minutie

dès l'indécis scintillements des rosées

.

C'est avril

Ne te découvre pas d'un fildisait ma mère

Giboulée contre la vitre puis radieux

les ongles d'or les longs ongles solaires

.

Avec les vocalises dans les hêtres

on se sent moins seul au bord du chemin de terre

On cueille et respire une primevère

qui sent bon comme les cheveux d'un bébé

.

Le soir tandis qu'éclate la fanfare cuivrée des anges

en silence au cœur des nuages

et qu'un frisson refroidit de son ombre tout le paysage

on a hâte de rentrer auprès d'un être aimé.







 









Aveu de faiblesse

.

Drôle de soleil de mars qui passe son nez scintillant

par-dessus le toit de l'immeuble voisin

Je l'imagine, l'Éblouissant – à regarder avec

un sourire narquois le poète assis face aux bouleaux blancs

aux bambous aux pins de notre jardin parisien

.

Que découvre-t-il ? Les corneilles les pies les merles les tourterelles

venues sonder les branches tour-à-tour

pour trouver le lieu stratégique d'un nid éventuel

à l'abri des chats vagabonds

ou pour picorer chenilles et baies et tendres bourgeons

.

Malgré moi Malgré la sèche latérite qui masque mon ancien

visage Malgré les membres las de mon âme

Leur rêve de liberté fait de schémas foudroyants aux dédales obscurs

de mon faible intérieur cette plaine déserte meublée d'escaliers

dignes de Piranèse et qui ne mènent nulle part

.

Malgré l'hiver glacial dont le réchauffement climatique

n'empêche pas le pôle au-dessus de moi d'agrandir

son empire d'immaculés et progressifs effacements

.

Un seul chant de pinson suffit à me faire à nouveau

le barde enchanté des vertes heures du printemps !





 











En écoutant Nobuyuki Tsujii...

 

.

Tellement irréel – le présent !

Aurions-nous un rêve diaphane et tremblant

comme chaleur à l'horizon des sables

qu'il nous semblerait plus sûr plus affermi plus certain !

.

Combien j'admire ces êtres qui se déplacent dans leur réalité

en suant leur certitude par tous les pores

en avançant avec cette démarche d'ourson que guide

une énergique et insatiable curiosité de vivre

.

Ce sont eux les vrais méritants

auxquels est destinée la verte lumière du printemps

Eux à qui les fleurs par grappes sur les arbres

lancent un pur message d'espoir

.

Pour moi triste hère promis depuis toujours

à une fin sinistre et poussiéreuse

je n'écris que pour conserver à moi encore un moment

fatalement liée – mon ombre

.

Mais je sais bien qu'elle n'a qu'une idée

rompre les amarres et fuir rejoindre la Ténèbre-Mère

et le silence essentiel

desquels mon cri l'a détachée à ma naissance...





.

 







Jeune vent

.

Bonsoir le jeune vent

Si j'étais comme toi directement

j'irais me jeter dans la vague

je la soulèverais jusqu'à la verdeur translucide

je la presserais pour en extraire l'écume

que je ferais mousser jusqu'à la changer en nuages

.

Par malheur je suis vieux

nullement aérien Peut-être éthéré

je le concède mais à peine

L'idée de me jeter à la mer

me semble, me concernant, tout à fait risible

Il faudrait que je sois cachalot pour me prendre au sérieux

.

Jeune vent lorsque pointe son nez

la lune au bord de la nuit

si j'étais mince comme toi

j'irais me jeter directement dans la fraîcheur

qui ressasse le noir en longeant les sablons

Il me semble qu'alors j'aurais

.

l'intense sentiment que j'existe enfin !







 





Fantasmai

.

Entre deux troncs un jeune daim au dos

semé de blanc comme amanite tue-mouches

m'observe sans cesser de ruminer

Tout ce vert qui paraît Ces narcisses qui s'ouvrent

.

Le moindre rai de soleil enchante les feuillages

fait cligner la rivière allongée dans les joncs

Azur descendant jusqu'au carrelage de la terrasse

La première abeille m'examine d'une oreille à l'autre

puis son bzzz s'éloigne et j'en conclus

que je ne suis pas une fleur

.

Comme j'aurais aimé que la Nature existât encore

On jouerait à Daphnis et Chloé sous les noisetiers

Le vent tiède ferait bourgeonner le verger

Partout d'invisibles violons en sérénadant réveilleraient

dans nos cœurs des élans qu'on avait oubliés

et tu danserais à nouveau

demi-nue sur le gazon de la clairière en proclamant

Je suis la plus belle des Bacchantes !





.













Réminiscences

.

Frémissements d'incessants retours

irisations d'une plume de paon sel et embruns

risées sur l'horizon limace blanche

nuage de soleil pressenti

.

Les violettes encore dans l'ombre

dissimulent leur parfum

Musaraigne nez pointu moustaches en l'air

douce peluche grise à caresser vivante

qui se défile vivement

que cherchais-tu sous les touffes bleues

du cresson près de l'eau sourcilleuse

.

Oh ! Cache-toi dans ce vieux tas de feuilles mortes

brouillons froissés de l'hiver passé

Entends le mur du jardin renvoie l'écho

des roux miaulement du chat qui veut son lait

.

Bientôt il y aura les pies Peut-être un garçonnet

dont le regard me touche et qui m'appellera tonton

sans que je trouve ça ridicule

Nous bricolerons ensemble à l'atelier un matin encore

à de menus trucs inutiles en discutant

Vite – avant qu'il ait vingt printemps !







 







Épidaure en souvenir

.

Ce mot et cet autre mot

tandis que du haut du théâtre

tu observes les gens minuscules

en bas

pourtant leurs voix sont proches

.

Alentour les collines tachetées d'oliviers

Assoupi léopard immense

ou lion mycénien

.

Ah l'Hellade des Hellènes

Saronique aux eaux azurées golfe ouvert

sur les îles Salamine Angistri Poros Egine

.

Quelles beautés se préparent

Le bleu des arbres de Judée sur l'or des ruines

La coulée rose d'un village au flanc d'un mont

Myrtho qui passe en balançant sur le sentier

.

Cette année le printemps continuera

sans toi ni moi...







 







26 Mars 2012

.

L'éclair d'un oiseau

au ras de ma fenêtre soleil de plumes

Où vole-t-il si vite

.

A-t-il un nouveau rameau de printemps

à pincer au jardin pour sa belle

songeant aux jolis petits œufs d'avril

.

Somnambuliquement je vais actionner

ce levier qui produit du café

Harmonie d'un rien d'amertume à boire

.

Ma belle à moi est sortie

La rue est si claire

Sait-on pourquoi soudain

.

on éprouve un élan de sympathie

pour d'anonymes passants pressés

Où vont-ils si vite ? Question à double sens.



 





Songerie symphonique

.

Aujourd'hui je me sens la mentalité en sol majeur, quelque chose comme la huitième de Dvořák : oisillons jetant deux notes aux nuages, et clarinettes et bassons des bois répondant par une levée de vent mélancolique dans les branches inapaisées.

.

Dans les clairières d'invisibles sylphes dansent, alors que monte la plaine lune qui regarde par dessus les cimes et les aigrettes des pins maritimes. Ils laissent derrière leurs purs talons une flopée de petits champignons couleur crème, bien rangés en rond, bérets de guingois ainsi que des fêtards.

.

Qu'on ne me parle pas de ce qui me déchire le cœur, de la souffrance de celle que j'aime, des gens qui s'étripent aux quatre coins du monde ! La seule acceptation qui nous reste est de consentir à ce que les choses perdues, terriblement perdues, soient perdues gaiement et à jamais.





 









L'amandier commence à fleurir



.

Rhapsodie émeraude et doigts du soleil

Émerveillée au détour du bois en pente la cascade

Eau froide ma douleur

comme sur les lèvres désertes et les dents

.

Une harpe Qui en joue La Mort ?

Ou l'épeire qui gesticule pour se démêler

d'entre ses propres cordes

Giboulées et diamants

.

Par la fenêtre la silhouette de la sœur

avec l'ami qui regarde

L'amandier surchargé de duvets blancs

sans doute et l'oiseau jaune qui pépie

.

Le dernier printemps peut-être

ou l'avant-dernier Déjà règne au fond de moi

un impérieux et noir silence.



















Mouchoir blanc



.

Le lieu assassin

joie du vent l'embrun éteint la pierre

étrave giflée

.

Englués dans les algues

tels des ossements de noyés

longtemps délités par le ressac

mes fragments misérables

.

Le poème réduit à rien

La résille transparente d'une feuille

macérée dans l'hiver

.

Là où plus rien n'aime

ni n'est aimé.







 







Question de printemps



.

Chanvre du nid nouveau

boue et salive d'hirondelle

maçonnés de soleil précoce

soyez-moi exemple et salut

.

Le merle noir face au lierre

se prend pour un colibri face à

quelque pourpre et profond calice

.

Tout cela marqué des signes célestes

des cigognes des oies sauvages

Vers le nord quoi quoi vers le nord quoi

.

Pour le reste

le premier buisson fleuri fera l'affaire.





.









Fugace désastre

.

Est-il seulement certain que vous

présence mythique Muse faible

me parlerez encore

.

L'or du poème

poudre d'aile de papillon

me brûle deux doigts

.

L'aile devenue transparente

en cendres

.

Tant j'eusse voulu devenir

celui que je suis incapable d'être

.

Vignes aux poings tendus vers le ciel

Vin noir dans le vert

(Funérailles d'un ancien printemps.)









































Ironie du sort

.

