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2 décembre 2013 1 02 /12 /décembre /2013 12:35




Symétries

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Impalpable tournoiement tel des feuilles mordorées
dans l'effacement
le vol incalculable qu'attendent boue et flaque d'eau...
.
Pourra-il se poser en douceur une fois achevée
la spirale des années
qu'un coup de vent quelquefois
inopinément recommence et nous voici
.
tremblant comme une feuille face à l'azur horizontal
qui a troué le mur de la perspective accablante
d'une nouvelle existence
.
Ici l'immensité verte avec remuement incesssant
de vagues insatisfaites
.
Là-bas la cité de pierre avec des noms gravés mais oubliés
sous lesquels fanent quelques poignées de fleurs de pluie
.
et le souvenir d'une maison au portail blanc devant l'allée
d'un jardin perdu encore illuminé
de cerisiers en fleur où vrombit dans tout l'espace à odeur de miel
l'hymne des abeilles
.
Qu'on ne me parle plus d'automne
Moins encore d'hiver et d'immobilité à houppelande
blanche qui recouvre tout
d'une noire éternité
.
Donne ta main, Amour, montre-moi ta paume
où scintillent à foison les pierres de lune
du rêve printanier qui nous unit
et remettons gaiement notre disparition à plus tard
en montant vers la surface
.
de notre reflet réciproque.


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L'art des mots
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De vent et de gorge, la chanson soutenue par les cordes métalliques...
Puis le roseau reprend les strophes en langue inconnue avec cette
voix fibreuse qu'on sent qui peine sous le tremblement de l'émotion ;
et les échos se renvoient ...ayno, ...ascaran, ..yno , ...scaran... Il sont
la voix de la montagne coiffée de cônes blancs où croise le condor...
.
Le poncho de laine dense pèse à tes coudes tandis que tes mains
énumèrent les orifices alternatifs de la kéna rauque et embuée,
ou subitement aiguë, agile, comme un cri d'oiseau d'Amazonie.
Tournez, cholitas aux petits chapeaux ronds et multiples jupons
multicolores ! Là-haut veillent les pierres de Sacsahuaman...
.
Une autre époque, tout cela, routes de boue et ravins de vertige,
avec au fond, tout en bas, le rio tumultueux du temps qui passe.
Les amis aux faces de bronze, impassibles, qui s'avancent encore
depuis le point de rencontre des perspectives, petits et râblés,
ne sont qu'une fiction que pour toi ressuscite l'art des mots.



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Ne nous laissons pas abattre.
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Bon vent d'été sévère qui ébouriffes la mer
de ma chère Île verte tournée vers l'Orient,
de toi qu'il est doux de se souvernir quand l'hiver
à pas de loup de nuit s'établit dans le cœur patient.

Rebelle un brin de mente agite au bord de la falaise
un peu du temps passé, quand nous nous aimions follement.
Je veux en froisser sous mon nez quelque feuille à mon aise
pour tenir le froid en échec par pure odeur d'envoûtement.
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Glissez noires saisons sur la glace qui cire les choses.
Nous rêverons de l'août chaque soir en nous endormant.
Et pour nous y aider – ma foi, tant pis pour la cirrhose ! -,
d'un bon verre de rhum ambré nous trinquerons joyeusement.


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«Llanto del Indio »


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Les épaules balancées en marchant, ses semelles suscitaient un nuage dans la poussière du chemin ocre-rouge qui traversait la plaine, parsemée de candélabres verts tendus vers le ciel. Il avait l'exaltation d'un desperado de western.
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Ce n'était que la vision d'autres temps ressurgie à la faveur d'une faille du présent, un glissement inapproprié d'une minute précoce par-dessus la précédente. Au loin s'étaient aussitôt déployées les sierras enneigées sur la gauche tandis qu'il avançait vers le nord.
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Quelques cubes de pisé, isolés, laissaient luire entre les touffes d'alfa leurs toits de tôles, dont le bref auvent ombrait un rectangle noir, vertical, qui était une porte. Un oiseau trillait sur un mât au long duquel, suspendues à diverses hauteurs, séchaient diverses bottes de plantes inconnues.
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De minuscules silhouettes tenues à distance par l'air tremblant et bleu, courbées sur des parcelles semées s'affairaient ; on devinait leurs bras lever en cadence un outil invisible. Plus loin encore brillait une guenille blanche qui était sans doute un lac de sel.
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Il continua un moment de jouer de la kéna en marchant, pour que le paysage demeure, avec les trilles du pirincho qui se faisait dorer au soleil tout en surveillant les intrus éventuels. Un chien hurla, qui surprit la flûte et lui coupa le sifflet. C'était seulement un grincement de freins.
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Immédiatement reprirent leur place les devantures de la rue, l'automobiliste hurleur qui morigéna par sa fenêtre le piéton imprudent, les trottoirs gris pâles qu'avait récemment assombris une averse, les motos insolentes, la fontaine Wallace verdâtres. La cinquième heure s'imposa, terne et muette.



