Bribe de mer ionienne
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Frisson du vent sur les vagues - de la lumière s'y réveille
ainsi le temps éveille à la vie la substance
sensible de l'être humain
J'entends encore ce vagir qui n'est autre en vérité
qu'un cri de mouette
déplorant qu'un nuage disparaisse à l'horizon
.
Ignorer l'avenir permet
de consentir aux aurores dorées
mais quand le voyage touche à sa fin
les couchants si dorés qu'ils paraissent
avec la pilule du soleil au-milieu de tout ce bleu
ont un goût d'acide prussique
.
Il te faudra bien l'avaler cependant
et tu n'auras pas même
le choix de l'heure !
.
Accès de mélancolie
Le braise de nos souvenirs
celle qui nous tient le cœur sur le gril
se change en cendre puis à notre insu s'éteint
ainsi que celle des barbecues du week-end
lorsque la fête campagnarde est finie
et que la nuit prépare un lundi de grisaille et de pluie
où la puanteur du métro remplacera l'odeur des fleurs
.
S'éteint le soleil
le beau soleil sans questions de notre jeunesse
qui tombant sur la prière des roses
inondait la statue brillante de la Vierge
aux mains jointes sur son secret
.
Bientôt ce sera la fin du vent
l'accalmie définitive qui ne balancera plus l'armoise
l'euphorbe ni la puéraire
Sur les sentiers des crêtes la petite chèvre Prakriti
qu'on appelait Krikri ne viendra plus semer
de son anus froncé les perles sombres des secondes
ni l'impalpable argent de ses tintinnabulles grelottantes
en nous fixant soudain
de son œil d'or fendu comme celui des poulpes
.
Pour finir il ne restera plus que le long et triste regard
de la Lune obligée à poursuivre en faisant semblant
d'être pétrifiée sa course éternelle
sans moi.
Graal disparu
À en juger par la gloire des chanteurs
que répandent les ondes
cristalline ou éraillée rauque ou maniérée
la voix
touche davantage les passants des rues
que le contenu des paroles
Retour aux temps casqués des aèdes
et des guerriers
Ecrire des poèmes en silence aujourd'hui
revient à se taire
Du reste il n'est plus de place pour les vrais
voyants.
Dans un puits de silence
Si le poème se mesure aux échos qu'il suscite
dans quelle chambre d'échos mortelle
dont rien ne filtre au-dehors
ceci est-il enfermé
et comme carbonisé par une nuit
qu'on pourrait dire inextinguible ?
.
Vaguement les draps froissés nous rappellent
que nous sommes humains, que nous avons dormi
sur cette blanche page qui ressemble à un brouillon
que nos paumes ont recroquevillée et jetée
avant qu'un remords ne nous fasse la déplier
afin que l'amour demeure lisible
au lieu de tomber dans l'oubli
.
L'avons-nous cherchée au fond du sommeil la lumineuse
arène de l'île verte où s'enchantaient nos corps fous
Vent frêle sur le visage ainsi qu'au sommet
du mont les herbes parfumées caressent aux joues
les nuages venus de la mer
Ah respirer encore l'oxygène des oliviers mêlé à l'iode
qui bleuit les eaux des vagues empanachées qui nous assiègent
Trouver le galet prasin qui servira de talisman à nos retours
et le sable roux comme fourrure de renard
où nous écrivions de l'orteil droit des aveux qu'emportait l'écume
.
Cela tout cela qui nous observe avec notre propre regard
comment pourrait-ce éveiller le moindre écho
en vérité dans le monde d'ici
auprès de gens dont on a violenté le goût
au point qu'ils ont perdu toute notion, toute vision du paradis ?
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Nul ne peut savoir
¡ Fue sueño ayer ; mañana será tierra !
(Gongora)
Elle est donc revenue telle un brouillard matinal
qui enrobe dans nos regards mornes les arbres
au jardin, la pie qui regratte dans son aile droite
puis gauche puis déploie l'éventail de sa queue
une deux trois fois Près de la fenêtre un feuillage
de bambou découpe au ciel blanc la géographie
de la botte italienne Elle est donc revenue avec
les secondes lentes où s'engouffreront des heures
Avec son tam-tam aux tempes que l'ombre intense
éblouit et son gémissement qui appelle au silence
.
Elle arrive du fond du passé tel un minuscule
scarabée noir au bout de l'ancien chemin périmé
Voyez-la qui pousse devant elle un visage blême
et rond comme une pleine lune où tour à tour
s'inscrivent puis s'effacent les traits de tous ceux
que nous avons aimés alors qu'un halo de voix
grandit jusqu'à en devenir assourdissant, insup-
portable et qu'à la fin l'on se résigne à constater
qu'il ne reste plus que le poème pour museler
un temps les intangibles crocs de la douleur
qui d'avance t'apprend à mordre la poussière...
Mnésis
Au hasard ouvert, ce livre où j'ai lu quelques phrases
Et soudain il y eut, silencieuses dans ma tête comme
échos revenus d'une invisible paroi, les inflexions
de voix d'un poète ami - disparu depuis ma jeunesse.
Ce fut soudain comme inspirer l'haleine embrasée
du feu de bois auquel on se réchauffait les mains,
par une nuit de campagne aux courbes enneigées...
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Nos têtes acagnardées, ainsi que des pierres, à celles
de nos petites amies du moment, avec emphase nous
lisions nos poèmes, dont l'encre était parfois à peine
sèche, alors qu'autour de nous de noires solitudes
aux prunelles phosphorescentes rôdaient à la façon
de feux-follets parmi les marbres d'un cimetière.
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J'ai revu le visage de l'ami au miroir de ma mémoire
et le comparant au mien en un éclair j'ai enfin su
ce qu'était réellement la froide cruauté du temps.
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