De retour Aussitôt perdu

.

le sens qui donnait l'impression

de soulever le voile de neige aux crêtes illuminées

.

Pianotement d'attente impatiente

ennuyée

la pluie aux cheveux de saule

.

Les acrobaties tant vocales

qu'ailées d'un oiseau de couleur indéfinissable

peut-être gris-temps

.

Aussitôt perdu

comme le présent aux minutes

coagulées indiscernables

.

Rieuses comme éclats cruels de clarinette

.























Nature disparue

.

La prairies vertes et bleues qui s'achevaient en plein ciel,

les nuages que peignaient à contre-jour les graminées,

entre les roches et les mousses le tapis de trèfle sur lequel

se culbutaient en sifflant les petits turbulents de la marmotte...

.

Tant de souvenirs sans quoi le monde ému d'où je suis venu

n'aurait aucun sens Ainsi sans le clocher doré qui s'allume

et jette en tintant l'illusion d'un piano tellement frêle et lointain

à travers la vallée quel prix accorder au couchant qui prend

.

avec elle tous mes pauvres souvenirs de garçonnet en enfilade...

Sur la pierre assaillie de jacinthes les cloches me font l'aumône

de quelques piécettes Peut-être quelque invisible obole à moi

destinée et qui a rebondi sur le granit de ma dalle prochaine ?

.

Où donc est à présent mon Pleyel qui ruisselait de clair de lune

en blanc et noir tandis que j'esquissais des cathédrales d'accords

toute la nuit et que sur les portées couraient les notes comme

des fourmis aux petits ventres noirs Ô délivrance du rouge

.

par les vitres du chien-assis Fuyez pâles fantômes de brume

Voici la gloire sur l'aile du vent souffler aux aigrettes des pissenlits

De petits parachutes s'en détachent, s'élèvent comme des poèmes

pressés d'aller semer dans l'outrazur la liberté - ici déjà perdue...



























Réminiscences

.

Nous discuterions volontiers de tout sous le tilleul mauve

ce serait un jour de murmure constant des abeilles

tandis qu'au loin dans les bois s'escrimeraient les cigales

et que les colombes sous les toits s'entraîneraient à rouler les R

.

Il y aurait grand'mère et son sourire de sage bienveillance

dans son fauteuil distraite par le balancement des bambous

entre les nuages Une main sur son livre ouvert entre ses genoux

elle semble sur le point de faire une confidence mais impossible

.

Comprends bien mon enfant Le monde que tu vois ce soir

n'existe plus Il n'y a plus la fenêtre à l'étage où bougeait parfois

la silhouette de ta mère occupée à ranger sa chambre à coucher

Il n'y a plus le fauteuil où ton père inclinait insensiblement la tête

.

jusqu'à s'endormir Il faut t'y résigner tout cela n'existe plus

Coupé depuis longtemps le vieux tilleul de la cour a disparu

avec le murmure des abeilles et les rires des petits enfants

que vous étiez Rassure-toi tu auras aussi bientôt disparu...





 

 







Lentes années

.

...Et ça fait si longtemps que le vent souffle

combinant arbres et feuillages en sorte qu'il n'y ait

jamais deux rafales identiques

et c'était si doux de s'envoler feuille de papier

jusqu'aux nuages rouges prémonitoires

de ce soir d'automne au crépuscule

.

La limace brune que tu observais en route

vers le rosier quand tu avais six ans

Regarde La voici Elle est arrivée au coeur

de la rose La vie l'a comme toi mise au parfum

En comptant les pétales comme des billets

gagnés après une longue ascension

elle se croit riche

.

Feuille de papier jusqu'aux nuages...

puis retombant au-milieu de l'hiver

s'effaçant ainsi que rivière gelée sous la neige

que le promeneur franchit sans la voir

tandis que la montagne là-haut reste éclairée.







 





Manie mentale

.

Il est au fond de moi une sorte d'emplumé

l'émule de ces oiseaux à gorges d'aurore amis des arbres

et souvent je m'efforce de lui donner ma voix

qui ressemble hélas davantage à celle - «CRAS, CRAS, CRAS...»-

du corbeau qui promet en latin les «crasses» d'un avenir

illusoire ! Et pourtant moi-aussi je revient de la lumière

.

moi migrateur qui de haut survolai les attentives prunelles

des étangs et des lagunes d'en-bas Ô miroirs des marais-salants

roseaux Camargue fuite éperdue et gratuite de chevaux blancs

Ô longs regards bleutés des sources qui sont de minuscules mers

Musiques des écumes enseignant le temps aux rochers du littoral

Musiques limant imperceptiblement leur conviction d'être éternels

.

Je sais le monde petit et mesquin Une boule d'horreurs pareille

à celle de crottin que pousse sans fin le scarabée aux élytres d'acier

parmi les luminaires gigantesques de l'incommensurable Univers

Je sais les galaxies les forces indéfinissables et irrésistibles

qui traversent la nuit de leurs envergures d'aigles en balayant

les planètes sur leur passage ainsi qu'un vol de moucherons

.

Je sais tout ce que l'homme n'est pas Tout ce que je ne serai

jamais Sentines de l'âme et purin qui n'a rien de pur

(Pourtant je ne puis m'empêcher, sitôt qu'un instant d'illucidité

me prend à l'occasion d'une éclaircie entre les nuées ténébreuse

qui ouvre sa frêle pervenche, de voir toute chose auréolée

de splendeur et de beauté comme si je n'allais jamais mourir.)





 







ελαιόλαδο

.

Aux rouages grinçants (tôt rouillés par l'eau de mer

trop proche sans doute) de ce qui depuis toujours

aura été mon existence, un jour j'ai pu offrir

l'huile de la poésie Non pas pour fuir dans un rêve

romanesque et vivre une vie de substitution

en m'enivrant de livres comme d'autres de vodka

Non ! Juste pour que le rêve des mots du présent

administré au présent ainsi qu'un signe de cendre

et de saint-chrême au front d'un gosse innocent

me fassent perdre le sentiment d'être partout

un étranger de sorte que je puisse enfin glisser

hors de ma mort dans l'impression d'être ici -

j'entends l'ici-bas terrestre surveillé par l'indolent

et tellement indifférent azur nomade - chez moi.











 





.







La vie effilochée

.

Qu'il est malaisé de vivre quand les choses

en sont réduites à leur ombre

.

Et que leur seul profil est celui qui ranime

avec la cruauté diaphane des radiographies

.

les sensations de l'ancien paradis

le délicieux cou frais de Lise

.

et le charmant coulis de fraises

associés dans la cuisine d'un chalet d'alpage

.

Par la fenêtre dans la vallée le bulbe doré de l'église

vers lequel toutes les pentes dévalaient

.

à l'heure sacrée où tintaient les cloches

en soulevant des essaims tourbillonnant d'oiseaux

.

L'univers plein de choses neuves nous défiait

telle en pleine nuit une bûche phosphorescente

.

comme nous en montrait parfois l'ami Noël en expliquant

que la lune y excitait des champignons microscopiques

.

Nous lui demandions ce qu'il y avait au-delà des monts

qui nous forçaient à lever constamment les yeux

.

stupéfaits d'apprendre que c'étaient d'autres montagnes

puis d'autres montagnes encore Abasourdis que nous étions

.

devant l'inimaginable logique d'une telle information

Lorsqu'on a moins d'années qu'aux mains

.

de doigts – combien l'on a de peine à concevoir

que ce que l'on croyait un coin de paradis à nous

.

réservé soit en vérité sans limites Que la Terre soit

cette bulle de savon bleu givrée d'irisés continents tournants

.

n'était qu'un savoir pour nous théorique auquel nos corps

ne croyaient pas du tout faute d'expérience

.

Tant qu'on vit au paradis on refuse, n'est-ce pas, de chercher

vers quelles lointaines contrées s'envolent les nuages...





















Du réel irréel

.

Tu crois toucher les meubles les murs ce bouton

de porte en cuivre usé par cent cinquante ans de paumes

dont la plupart sont retournées pour ainsi dire à la poussière

.

Tu crois tenir ce poireau nu empanaché d'un beau vert

tel un chef Jivaro ou encore la carotte des sables

que tu laves sous le giclement de la source

.

Tenir ! Ah tenir ! Quelle fiction enchanteresse

mais le réel n'est pas chien qu'on tient en laisse

Il vous échappe et sans doute en est-il lui-aussi

.

désespéré – car le réel aimerait bien qu'on le retienne

Lui voudrait une existence que seul l'esprit seule l'attention

seule la mémoire peuvent lui donner

.

Cependant malgré les haines les enfances les amours

malgré les rêveries dont les hommes tentent de le travestir

toujours il échappe et fuit désespéré



.





 





Impasse

.

Mais quel sens cela peut-il avoir

ton cœur toujours à la peine

(pour parler simplement)

Ne jamais rien croire comme si croire

n'amenait qu'escroquerie duperie trahison

.

Pourtant comment douter du flamboyant

soleil et des risées silencieuses sur l'étang

et des beautés de lys et de giroflées du jour

Tant de présence des choses pour composer un mirage

témoigne d'une diabolique habileté

.

Et toi, beauté au visage qui souris peut-être

ou peut être pas, beauté mon amour,

qui ponctues les bonheurs et les misères de ma vie

de ton agitation joyeuse, ou ton calme studieux,

quel merveilleux démon es-tu dont je ne puis me déprendre ?



 







Assainir

.

Ce serait bien, à la fin, qu'on donne leur véritable nom aux choses. Pour le bien, on dirait « bien », et on montrerait où il est. Pour le mal, on dirait « mal » et on montrerait où il est.