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Sorcellerie

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Troquer l'ombre noire contre un voilier blanc
qui de la ligne approche jusqu'à la limpidité fluide
des pierres sous les semelles de qui attend !
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Échanger l'éternuement noir du corbeau
contre les tierces répétées de la mésange aux yeux
étirés de khôl égyptien !
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Debout sur les rochers tièdes que le vent
voudrait soulever – mais impossible puisqu'on
n'en peut soulever que les mots ainsi qu'aigrettes
de pissenlit à travers l'espace...
. Debout
les mains bleues d'être plongées dans le ciel
.
tu griffonnes en hâte quelques formules occultes
empruntées à la magie de ton Laboratoire Central
.
dont la coupole transparente offre à ton regard
le dansant mimosa parfumé des étoiles.



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Au-delà.

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Aujourd'hui – été dans l'hiver, soleil, lumière ! Je veux penser
à des mots tels que maquis, sirène, bleu horizon, nébulosités légères,
brindilles, princesse à la perle, sentier au plus bas duquel entre les houx
s'ouvre la mer, première page d'un insistant, pesant et digne psaume...
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Penchons-nous toi et moi pour déchiffrer les galets qu'assombrissent
nos pas mouillés encore après avoir quitté leur reflet vert de vagues.
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Ici les lignes blanches du destin, l'ixe qui commença sans haine, et finit
en nixe qui sait devenir cheval, par une fée changé soudain en phénix !
Telle s'ouvre la mer vite cicatrisée dont au couchant l'ouate des nuages
éponge la face sanglante. (Enfin tout cela, sont des vocables futiles !)
.
Penchons-nous sur les touffes de feuilles vertes
entre les herbes odorantes du talus :
Là peut-être dort parmi les nervures, attendant un regard vigilant,
quelqu'une des magiques runes apprises de l'éclat du jour...
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Jasmin et joie revenus, avec les inflexions d'une voix aimée.
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Exactement comme si nous étions à présent
au cœur d'une immense fleur de neige au pistil de ciel pur
en état d e m o r t d é p a s s é e .

1993

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Danse de la pluie
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Autour de quel totem danser, coiffé de ton unique plume,
sauvage ridicule en ton vaste désert couleur de crème chantilly ?
Même les chenilles processionnaires ont quitté les lieux
emportant chevilles, rimes et pins maritimes avec elles !
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Masque grinçant de sorcier avec nez hypertrophié
taillé à coups de serpe dans le bois tourmenté des vents,
tu invoques tour à tour le grand Mani et le grand Tout
« Whooo-whooo, who who who ! » la tête rejetée vers le ciel !
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Rions, rions de notre accoutrement, des idées de ce monde ;
depuis peu nous savons ce que les vieux sages exotiques
savaient depuis longtemps – que Rien seul fait sens et appelle
ces frémissants et vains désirs dorés que nous appelons vivre.




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Suggestions de vingt heures
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Fameuse odeur de boudin et de compote de pommes
sous la douce lampe du soir commençant
Un grésillement léger comme d'aiguilles au soleil de la pinède
lorsque tu t'avances pour guetter les folies des colombes
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Chutt !... – ne parlez pas, ne dites rien Pénombre
et silence roucoulent ensemble Les mûres noircissent
parmi les ronces et tout à l'heure il te faudra goûter
leur barbouillage d'encre bleue comme autrefois
.
Les arbres savent-ils qui je suis Je pose mon front
contre leurs troncs écailleux de vieux crocodiles
verticaux ! Les idées les plus saugrenues me traversent
vêtues des oripeaux de l'évidence et baguées de certitudes.


