.
Poète pétrifié
.
Appuyé sur ton coude le poing sous le menton
tu laisses divaguer tes antennes mentales Tu t'imagines
en insecte fantôme au loin palpant les joies et les drames
de millions d'autres comme toi pareils à des termites
grouillant dans leurs mégalopoles à demi-souterraines
.
D'entre les milliers d'ondes qui de l'un à l'autre continents
entrecroisent d'invisibles cercles tu n'as pas renoncé
à discerner tombant des étoiles quelques meuglements
de chérubins aux museaux de taurillons qui discutent
assis chacun sur son astéroïde pour occuper l'éternité
.
tandis que le retour du Dieu se fait attendre et semble
à en juger par l'empire croissant du Mal sur Terre
de plus en plus aléatoire et pour tout dire improbable.
.
.
Un Mai perdu dans l'éternité
.
Son corps était de jasmin où perlait la rosée
(disait-il) dans le parc de la pension sous les hêtres
Trente quatre ans à nous deux feutrant les hautes herbes
livrés à l'indiscrétion des papillons aux ailes attentives
mais les abeilles ni les bourdons ne se souciaient de nous
.
Sous ma prison de ciel je vivais enchaîné par les nuages
Son regard était limpide à cause de ses rêves d'avenir
La pente du pré venait mendier du vert dans ses yeux
où volaient de minuscules angelots aux fesses potelées
petits comme des moineaux fugitifs entre les branches
.
Les tiges dans son dos écrivaient les mille empreintes
de nos vertiges Le vent avait emporté ses plus beaux
râles de fausse agonie dont quelques uns encore restaient
vibrants aux feuilles et contaminaient d'un secret désir
les ramiers toujours prêts à roucouler au moindre prétexte.
.
Consentement obligé
.
Ce voile de lin sur mon visage ignorance aveugle
m'habitue avec une insensible lenteur à n'être plus
parmi vous Les seules étoiles qui me soient laissées
occupent l'impalpable éther de mon ciel intérieur
dont l'horizon marie à jamais l'amour et la mer
.
Le Passeur poussant sa barque vers l'île fuligineuse
en guise d'obole me demande mon coeur racorni
comme une vieille bourse de cuir dont les globules
desséchés seraient les piécette de cuivre Il faudra
bien hélas que je le lui offre en pleine traversée
.
Déjà tels des galions aux coffres vomissant leur or
mes souvenirs sont passés par le fond et se mêlent
aux balancements hypnotiques des verdeurs du Temps
Cette forêt de murènes aux dents d'aiguilles fines
qui par douze dévorent mes derniers lambeaux de vie !
.
Visite à la villa déserte
.
En marchant au hasard de chemins ignorés
dont le réseau dessert tout l'arrière-pays,
on découvre parfois des portails décorés,
mal fermés sur des parcs pleins d'Apollons vieillis.
.
Une demeure close, aux volets ajourés,
porche aux claveaux gravés d'un épi de maïs,
murs et balcons de fer par le lierre envahis,
bassins de ciment nu, reflets évaporés,
.
paraît sous les feuillus, empreinte de mystère,
au détour d'une allée. On ne résiste pas
à la curiosité : c'est pour la satisfaire
.
qu'on éveille l'endroit par le bruit de nos pas.
De ce qu'on n'a pas vu, mille romans se forment
et l'on s'en va, tandis que les lieux se rendorment.
.
Destinée
.
Tourne busard tourne au centre de l'azur
de l'azur infini tourne émule du soleil
que ton cri réduit à son silence de lumière
.
Qu'attends-tu qu'attends-tu les coquelicots
du couchant les iris violacés du soir
L'odeur des neiges qui descend avec le vent ?
.
En cercles et cercles là-haut compagnon de mon âme
tu hèles les devasqui jamais ne viendront
avant que le fusil de l'aube ne t'abatte...