.

Pour les bons, on les appellerait « bons » et on les désignerait. On n'accepterait plus de ranger dans les bons les tricheurs et les hypocrites qui font semblant, alors que chacun sait très bien ce qu'il en est, eux-mêmes en premier.

.

Ceux qui sont intelligents, on dirait qu'ils sont intelligents. Ceux qui sont stupides, on ne leur ferait pas croire qu'ils sont des Einstein ratés à cause du «milieu défavorisé» de leur jeunesse.

.

Ni à ceux qui n'ont qu'un bras, qu'ils sont capables de ce que font ceux qui en ont deux. Car il les connaissent bien, eux, dans leur chair, les limites de ce qu'ils sont capable de réaliser.

.

De même pour les récits de l'histoire. Il serait temps de cesser de donner aux mêmes toujours le beau rôle, et le mauvais à tous ceux qui ne sont pas du clan qui nous convient.

.

On n'appellerait pas « genre » ce qui est « sexe ». On ne confondrait pas la procréation et l'adoption, ni l'amour avec les bébés éprouvettes et les mères porteuses.

.

Rendre leur nom aux choses, ne pas vouloir appeler chien un chat, ni prétendre « naturel » ce qui est « artificiel ». ni prétendre que si une chose est comme une autre, elle sont la même.

.

« La comparaison entretient l'incomparable... » a dit le Poète*. La confusion détruit l'incomparable et ramène tout au chaos indéfiniment plasmatique et indifférencié.













* (Michel Deguy)



 



Partager cet article
Repost0
22 mars 2014 6 22 /03 /mars /2014 11:29







Vieil album retrouvé

.

Dans le temps sépia des soirs de village où voltigent les vespertilions

au seuil des portes les grand'tantes assises en rond

murmurent des confidences qui depuis longtemps n'ont plus cours

tandis qu'un dernier rai du soleil éclaire leurs traits oubliés.

.

Sous les tulipes en albâtre des lampes les maris moustachus

jouent au billard frottent de temps en temps la pointe de leur canne

avec un dé de craie bleue discutent lorsque s'est calmé

l'entrechoquement des boules puis enregistrent le point

.

Ce petit marin de deux ou trois ans avec sa pelle

sur la plage où circulent des personnes en tenues étranges

près des cabines en bois – ce serait ton père !

Comme est ancien déjà le siècle d'où nous venons...





 









Tourné en bourrique !

.

Naguère, page entre pages, ainsi que fleurs je mettais chaque poème à sécher. Ou d'autres fois, directement des éclats de lune.

.

Quel jolie époque c'était ! J'avais la barbe encore bien noire. Naïf comme un enfant de sept ans, j'écoutais la sagesse des plus âgés.

.

J'ignorais alors qu'ils étaient eux-mêmes ignorants. Que les pensées accumulées dans mes cahiers noirs valaient bien leurs sentences.

.

Demeuré plutôt bête - animal un peu grenouillet disons, - qu'aride et stérile, avec ce visage de latérite des vieillards qui ont oublié leur enfance !...

.

Je sonne au vent le silence de mes clochettes pures, un parfum plus enchanteur que menthe ou lavandin monte vers la nue étonnée.

.

Ne me cherchez pas, gnôme vert, où je ne suis déjà plus. Après quelques pirouettes, j'aurai parmi les mots jeté un éventail d'étincelles comme fer à cheval contre le pavé.

.

C'est dans le clopin-clopant qui s'éloigne que ma présence repose, à moi qui ne suis rien que le fantasme d'une clé qui ouvrirait l'âme de votre âme.





















.


Glissades célestes

.

De l'autre rive les cloches acidulées

les psaumes d'un autre temps l'évanescence froide des nuées

Un hautbois pur vibre de l'anche avec des modulations de verdier

Serait-ce que mon regard est assez acéré pour distinctement

discerner les cyprès les dalles et les colonnes en ruines

avec inscriptions à peine lisibles

qui me feraient reconnaître si ma barque en était à peine plus proche

l'Île des Morts ?

.

Mais il nous reste des attaches à cette rive-ci

les épissures et les torons qui passés dans l'anneau de l'amour

nouent encore l'esquif balancé sur le bavardage de l'écume

au mur de ce monde-ci battu

par les mirages d'orbleu d'aubes depuis longtemps périmées

.

Au-dessus de tes cheveux livrés au vent, mon aimée,

j'aime l'envol des tourterelles parties pour explorer

la géographie magique et changeante des nuages d'ici

familiers comme des rêves d'enfants quand sur leurs blancheurs

ils s'imaginent faire de la luge avec les anges...






















Brouillard

.

Lorsque le regard erre dans la brume, à travers la vallée, comme les objets, murs, maisons, toits, sont simples. Taché haut d'une flaque pâle où serait le soleil, parsemé de silhouettes d'un gris irisé, l'espace nouveau ne retient nullement le chant délicat d'un oiseau mais empêche d'identifier la direction d'où il nous parvient.

.

Entre les rangs des vignes qui rapidement se fondent au vaporeux infini, s'éloigne une sorte de centaure mécanique qui doit être, à en juger par le son, un bipède juché sur son tracteur. Une odeur de jardin, d'humus herbeux, monte au visage avec un pétillement d'humidité. En fermant les yeux, on pourrait croire au baiser d'une sylphide.

.

Solitude si douce, tellement étrange, que surgissent brusquement des questions essentielles sur les raisons qu'il y aurait à se sentir ici, marchant, vivant, au cœur d'une trouble clarté ouatée à peine ordonnée par la proximité d'un régiment à têtes de géants – qu'un rayon de soleil, le voile brusquement déchiré, identifie comme verger d'oliviers !





 









Songerie polaire

.

Un porte-avions blanc – non, mais dans le froid azuré, un iceberg qui veille sur les troupeaux échevelés de l'écume. Rare passe un oiseau de mer déployé sur son élan, profitant d'une faille du vent qu'il est seul à deviner, pour gagner d'autres cieux déroulant leurs volutes immaculées...

.

Quels noms, pour convoquer ces forces prodigieuses de la matière en mouvement ? Ne serions nous, prétendument en « vie », qu'un avatar supplémentaire de cet universelle agitation, qui se croit réflexif et se guette au miroir de ses propres complexes cérébraux, dans l'écho de ses propres vocables ?

.

Celui qui replonge dans la profondeur fictive des grands mythes, ceux du Nord comme ceux du Sud, n'y retrouve-t-il pas un sentiment d'effroi respectueux face aux êtres pittoresques qui servaient aux aèdes et aux bardes à figurer, pour nos âmes si banales, terre à terre, peu imaginatives, les Puissances ?

.

Luonnotar, Odin, Zeus, Yahwé,tant d'autres, irrompant la nappe du réel à l'improviste pour un tsunami, un séïsme, un ouragan, qui plient tout sur leur passage et changent les constructions de l'homme en mikados d'allumettes, n'avaient-ils point davantage de sens que le Big-Bang, lequel n'a fait que se substituer, chez les scientifiques, au FIAT LVX ?

.

Une cause première dépourvue d'intention, de projet, de désir, a-t-elle davantage de sens pour l'humanité, fût-elle un inexplicable, indiscutable et asséné constat constamment renforcé de preuves nouvelles, que le subterfuge par lequel la fiction espérante des poésies prête à des divinités inventées ces intentions, projets et désirs qui nous rapprochent des choses, leur donnant ainsi assez de signification pour en faire un monde habitable ?







 







Päivätär

.

Vacarme que nul n'entend que moi : les trompes cuivrées du silence, annonçant l'aurore en sa gloire ! Ondulations de vaguelettes froissées par la brise turquoise. Les barques balancent, qu'envie le béton du quai immuable. Nous sommes seuls et pas seuls, mes voix ! J'appâte, de quelques vers nombreux, l'hameçon de ma ligne invisible, espérant y voir mordre une ou deux des étoiles tombées cette nuit dans la mer.

.

Les octosyllabes sont souvent efficace pour les donzelles et les petites vives ; les alexandrins grassouillets attirent généralement de plus grosses prises, telles que le ton épique ou le ton prophétique, souvent accompagné d'uranoscopes. Les versets, je les réserve pour les prêtres !

.

Foin de plaisanteries ! Tout cela est affaire plus sérieuse qu'il n'y paraît ! Une vie passée en inutile connivence et concurrence avec des fantômes ! Pour peu l'on se sentirait l'âme sombre et brûlante d'un Kullervo parmi les neiges, les torches vertes et les aurores boréales des forêts finlandaises.

.

Que les vents me parlent de fleurs ouvertes et de pureté, de dangers et de nuées que leur lumière emporte en modelant au passage les mèches envolées des grands pins ! Si je ne suis pas enfant de Cimmérie, je connais pourtant l'œuf brisé du monde, et les lagunes aux ajoncs flamboyants..

.

Vois : je tisse des fils noirs qui se changent en or impalpable et radieux, telle une épeire qui entrenoue les spires d'un pectoral pour les brillants de la rosée. Vois : j'éclaire aussi les falaises d'acier du terrible royaume, des filets duquel s'échappa le héros musicien déguisé en loutre...





.













.

 

Le pouls de la rivière

.

Une vie brûlée par le jour et par la nuit, « la chandelle par les deux bouts » eût dit ma mère ! Mais c'est la faute du vent, de ce souffle bizarre qui attise les paroles et ravive la verdeur des feuilles indéfiniment...

.

Que l'automne ait passé, un encore, avec ses pourpres et ses roux, avec ses merles sur les houx, ses corneilles sur les labours, ses fumées rituelles qui montent comme d'anciens sacrifices...