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Démiurgie

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Surgie de ton image, rayonnante étoile dans l'air sec et froid dominant l'immaculé, ton ombre spectrale ici-bas laisse à chaque pas une plaie dans la neige, qui prend forme d'une sombre fleur.
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Cela ressemble aux traces du dromadaire avançant en rythme dans le sable du mirage, et dont les jambes flageolent et se dissolvent au sein du tremblement chaud de vagues qui n'existent pas.
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Ne pas parler mais avancer dans l'espérance du puits, avec l'illusion qu'un astre vous conduit à travers les angles rocheux, les défilés anxieux, les ombres hostiles et brûlantes des hamadas...
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Ne te tracasse pas si la lune au-dessus de ton front n'est plus qu'un mince croissant de fer rouillé. L'enquête sur cette âme mauve que tu caches dans ta pierre à l'instar d'une améthyste a conclu à un non-lieu !
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Chants et parfum, qu'il est fugace ton printemps ! - juste une explosion périodique de mots en fleur sur la page blanche après le souffle venu de la mer diserte et la luisante averse qui s'ensuivit.
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La Création se prolonge à travers les profondeurs de l'Homme à la manière de ces rhizomes invisibles des bambous que ne soupçonne pas la lumière humide du jour, et de leurs résurgences irrationnelles certains font un prétexte à musique.



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Frère mortel
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Certains d'un côté sont effacés, de l'autre épilés, selon comment le sou de bronze du hasard est retombé à l'instant de leur naissance. De rares cacatoès, eux, sont identiques côté pile et côté face. On peut les retourner tant qu'on voudra, l'énigme qui les constitue n'a pas de dimension cachée.
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Si dans ma vie existent des phases de trous noirs, c'est que la lumière des mots parfois s'engloutit dans l'attraction monstrueuse d'un astre obscur, auquel ils ne parviennent pas à résister, selon les saisons glaçantes où mon orbite elliptique s'en rapproche ; mais cet astre est extérieur à moi.
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Ce n'est pas tant lire qui m'importe, que relire une fois dix fois, cent fois. Jusqu'à ce que, pénétré d'une âme étrangère je l'assimile et la rende indistincte de l'ensemble de qui je suis. Je ne conçois pas autrement l'activité parfois aux limites de l'insensé qui consiste à traduire de la poésie.
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Vous ne pouvez pas comprendre, c'est pourquoi j'écris de la poésie, ou ce que j'imagine comme de la poésie. C'est le résultat du fait que je ne peux pas comprendre non plus. Cette incapacité à comprendre suscite constamment des interrogations sans réponses qui nous font humains.
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Le culturel fait sur les gens de mon espèce l'effet d'un neurotoxique sur les abeilles. Ces symboles pindariques de la poésie sont les amies des cultures, de la nature, lorsque les unes ne combattent pas l'autre pour l'asservir, mais les ennemies du culturel qui ne vise qu'à faire du pouvoir avec l'art.
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Le pouvoir corrompt par essence. Et d'autant plus rapidement que celui à qui on l'a confié était au départ sincère, naïf, éthique, honnête. Car les malhonnêtes au pouvoir en usent en général pour eux seuls. Et les autres, soi-disant pour le bien de tous. Avec de terribles et vastes conséquences.
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Un point géométique, sans dimensions, d'où rayonnerait une lumineuse et insensée générosité grâce à quoi l'univers semblerait plus clair, plus clément, plus doux, plus ordonné, tel un tableau noir d'où une éponge effacerait les brouillaminis de craie angoissés : ainsi doit être celui qui se dit poète.
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Tu te tiens au cœur d'une altitude pure à laquelle nuages ni étoiles n'ont accès : les yeux éblouis d'une aurore permanente tu regardes la Terre avec ses océans brillants comme des miroirs, et grisolles ou turlutes stupidement du matin au soir, tout en tournoyant ainsi qu'une alouette d'or.