.

Puis l'hiver déclinant ses glaces, facette par facette, tel un enfant qui prépare son miroir aux alouettes, tandis que sur la terre d'un noir de corbillard chaque astre du ciel y va de son obole argentée...

.

...Soit : que le temps insensiblement sous nos pas dérobe son tapis émaillé de secondes coupées ras, et d'heures bleues, grises ou roses, aux profils de colombes, n'importe plus à la durée des mots déjà entrés dans l'inerte qui m'est réservé.

.

J'écoute, tant que je le puis encore, les violons de l'éternité à laquelle mon cœur accède par intermittence, je me délecte de leurs mélodies, bouleversantes grâce au kozbor de la nostalgie, à son mince parfum de soliste.

.

Ô rivière secrète, gracieuse amour, donne-moi ton poignet, que je prenne le pouls de ta transparence, pour mesurer son battement. C'est ainsi que durant des lustres j'ai connu la durée de bonheur qu'il me restait à vivre.





 





 







Far-West au bout du pinceau.

.

Se pourrait-il que tu te croies l'enfantin responsable d'un univers qui s'éloigne, tel un astre dans le couchant saignant d'une plaie irrémédiable ?

.

C'est songerie de cow-boy quittant, à la fin du western, les vallées perdues pour des vallées encore plus perdues, suivi du long regard d'une fille nostalgique...

.

Devant son cheval, des concrétions montagneuses contrefont Notre-Dame, la tour St Jacques, et toute une Atlantide en ruines cyclopéennes noyées dans l'altitude bleue.

.

Au flanc d'une pente vert pomme où des pins foisonnent, pâlissent les restes roses d'un village : ses rues voient les spectres de nos souvenirs entre eux régler leurs comptes.

.

Quelques V ouverts en plein ciel sont des vols supposés de vautours, à moins que l'on ait affaire en vérité à des lettres envolées de la casse d'un typographe de jadis.

.

De toutes manières, ta façon de guetter du haut de la moindre taupinière, aussi raide et droit qu'un chien de prairie, signifie fort bien que rien n'arrivera, ta mort exceptée.







 



 

Détournement

.

Emporter les reflets puisque, dans les détours qui calment le torrent, ils illustrent les vasques et les gouilles à l'instar d'un livre d'images, - quel bonheur c'eût été !

.

Les branches feuillues que les chenilles velues arpentent, zèbres lents, s'alourdissent insensiblement et pendent sur leur image jusqu'à la toucher comme pour tâter et mesurer le degré de fraîcheur propre à l'illusion.

.

Trempe la main toi-même, avec cet angle bizarre cassant ton poignet, glacé mais indolore dans la transparence dont le ciel brise et reprise constamment la surface : non moins fictive est ta douleur, lorsque dans le langage plonge ton esprit jusqu'à rompre sa trajectoire.

.

Et voici que tu vas où tu ne voulais pas aller, voici que les mots disent ce que tu voulais garder secret, voici qu'une froidure flegmatique fige et scelle l'angle de ce que tu as pensé, alliant en toute étrangeté le réel et le mirage.

.

Alors tu t'envoles en pleine beauté, tel un astronaute qui décolle vers la station spatiale qu'on lui a promise et déjà s'imagine là-haut, captif du tournoiement des heures dont tel hublot donne directement sur la joie du soleil comme, à l'avant de la voiture, le pare-brise sur la souriante blondeur de l'adorable passagère qui attend.

 



.









Sommervieu

.

La beauté figurant, au fond de ce qui est le plus secret en moi, des images, des musiques, des parfums d'une subtilité tellement étrange !

.

Elle contamine même mes chagrins, s'y diffuse comme lait dans du thé, ranime les bonheurs désespérants de l'enfance, avec la douve brillante au fond du parc, et l'éclair humble des chevreuils.

.

Sur le piano marqueté du salon de musique, l'étoffe pourpre aux glands dorés s'abat-elle toujours sur le couvercle du clavier fermé ? Le gros ventre de la contrebasse en travers du fauteuil-club est-il toujours verni par le jour qui tombe des hautes fenêtres ?

.

C'était l'enfance, la salle à manger donnait à la fois vers le nord-ouest d'où venaient parfois les lourds nuages fomentés par l'océan, et vers le sud-est où, au-delà de la maison miniature à l'intérieur de laquelle tout était à taille enfantine, résonnait la clocher dont le vent nous apportait les heures par bouffées.

.

Par le balcon de la chambre, en haut du grand escalier décoré de trophées, de blasons et d'armes dorées, on voyait les chauves-souris zigzaguer dans le soir, mais aussi le soleil du matin au-dessus du mur du potager qui, jusqu'au lit, éclaboussait le plancher au point de Hongrie d'une clarté couleur de champagne.





.

 



À l'âge d'évidence

.

Toute une vie, toute une vie pour comprendre pourquoi la chair et l'humus, sous les fougères aux petits doigts recroquevillés, ont la même odeur.

.

Pourquoi l'écorce du pin embaume comme l'encens brûlé. Pourquoi les ossements deviennent luisants comme ces pierres perçant la terre au sommet d'une colline, que les promeneurs ont polies à force de s'y asseoir.

.

Toute une vie pour ce canyon de solitude dans la montagne, que remplissent les échos des chocards criards, et tout en bas le toit rouille du poste de douane, alors que s'évade le bleu à travers le ciel en emportant avec lui les plus beaux nuages.

.

Si le sens de ce constat vous échappait, ni je n'en serais étonné, ni déprimé. Je m'arrange très bien de ce que, malgré la limpidité du regard que je porte sur les choses, il n'en existe que très peu pour regarder à travers la lucarne que je leur tends comme un miroir.







 





Drôle de pistolet !

.

Ils disaient que lui n'était pas fait pour la poésie moderne, vu qu'il ne désarticulait pas les phrases, ne les éparpillait pas au micro-bonheur sur la page, ainsi que branchette séchées jetées sur la neige par le vent d'hiver.

.

Ils disaient qu'il avait tort, le misérable, de faire si peu confiance aux hommes et tellement à la parole qui vibre et qui réveille dans la lumière atmosphérique une lumière oubliée, que c'était stupide d'aller déclamant parmi des ruines grecques même si lui les voyait intactes.

.

Ils disaient que la nature n'existe pas en tant qu'amie, que telle une rivière qui court sous les herbes, innocente ainsi que tous les serpents, il faut murer ses rives pour la canaliser, décider à la place des abeilles à quel moment les arbres doivent fleurir, être fécondés...

.

Ils disaient qu'il n'était pas de leur clan, du clan des poètes brillants de ce monde, du clan de ceux que le peuple admire, de ceux sur lesquels on écrit des thèses et des articles savants dans des revues spécialisées, de ceux qui croulent sous les lauriers et les prix merveilleux.

.

Et ils avaient raison. Lui n'aimait que l'aube pure qui crée, le midi brûlant qui juge, et le couchant frais qui meurt. Il portait sur ses épaules une nuit plus noire que la nuit, mais il aimait son fardeau glacé, que l'aidaient à coltiner les invisibles mains du vent.





.

 

















Refrain connu

.

Ne me parle pas de tristesse et de solitude

vieille âme, avec ta minuscule floraison de myosotis

et tes nuits qu'argente une lune apitoyée

qui paraît surgie d'une élégie romantique un peu kitsch

ou d'une carte de Merry Christmas du genre de celles

que le père de ton père à foison recevait d'Angleterre

.

Ah le doux rêve idiot de la chaumière blottie

sous l'épaisse neige où les sapins sont à demi-engloutis

La lucarne orange qui suppose un feu de cheminée

devant lequel hypnotisées de reflets

quatre prunelles brillantes fixent la flamme qui se tord

Oh l'odeur sacrée des résines qui fondent et fument

.

Passé que tout cela ! Seul reste au bout du chemin

la cassure abrupte de la falaise que déjà d'ici

malgré l'avenir brumeux l'on devine à contre ciel

Mais aussi la certitude que malgré les guirlandes micacées

et les bouches d'angelots qu'arrondissent des choeurs ineffables

seul le silence désert du papier tiendra lieu d'années dernières !

 









Intenable

.

De cette vie, un personnage comme toi

ne sait rien faire excepter ronger son frein

tel un navire à quai l'amarre qui le tient

.

Qu'elle se rompe cependant n'est que mirage

puisque, naufrageant au sein de la profusion

miroitante de ses rêves, aussitôt il suffoquerait !

.

L'eau d'un noir d'encre Arpentant sa surface

vibrante les trajectoires erratiques des gerris

Et toi, qui ne sais communiquer que par l'absence.



.

 







Pour personne

.

Serpentant sous les joncs des rivières assoiffées te frôlaient

les mollets, mille menus fretins mordillant tes peaux mortes !

Les mandolines des anges égrènent le vif-argent des minutes

Pourvu que la lune du ciel arrive à sauver la lune des eaux !

.

Qui es-tu, toi, qui es-tu ma vie, avec tes airs de fée Morgane

en train de se noyer dans un miroir !

Y plongeas-tu parce qu'y brillait le chaos déclinant ses écailles

improbable dragon chinois hantant l'occulte profondeur ?

.

Qui es-tu, toi qui te fossilises lentement dans ta glace blanche

cendres cunéiformes d'un Ötzi déjà réduit à l'os ?

Tel l'oiseau dans l'or d'un matin désert jonché des gemmes

de la rosée brisée, tu auras déroulé des vocalises pour personne...

.



 







Qui peut comprendre ?

.

Faire semblant de mentir pour que le poème – quel enfantillage -

dissimule par amour la formule d'une étrange vérité !

Se désincarner ainsi que notre voix dans l'écho qui nous appelle

étrangère enveloppée d'un halo de songeries Ocarina en forêt

dont le coucou a serré deux notes dans son bec et disparu...

.

Sous l'immense prunelle azurée du silence la nostalgie

sculpte par la pensée des vallées de vapeurs à l'orient de perles

Pour le marcheur un épervier là-haut cueille des huit limpidesFrance

comme si l'on pouvait avec des ailes remplacer l'éternité

par l'infini et s'allier au vent pour susciter partout la respiration

.

sifflante des choses angles de murs, syrinx virtuelles des bambous

girouettes aux cris rouillés, cheminées hululant ainsi qu'arpones

de seize pieds... Étrange vérité que celle de ne rien saisir

et d'enrober d'un balbutiant babillage irisé le petit caillou cruel

qui fait depuis toujours tant souffrir au talon le vagabond des rêves.







 





Sonnet d'adieu

.

Les nuages affichent la tristesse de navires en partance

leurs cales bourrelées d'adieux couleur de couchants éteints

Il y eut une vie goodbye les amis goodbye farewell Une vie

qui ne reviendra plus, déjà guenille d'impalpables souvenirs

.

Bye bye les gars que le ciel vous garde encore quelques temps

avant que votre présence aimée ne s'évapore comme brume

.

Que servait de s'aimer puisque sur terre rien ne dure

Puisque même la pierre jusqu'au cœur éclate en sables

Et qu'un très vieil olivier auquel je pense avec mélancolie

malgré ses muscles noueux ne résistera plus très longtemps

aux agressions de l'avenir Déjà les étourneaux se sont enfuis

.

Tu traverses ton village de naissance ainsi qu'un soldat

blessé à mort titube en traversant un champ de ruines

Un mistral glauque à ton oreille siffle ainsi qu'une vipère.





 







Bref mémorial

..

Ces chants à l'unisson de voix jeunes

paysannes en jupes tournoyantes de laine multicolore

violon chapaco harpe andine à gros ventre et quinas

en tierce huaynos populaires purs comme l'altitude

.

Ces chants remontent d'un fond séculaire presque oublié

mais le peu qu'ils sont encore capables de transmettre

llantos tinkus danzantes yarawis sicuris me poigne le cœur

ainsi qu'au premier jour ô gaieté triste des opprimés !

.

Tant d'endurante résignation face au destin toujours

broyé des humbles l'échine courbée à sarcler la terre

la cholita aux joues avivées de rouges - grâce fugace

d'une courte vie à boire l'incertain brouet de lumière noire !







Souvenir de pêcheur

.

Jadis au filet du poème tu espérais recueillir mille épaves

les retirer de l'abysse noir immobile et silencieux du chaos

pour les amener parmi les reflets mouvants et rythmés des mots

à la surface de l'océan de lumière que sillonnait ton esprit

alors non pas émoussé et ruiné comme aujourd'hui mais tranchant

à la manière d'une étrave qui sait partager en droite et gauche

le juste périple auquel tu croyais ta vie appelée sinon promise

.

L'intensité du matin sur la plage près des confidences de la vague

te semblait naturelle ainsi que le brushing du vent dans les pins

les scintillement des perles d'eau condensées sur les roses de la Vierge

et que buvait consciencieusement une mante diable sur échasses

Quelle splendeur les frissons d'argent du puzzle universel une fois

tiré dans la clarté de l'espace blanc jonché de spires de nacre infinies

On n'y lisait qu'affirmations heureuses certitudes cuirassées de joie

.

Le monde était comme une grande étoile aux écailles d'espérance

qu'on tire dans la barque tel un cœlacanthe extorqué à l'éternité

et dont la robe sombre se met à cligner sous les ongles du soleil

Ce que promettait l'azur était merveille à l'horizon plus dorée encore

Dans tes prunelles j'apercevais magnétique les verdeurs de l'amour

J'empruntais à ton corps les chevauchées d'Ixion dans les nuées

Lune montagnes mauves l'univers s'illimitait - puisque tu m'aimais !





 





Passéisme

.

Est-il possible de vivre à ce point parmi nos souvenirs !

Il y eut des moments si violemment heureux – ou dangereux...

En ce temps-là, fait de rivages, de montagnes où se rassemblaient

des tentes noires, odeurs fortes de chevaux, tapis et poil de chèvre,

en ce temps irréel nous couvait la beauté, d'un regard printanier.

.

L'air froid au sommet des strates illuminées cueillait les tours d'argile,

d'où l'on voyait la piste blanche sinuer dans le fond des vallées...

Le tranchant aiguisé d'un ciel pareil à quelque large éclat de verre brisé

luisait au-dessus de nos fronts où s'agitaient les feux de l'océan.

Oh le piaillement là-haut de l'aigle épris de trajectoires circulaires !

.

Le passé nous restitue les heures d'un bonheur où nul n'est jamais seul.



 





Le 12 mars à midi...

.

À la radio, la publicité parle d'un « tourbillon de fraîcheur... »

Bientôt midi, le ciel de mars est clair et les oiseaux voient loin.

Se pourrait-il que leurs regards aigus percent à jour la vérité

dont l'illusion menteuse et hostile englue d'opacité les choses ?

.

Flottez au vent d'une lointaine mer, drapeaux rouges, ensemble

alignés côte à côte aux mâts blancs du débarcadère où la barque

nous attend sans aucun soupçon que nous ne reviendrons plus !

Ô vie fugace qui, parmi les lys, ne connaît que les premières fois !

.

Comme sur la fresque, au cœur du Labyrinthe, le Prince avance,

regard un peu las de fixer l'éternité, cheveux couronnés d'hysope !

Le bleu du ciel descend des toits et, venu par la fenêtre se poser

sur les meubles, y laisse un duvet fin comme un espoir de paradis.





 



Lumières et déclin

.

Sur mon doigt vous poserez-vous, tourterelle d'ombre claire, en lancinant tout doux l'énoncé du présent qui m'échappe sans que je l'aie compris ?

.

Beauté qui m'êtes chère, votre printemps n'est pas le mien, ni vos vergers, ni vos lumières. Et l'univers pour moi fomente un tout autre dessein.

.

La floraison d'un amandier qu'on voyait éclater là où commencent les arènes du désert, je la mets volontiers en parallèle avec votre sourire.

.

Il est la puissance occulte que le vent tiède en neige, par rafales roses, dissémine afin qu'elle renaisse à travers l'espace aride où nous ne serons bientôt plus.

.

La lune se dissout dans le mauve crépuscule ainsi que perle dans du vinaigre, minute heureuse d'un regard, d'une voix assaillie sous le mascaret des douleurs !

.





 





Haïku



Épeire d'avril

verrai-je aussi bien ta fille

tisser l'an prochain ?



 





Anticipation émeraude

.

Certains ont un bœuf sur la langue. Moi c'est une étoile

au bout, comme un mot qu'on a peine à trouver...

.

Sans cesse je lui substitue pour tromper ma faim

d'autres mots ronds blancs sucrés faciles comme des dragées

.

Moments d'indéfinis baptêmes et de vagissements d'un monde

chaque fois innocent et frais avec des airs naïfs de nouveau-né

.

Morgane en vêtement d'aurore sur lui penche ses mirages

L'ensorcelle de ses regards verts et profonds d'étendue lacustre

.

S'enfuit le corbeau du soleil en laissant après lui des frissons

de volupté dont lentement les ondes s'éteignent dans l'atmosphère

.

Ces morts heureux sont des arbres qui fleurissent de reconnaissance

et pleurent des larmes ambrées en lisant dans le vol des oiseaux

.

l'avenir vert comme un printemps et comme l'espérance

qui prépare aux amoureuses des bouches rougies de baisers à venir.



 

 

Même les ormes de la rive...

.

Danser à la façon d'une flamme qui se tord au vent

C'est là ce dont voudrait se souvenir ce qui n'est plus que cendre

.

Les poèmes songes brûlés ont l'odeur bleue des feuilles mortes

qui fument sur les herbes rases roussies par l'humide automne

.

Poussière en tourbillons aspirés par l'oubli

Humilité des vers consumés digérés par les vers de terre

.

Puis ce serait l'embarquement comme sur un canal dans la brume

Le regard s'enfonce à travers une sorte d'infini en lequel il s'efface

.

Même les ormes de la rive se font de plus en plus rares

Leurs formes d'un flou fantomatique glissent du géant au néant

.

Un silence sans échos nous enveloppe l'âme de ses ailes

La voix du souvenir s'assourdit, s'empêtre dans sa substance feutrée

.

On dirait, qui n'impriment pas dans une poudreuse invisible,

Nos pas de plus en plus lents, accablés, désorientés et pensifs.

























Au passage de la guêpe

.



Inaugurer la gaieté d'un printemps

quelle gageure pour le crabe qui vit dans les lagunes de l'automne

.

Il agiterait le ciel au bout de ses pinces

avec l'impuissance d'un arbre par sa proche fin forcé de fleurir

.

Fuyons vers le pays scintillant des rosées

où les fleurs des prairies, des vergers, nous comprennent

.

Là-bas l'amour nous tend les bras

seins jolis nez mutin taille de guêpe et longue tresse blonde

.

Le vent porte jusqu'à la mer les échos,

et senteurs alternées dont rivalisent voix des brises et parfums

.

Sèche ta peine sur tes joues, relève ton visage

et tes yeux vers l'azur : je m'y veux réfugier comme en un paysage

.

Que l'instant miroitant dans le creux de ta paume

soit verdeurs de printemps, chants d'oiseaux, et non plus une fin.



 



Partager cet article
Repost0
7 mars 2014 5 07 /03 /mars /2014 09:55





Faux-monnayeurs

.

Comme l'ombre d'un hêtre cache aux hôtes de l'étang

la menue monnaie de lumière neigeant des constellations

si bien qu'on entend crapauds et grenouilles qui réclament,

tel sur ma vie l'Obscur s'étend et mille voix en moi s'élèvent !

.

En philosophe la parole, ah, j'aimerais la leur donner : hélas

à moi raisonnement, pensées, sont étrangers. Seul face à la

haute tour jaune et solitaire, une lance à pointe de fleur en main,

je veille en murmurant des phrases tombées des nuages...

.

Une armure d'acier bleu m'emprisonne depuis des lustres.

Articulé comme un crabe, j'explore ma caverne d'ermite.

D'un œil pédonculé, je scrute les écrits suspicieux et nuls

des penseurs prétendument « modernes » et parfois j'en ris,

.

du bonheur de constater à quel point certains sont doués

pour se payer de mots en faux billets qui éblouissent le vulgaire.









 





Brindille

.

Kladi, en grec «brindille», en anglais twig qui signifie aussi comprendre, zweigchen en allemand, kviste  en danois, prysgwydd  en gallois, mlází en slovaque, sly  en suédois, en hongrois  gally –ô métamorphoses d'une idée !

.

Ces mots-là, choisis parce qu'ils sont brefs, parce que leur sonorité me fait rêver, comme mladý  en slovène, à une lettre près, qui évoque jeunesse et printemps, m'emportent facilement vers des régions du nord avec hivers aux arbres transparents...

.

Pourquoi les préféré-je à maleza en espagnol, à macchia en italien, à matagalen portugai, à broundiho en provençal, à branquilló en catalan, pourtant vocables des pays du sud, qui me sont mentalement proches, moi qui ai vu le jour à quelques coups d'ailes de la grande bleue ?

.

On dirait que dans notre tête, pour de mystérieuses raisons, certains mots par leur signifiant présentent une meilleure adéquation à l'image secrète qui traîne dans un coin de l'inconscient, que d'autres. Et qu'il y a quelque relation avec des événements cachés dans certaines circonvolutions oubliées de nos jeunes années...

.

Brindille, brindille, ô flexible minceur qui t'empares de l'espace et prépares la mêlée entre ciel et frondaisons, ramille propice à la prise des petites menottes des oiseaux, toi que fréquentent les nuages et qu'habillent en avril de verts foisonnements,

.

toi que brisent et raboutent les reflets sur la nappe du ruisseau, toi qui ploies sous les moindres brises et t'agites constamment, qui dessines à mes yeux l'infinie ramification où, tel un écureuil dans les ronces, se prend le sens évasif des choses, - je te prononce : et que tes syllabes chantent !





.



 

Gratitude

.

Fugace beauté au regard surmonté des antennes d'un papillon de nuit, je sais que tiède tu saurais m'offrir, malgré l'ombre épaisse, fureurs et gloire, patience et tendresse, impitoyable intimité.

.

J'aime l'idée que de mon corps mourant, tige et fleurs, la poussière soit terreau apte à nourrir tes pensées, ainsi qu'il t'arrive parfois de le prétendre aux instant d'aveux et de hontes délicieuses.

.

Que ma cendre soit promise aux fleurs ainsi que ta lèvre aux baisers, telle est notre évidence. On devra m'excuser de ne pas revenir, n'étant jamais complètement parti.

.

Que je veille grâce à toi sur les tours du silence, parmi les cercles des amples charognards ailés, tant que le soleil consume mes os jusqu'à l'âme : un sort intemporel que je chéris.

.

Ô toi foudre et rafale, embrun aimant, qui me fuis et me poursuis, ombre et flamme de chair, à moi plus souvent donnée qu'à tous, cependant jamais possédée, qu'une poignée de mot convoque ou dissipe !



 

 





Érotique nature

.

À force d’avoir fréquenté le souvenir de Zeus, je me suis mis en tête d’apprivoiser l’Éclair !

.

Me rêvant en aigle de roche, d’un œil de cristal j’ai embrassé les plaines, frisées de forêts pubescentes.

.

Irrésistible, l’amour de cette Terre ! Les timidités rougissantes des aurores, le jais embaumé de la chevelure des nuits, piquetée de gemmes, le sein des collines qui bombe sous le sweet-shirt moulant des prairies…

.

Voici descendre d’entre les vignes, son bras frais au flanc du panier qu’elle tient sur l’épaule, la vendangeuse en robe légère. Croque la grappe qu’en passant elle t’offrira !

.

C’est elle dont le corps flexcitant, dans l’ombre du mazet, ce soir concentrera pour toi tout le désir des voluptés de ce monde.









 

Bouts de papier remâchés

.

Bavard comme la plus haute pierre, celle que la bise aurait élue, d'un éperon qui porte tout l'azur de l'été, il avait trouvé le moyen de confier ses paroles au silence...

.

Graffitis en lettre hâtives, sur la chaux des murs nourris de soleil, aux recoins les plus reculés des jardins, ses sentences rimées survivront-elles à la saison des pluies ?

.

Rendez-vous près du pin oblique et suicidaire que retient la falaise : à force de contempler avec lui l'immensité du pelage marin aux crinières effilochées nous deviendrons peut-être des copins ?

.

Il avait toujours cru que les plantes pensaient à leur façon, plus lentement que les animaux certes, à fortiori que les humains, mais qu'elles le cachaient aux autres vivants comme le roseau cache sa voix jusqu'à ce qu'on en fasse une kéna !

.

Jouissance infinie de changer en chansons ce qui jusqu'alors, eût dit Joe Bousquet, « n'avait droit qu'au silence » !La mélodie de la source est un babil enfantin à traduire, à réinventer constamment à l'instar – paraît-il – de l'amour.

.

Sympathie infinie envers l'écureuil qui stocke ses trouvailles un peu partout, puis oublie vivement ses réserves et repart d'un cœur accéléré en accumuler d'autres, aussi croquantes, aussi enfermées, aussi succulentes.

.

Un jour, un enfant eut la mémoire traumatisée par un parfum associé à un nom : giroflée. Un formidable sentiment de liberté avait gonflé ses poumons. Avec le nom de lavandin, cela suffisait à

ce qu'un couple d'invisibles fleurs-fées, n'importe quand, ressuscite infailliblement son pays natal.

.

Écrire, non pour habiter le mythe, non pour quelque absurde prestige, mais pour que la lumière de ta langue compense la grisaille de l'hiver, en réveillant cette sorte de mélanine optimisante qui se répand avec l'encre.

 

 

 

 

.

 

 

 

 

 

 

Six considérations énigmatiques

.

L'art depuis toujours cherche à mordre dans quelque chose de réel. La science de même. Le langage, son essentialisation en mathématiques, la pensée en général, ripent sur l'insensé.

.

La parole n'est capable de régner que sur ce qu'elle a déjà désigné et mis en ordre. Ce qu'elle a institué. Autrement dit ce qui n'a de sens qu'en conséquence de l'esprit humain.

.

Ô lois, précieuses lois, sans cesse à la dérive, carènes vite avariées, progressivement envahies par le non-sens, vous finissez par sombrer dans l'abîme chaotique dont vous fûtes tirées à grand'peine.

.

Les poèmes, comme gants enfilés successivement aux mille mains invisibles de l'univers, et qui ne sont jamais à la bonne taille ! Quelle maladresse à saisir quand l'outil voudrait donner forme à la main qui l'a forgé !

.

Selon l'angle et la lumière, toute formulation d'une pensée peut apparaître grotesque et disproportionnée jusqu'au ridicule, ainsi que l'ombre d'une amphore distendue sur le mur de la terrasse par le soleil couchant .

.

Si tu ne mets pas ton cœur, ton humeur, ta bienveillance dans les phrases, les vers, les images que je te propose, ne me lis pas. Aller croquer un sandwich te sera plus profitable.

 

 

 

 

 

 

 

 

Tandis que s'élève le croissant de lune...

.

Tout se passe-t-il en silence près de cet arbre solitaire, sur le plateau herbu d'où l'on aperçoit au-dessus des contreforts bleus la neige dorée des hauts sommets, naufrageant dans les brumes roses et bleues de quelque crépuscule ?

.

L'animal au doux museau qui broute l'esparcet constellé de fleurs, à quoi songe-t-il tête levée, en ruminant une minute, les yeux tournés vers la maison lointaine d'une autre colline, et sa façade encore éclairée alors que les bosquets s'éteignent un à un ?...

.

Les flaques violettes des muscaris sauvages commencent à se répandre, complices de la fraîche nuit qui endiamante l'orient. Un daim en un éclair traverse le sentier, disparaît derrière un repli buissonneux, une laie noire et cinq marcassins suivent, le diable aux trousses.

.

Sous peu, nous reprendrons la descente tracée par les sabots à travers le pacage, quitterons le col pour laisser à notre place venir brouter de grandes bêtes de brouillard, rejoindrons l'étable éclairée d'un lumignon jaunâtre à la façon d'un choeur d'église.

.

Ce sera l'heure de la traite, le vacarme des bidons, les cris des garçons de ferme en train d'ajuster la trayeuse, le ronron de chat des moteurs électriques. Enfin, fourrage dans les râteliers, litières neuves, lumière éteinte en partant. Mutisme et grands respirs des herbivores.

 

Viendra, fourbu, le moment de l'épaisse table, la soupe à l'oseille, le vin sanglant, le pain et fromage croûteux, la gloire d'être ensemble... Et le lit aux rêches draps de lin dans lequel on tombe, épuisé par la réalité avant l'oubli d'un sommeil que ne marqueront pas les rêves.

 

 

 

 

 

 

Fragile rouge-gorge

.

Desserre les mâchoires de l'angoisse, cette hyène. Indifférence envers l'ossuaire, simple bonheur des myosotis entre les dalles, peut-être un couteau rouge dans l'herbe. Lavée à la fontaine, sa lame redeviendra pure et reflétera l'éclat du jour.

.

Tes colères sont vaines. Tes compagnons aiment côtoyer l'abîme. Ils regardent ainsi de haut les vies tranquilles des villages, au fond de la vallée. Elles seules pourtant sont justes.

.

Ta poésie reste au niveau de la mer. Là seulement elle peut de sa nacre enrober les grains de silex ennemis du marcheur.

.

L'amitié aide. La pitié avilit. Si l'on parle de solidarité, c'est que, viciée, elle disparaît. Les mots désignent le manque.

.

Flonflons cuivrés des sentiments vulgaires, touchants comme un orphéon du dimanche au kiosque qu'environnent les enfants des badauds en suçant des glaces.

.

N'engluez pas le poète dans la mélasse des malheurs que vous avez provoqués !

.

Comme je t'envie, fragile rouge-gorge silencieux sous la haie, mais auquel l'aurore emprunte l'inflammation duveteuse de sa poitrine.

 

 

 

 

 

 

Paramètres

.

Qu'il est difficile de vivre réfractaire à la molle sentimentalité des automnes sanguinolents ! La loi des sondages frissonne au milieu des simples, les dupe et les manipule.

.

Une ère de télévision, pour chacun devenu hypermétrope, qui ne s'émerveille même plus de reconnaître un univers dans un regard juvénile ! Plaines accablées de rosée dès la première heure.

.

Le trône le plus impérieux, le plus élevé, tremble ainsi qu'un volcan qui tousse !

.

Les choix des hommes, la fonte des pôles, les mers qui s'élèvent, - de plus en plus inanimées.

.

Apporte-moi tes chants, laisse de côté la lyre aux cordes cassées. Cueille tes étoiles murmurantes.

Chacun t'ouvrira le nid d'une âme inconnue.

 

 

 

 

 

 

Carrément la vérité !

.

Ces phrases auxquelles tout échappe avec la fluidité du sable, ces phrases sont des secondes, des minutes, des heures, de plus en plus fugaces, de plus en plus évanescentes, leur substance insidieusement se défait à l'instar de la tienne, de la peau qui devient translucide sur le dos de ta main, de la hâte de ton cœur aux battements de plus en plus désordonnés...

.

Insolite sensation que celle d'éprouver la lente ruine du corps qui se défait, qui se défait plus vite que les acropoles, plus vite que les arbres, insolite sentiment sur la hauteur sombre où le corps nomade a trouvé son antre, que celui d'affronter le regard des blanches étoiles , les spirales laiteuses qui faisaient rêver Guillaume le mal-aimé.

.

Pulvérulence au vent ! Tourbillonne, vole, sois la feuille sur laquelle s'envolent les rêves !

L'Homme écrase et piétine le sentier de ses jours sans guère laisser de traces ; les bruits des sources, ceux de l'air qui siffle dans les branches, toutes ces choses banales prennent un relief particulier à présent, recèlent en une langue mystérieuse des injonctions à traduire.

.

Édifions, façonnons le vrai ! Que ce qui de notre descendance est jeune reçoive feu et flambeau ! Frappons l'âme de la cité avec la violence du ciel bleu, avec la pureté d'une hache de cristal, avec, a dit le Poète, « l'énergie du désespoir ». Passez, chansons ! Fuyez, torrents que rien n'arrête ! Et toi, l'écrivaillon, encore un peu de patience. La délivrance est proche.

 

 

 

 

 

 

 

Impuissante parole !

.

Cueillir l'infime, comme violettes presque imperceptibles, à l'ombre du hallier... Se remettre devant les yeux le visage d'un ami, tenter d'en retrouver l'expression derrière le fouillis des rides du dernier temps... Avec l'extrême dénuement des mots tourner autour d'un pot de terre, humble relique d'un ancien voyage, en renifler l'ocre avec la lumière, chercher la face qui se souvient le mieux du brasier enterré en lequel elle a durci...

.

En ai-je connu des lieux primitifs de cette sorte ! Les fours de Boujad, avec les premiers reliefs enneigés de l'Atlas. Il y avait à saisir là cet étrange sentiment de l'ombre des hauts fuseaux de peupliers allongée par le couchant jusqu'aux stocks d'argile bleue. L'odeur des fumées translucides qui serpentaient entre les huttes de pisé. Le grattement d'un coq scabieux dans la poussière et le faible jappement d'un chien dans la distance...

.

Quelle illusion, que de croire partageables ces après-midi de Vernazza, la tiédeur de l'été, vieille de cinq lustres, qui descend à travers l'air bleu, la végétation et les maisons en cascade jusqu'à la méditerranée... Et ces moments où, dans l'odeur du bitume, les couvreurs coupaient à la cisaille dans les rouleaux de plomb qu'ils soudaient pour étanchéifier la terrasse, tout autour de l'appartement où vivaient grand-père et grand'mère.

.

On en parlerait durant des siècles sans que rien ne puisse revenir de ce frottement sacré de la paume contre la colonne du temple de Zeus à Olympie, de ce gluement froid des truites arc-en-ciel que tu serrais vivement dans les torrents de montagne, et qui parfois, malgré tout, t'échappaient en ondulant et disparaissaient sous d'étroits trous de roches à la faveur d'éblouissants reflets tombés d'entre les hêtres, ajoutons à cela les caresses à tes mollets

.

des hautes herbes, graminées, fétuque, pain d'oiseau, douces comme le frôlement d'un chat... ou le goût sucré des capsules roses du sainfoin, ou l'amertume aux lèvres des tiges de pissenlits que nous fendions pour les faire couiner comme des anches... Tout serait prétexte à réveiller les ébranlements des nerfs à travers lesquels se transmettrait la beauté du monde, si l'art des mots était plus riche, plus sensuel : en ses sonorités, mieux imprégné de réel.

.

 

 

 

 

 

Passé recomposé

.

Repense à l'ancienne maison avec la cheminée ;

pendant que tu ratures sans fin des pages frénétiques

accroupie à droite, la chatte noire fixe l'invisible

d'un regard fendu où veille l'or d'une placide attente...

.

Un soleil sème son pollen dans les branches du mimosa,

dans celles du citronnier ses œufs sont déjà de bonne taille.

Velus les pavots défleuris balancent leur cœur vert gonflé

de graines impatientes. Le long du mur des tournesols sèchent.

.

Jacinthes au parfum entêtant. L'ombre qui apparaît au fond

du jardin a la silhouette et la démarche frêle de ma mère.

De même la mémoire hésite, raboute des fragments de puzzle

que le timbre d'une voix intérieure rassemble à grand'peine.

 

 

 

 

 

 

 

Un ou mille

.

Comme est bizarre cette quête insistante chez les humains :

que la diversité se change en unité, l'unité en diversité,

qu'on feigne de ne pas voir ce qui différencie et qu'on

revendique en même temps le droit de l'individu à une

irréductible singularité ! Être tous égaux sans être identiques,

quelle ambition ridicule ! Nul exactement dans l'espace-temps

jamais ne partage la place, ni le point de vue de son voisin !

.

Jeune homme qui lis les mémoires d'un vieillard, cette relation

d'une enfance, qu'a-t-elle en commun avec la tienne, excepté

que tout y est différent ? Tu crois te reconnaître dans les mots

d'un poète, qui te leurrent en te tendant leur miroir de papier !

Mais les poèmes ne sont que nids attendant leur coucou...

Ou peut-être coucous prêts à squatter une oreille favorable !

.

Et celui-là, qui écrit en espérant demain être reconnu par tous,

que cherche-t-il si ce n'est avec âme à cueillir au fond de soi

son âme singulière, à l'instar du soleil qui descend moissonner

du soleil emmailloté comme mille pharaons dans les blés ?

 

 

 

 

 

Instable...

.

Qu'y a-t-il ? Il y a le regret de n'être qu'un médiocre

manipulateur de mots face à cette sorte d'Yggdrasil,

tel que j'imagine dans ma tête le frêne du langage !

Devant l'énorme tronc ridé, on se sent fourmi

confrontée à la patte d'un éléphant ! Les millénaires

l'ont enrichi cercle après cercle, comme on voit

s'élargir l'onde successive à la suite du caillou jeté

dans l'étang... Et le monde tremble en s'y reflétant !

 

 

 

 

 

 

Huit lignes d'un rêve vaguement absurde

.

Être réduit à une simple profusion de signes précieux tel un pharaon au masque d'or emballé dans les prières et le lapis-lazuli qui sous terre dort du sommeil des millions d'années

.

Et qu'un jour peut-être un savant, un enfant, un farfouilleur curieux découvrira par hasard en ouvrant la porte du tombeau sans s'effrayer de la fraîcheur de cave qui lui saute au visage

.

Voilà qui me paraît un noble rêve en cette existence en butte aux abominations permanentes d'un univers cruel, amoral, troublé qui ne connaît d'amour que mensonger

.

Sur les parois de ma nuit se déploierait une campagne paisible oiseaux prenant leur essor d'entre les roseaux gamins qui jouent tandis qu'un laboureur pique ses bœufs tachetés

.

Ailleurs les faucilles tranchent des poignées d'épis des chasseurs à grands pas sont parmi les iris mauves et les lis blancs qui parfument les nuages figés dans leur geste de flécher buffles et félins

.

Comme le pêcheur dont l'épervier transparent reste corolle en suspens à mi-chemin de la surface frissonnante de l'étang que percent les têtes facétieuses de poissons moustachus

.

Ô la solitude enveloppée d'images ! Ô l'immense silence où ne se propagent que des son purs et inaudibles là où résonnent les échos criards, les feulements de la haine ou des victimes d'Éros

.

dans la Réalité affreuse de la vie qui n'a pour se perpétuer qu'entredévoration carnage illimité embrochements amoureux sperme noir violence arrachements bombes fer et feu.

 

 

 

 

Fantasmagorie

.

Appuyé sur le mot balustrade aux interstices parallèles

j'observe, en bas, le bal avec nostalgie... Ô lustres,

ô strades ! À fond l'auto fonce vers Rome, la ville

de tous les chemins ! Nuits étoilées place d'Espagne.

.

Voici la fontana di Trevi en laquelle une star se baigne

les seins presque nus Laiteuse écume et rideau de blancheurs

Ô les bourrasques tièdes de l'été Ô les fraîches arcades

sous lesquelles on croise parfois Flora la belle romaine !

.

Nous irons visiter les prisons mystérieuses du Piranèse,

les hypogées aux autels froids et parois constellées d'Ictus

Sur les ruines du Colisée nous irons cueillir les fleurs du vent

Nous irons nous allonger sur l'herbe du verger, villa Borghese

 

Et je verrai comme Nerval aux citrons s'imprimer tes dents.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Tableau d'Alpage

.

Assis sur son trépied usé qu'ornent les cercles concentriques

du tronc qu'on a scié pour en faire un tabouret

le paysan à belle tête se recueille dans l'étable

au milieu du silence respirant et soufflant des bêtes

.

Dehors la lucarne empoussiérée de toiles d'araignées

montre les premières rougeurs et le coq bientôt chanterait

debout sur le fumier noir au remugle puissant

pour autant que l'image ne soit pas enfermée dans un cadre

.

Une vache la queue en l'air laisse filer de vertes bouses

successives Buées et senteurs qui rebutent les gens des villes

Tout à l'heure le troupeau placide s'en ira au pré bleu

La buse criera tandis qu'on entendra le ffrt ffrt des incisives

.

qui coupent l'herbe rassemblée par les longues langues roses

des museaux reniflants et humides - sans que l'oeil égyptien

aux cils dignes de la Belle de Cadix cesse de surveiller

les environs en mesurant le niveau de l'ombre qui baisse

.

au flanc du mont ainsi qu'une mer intangible se retire

devant l'irrésistible clarté invasive du jour qui azure

les neiges éternelles au-dessus de la frontière obscure

des sapins et réveille au clocher des essaims de choucas

.

Ils tournoient comme les notes d'une partition oubliée

Un souvenir de saint depuis son vitrail nous toise l'air hautain

au-dessus de l'autel décoré de cierges et de roses dédorées

Et celui d'une brune aux lèvres plissées nous attend près du château.

.

 

 

 

.

 

 

Androgyne

.

 

J'ai toujours pensé que j'étais né de ta lumière

et je voulais te traverser des beautés de ta vie

t'éperonner comme ferait un aigle de cristal

du vaste éblouissement d'une foudre inconnue

.

Le feu sous la neige prémonitoire à tes rêves

jouerait d'esquive et de désir dont une aube

serait l'extrême proue incandescente ornée

d'un unicorne blanc comme aux récits d'enfance

.

Au plus noir de ta gracieuse gloire – demi-sourire

et nudité – j'ai cherché ma mémoire et qui j'étais

Toi chair de vif-argent auquel j'amalgamais mon or

comme au balancement des vagues s'unit le soleil !

 

 

 

 

 

Anniversaire

.

Vous reverrai-je un jour

peut-être dans une autre vie

m'amour qui fûtes m'amie ?

.

Une pierre au fond du lac

le chagrin qui vide son sac

et laisse dans l'air un parfum

de rouge-à-lèvres que n'ont pas

éventé les défuntes années

.

J'entends votre voix encore

qui la nuit cligne là-haut

ange parmi les anges d'or

.

Jadis nous avons ensemble

erré aux forêts de novembre

C'était hier à ce qu'il m'en semble...

 

 

 

 

 

 

 

 

Non credimus

.

Ce sont jours d'errantes beautés telles les fuites bleues

des plaines du sommeil qu'ombrent par moments

des passes de nuages beiges que croquent à l'ouest

quelques dents de granit gris Ce sont jours solitaires

.

Promenades bourrelées de remords comme si tu étais

coupable de quelque crime de vaurien - moustaches

du chat tirées - poignées de plumes arrachées au coq

- pierre lancée à un chien errant qui glapit en s'enfuyant

.

Vers le soleil qui grimpe dans les vignes jaunes du coteau

une jeune femme s'éloigne sans se retourner Bras clairs

cou frisé de fraîcheur échappée à son chignon de reine

Son coeur a sans doute sur sa route croisé l'Impossible

.

Pauvres humains qui regardent dans le désert la mer

de l'amour et croient qu'elle n'est qu'à quelque pas

et qu'il serait facile de s'aimer comme si l'on pouvait

se baigner dans le tremblement lumineux du mirage

.

Mais non La splendeur est insaisissable et recule

à mesure de notre avance de misérables lémuriens

aux yeux hypnotisés Elle ne lâche rien Les douces,

les aimantes paroles sont un baume taillé dans la brise !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L'ignorante

.

Que sais-tu, pauvre belle enfant, de ce que nous fûmes,

que sais-tu de ce champ de boutons d'or qu'on appelle

« ciel » à minuit, que sais-tu de la couleur du fil qui leur

lia, dans des temps très anciens, nos existences, nos destins ?

.

Que sais-tu de l'amour toi qui toujours te figures avoir aimé ?

Que sais-tu de son très doux bouleversement, pareil à un

glissement de terrain pourpre miné par les pluies battantes

d'un déluge qui rend soudain l'univers à son chaos primordial ?

.

Que pourrais-tu savoir, avec ces yeux candides qui ont si peu

vu, avec ces oreilles roses roulées comme des coquillages

qui ont si peu ouï, si peu compris des milliards de messages

que du plus loin de terres exotiques te rapportait la mer ?

.

Une herbe triste et folle s'agite au long de la rue, comme si

le désert me faisait signe, murs lépreux compissés des chiens,

comme si la vie poussait dans les fentes malgré le pavé,

comme si pouvait m'être restitué le droit à un brin de verdeur !

 

 

 

 

 

Pour ne rien dire

.

Quelques petits riens, l'indigence, quelques couplets vagues

assortis d'un duvet d'écume irisé, cela devrait suffire.

.

Inutile qu'un mistral à desceller les stèles tire sur le paysage

sa magnifique tente bleue à l'odeur saumâtre, en faisant

.

claquer les flammes et ronfler les drisses, pataras, bastaques molles

des voiliers amarrés aux anneaux de bronze du quai.

.

Inutile qu'un vieillard hâve au front encapuchonné d'ombre

vous prenne par la main dans le labyrinthe de l'ossuaire.

.

Tout ce qu'il y eut de grave et de pesant bombe au filet du langage,

leste nos pensées ainsi que poiscaille, la bolinche du sardinier.

.

L'amour, l'amitié, l'espoir, le désir, mille émotions brillent

dans nos yeux et maillent au cœur des abysses de l'âme.

.

On voudrait les graver en quelques lignes éternelles sur le vent,

les dessiner sur la blancheur d'un nuage, - mais impossible !

 

 

.

 

 

 

 

 

J'ennuie ma muse

 

.

Le pêcheur au crépuscule du matin

tire sur ses filets lestés de vif-argent...

Au sommet de son mât un fanal brille encore

pour immensifier l'étendue sombre de la Méditerranée...

Chemins dépolis des risées. La crique aux micocouliers

et aux faux-poivriers cache une fraîche rivière.

(C'est là qu'elle s'évase entre les vagues et se fond

dans l'azur, lorsque l'été venu résonnent les rires

des jeunes filles chevauchant des crocodiles

et des dauphins gonflables ! Musique sur le sable

près d'un gisant encadré de sa serviette à rayures.)

.

Si loin dans le passé, l'été dernier, ses réflexions

d'enfant sérieux, la boule blanche en haut du pic,

au-dessus des carrés d'oliviers crépus...

Les soleil défilaient aux mâts des bateaux à l'ancre

ainsi que girouettes en papier multicolores

un jour de kermesse scolaire...

.

Torrent des jours, phosphorescents rapides

au cours desquels mon canoë à tout instant risque

de chavirer dans un renversement de mousse ensoleillée,

quel agrément de passer au travers de mes vieux visages

déjà érodés de sillons qui attestent que plusieurs lustres

de dures larmes ont disparu, comme grêle en fondant laisse

à la fenêtre un paysage aux vitres brisées ?

.

Seul à seule, avec ce qu'il reste de mon étoile je converse

poliment, jusqu'à ce qu'au creux de mon esquif, gardant

un demi-sourire enfantin elle se soit endormie :

je ne suis plus pour elle qu'un radoteur ennuyeux,

alors qu'elle, douée de jouvence perpétuelle,

dort innocemment malgré les heurts et les écueils.

 

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0