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L'irrémédiable
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Il y aura toujours davantage d'abominations dans le monde que de phrases vaines pour les dénoncer !
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Ô poètes moraux et combattants de nobles causes, prêts à sacrifier jusqu'à leur vie pour oublier ce qu'est la mort !
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Quelque algues en rubans au fil d'une eau transparente, une senteur de lilas ou d'acacias invisibles, la voix d'un enfant pure encore des raucités atroces de l'existence, une tourterelle qui roucoule sur la pointe d'un mélèze – rien de plus !
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Tout est bon bien entendu, pour contourner le puits béant du désespoir, pareil à ces plaques d'égout otées du milieu d'un trottoir, et qui laissent apercevoir, et sentir, sur quelle masse de déjections est fondée la réalité de ce qu'on appelle une vie heureuse.
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Les dieux et le père Noël se passent de preuves. Restons enfants, restons joyeux. Et s'il nous arrivait de grandir, trouvons quelque déesse ou quelque mère Noël pour nous occuper avec leur petit paradis triangulaire !
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Dépenser des trésors d'intelligence - pour éviter de penser : tel est l'objectif. Il me fait songer aux trésors de génie que dépensent des ingénieurs et des savants - pour corriger les catastrophes engendrées par les trésors de génie qu'ils ont précédemment dépensés.
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Lorsque j'aperçois le sourire d'un tout-petit, je songe à l'héroïsme fondamental qu'il y a, pour un humain, à seulement survivre. (Lui aussi sans doute, plus tard, se reproduira.)
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L'étrange richesse de vivre réside-elle dans le seul fait que l'on ne puisse échapper ni à l'espace ni surtout au temps ? Ne pouvant embrasser tous les espaces et tout les temps dans notre conscience, les déficiences des mondes en nous créent sans doute cette impression d'infinie diversité.
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Ce qui rend l'univers infiniment riche et infiniment misérable, c'est qu'il ait une fin. La nôtre.
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Lorsqu'on fixe véritablement la réalité avec les yeux de l'esprit, la douleur est aussi insupportable que de se forcer à garder la main sur une plaque de métal portée au rouge.
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On dit que le soleil et la mort ne se peuvent regarder à l'oeil nu. C'est inexact, le soleil on peut, brièvement, même si c'est risqué. La mort, en revanche, ne peut être vue qu'à travers le filtre des croyances et les enjolivements les plus divers. On se raconte l'irracontable.




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Sept pas vers le soleil noir.

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Ne cherchez pas à rallier l'homme du matin aux engagements imbéciles des partisans aveugles.
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Que les oiseaux disparaissent, que les mers se vident, par une bonde invisible, de tous leurs poissons, que les forêts malades soient dépouillées de leurs splendides animaux, nous resterons imprégnés de l'antique Nature.
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Demain, je ne reviendrai pas. Ce qu'est devenu ce monde ne m'offre plus rien à désirer. Mourir vite et sans excessives souffrances sera une délivrance appréciée.
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Comment vivent les poètes désespérés qui n'ont même plus l'espoir que la mort, absurde comme la vie, soit une solution ?
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Pourquoi un cerveau si perfectionné chez l'être humain, alors que réfléchir profondément lui pourrit la vie jusqu'aux moëlles, et que le bonheur est d'autant plus présent que l'on passe son existence dans l'insouciance la plus écervelée ?
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Que peut offrir cette vie, hormis la contrainte, l'emprisonnement dans un corps dont il faut s'accommoder - si horrible ou taré soit-il -, et des illusions, chiffons rouges qu'on agite sous le museau de la conscience pour la distraire jusqu'à l'estocade ?
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Comment croirai-je à vos sentiments, alors que je ne crois pas aux miens – et que vivre est une longue trahison en tous domaines ?
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Cet élan de fraternité que j'ai toujours ressenti, lorsque dans un bois j'ai croisé un arbre dont le tronc avait été marqué d'une croix rouge par le bûcheron !



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Hiver définitif
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L'esprit, une lame oxydée, éther et souvenirs d'un temps d'ouate et de nickel. Les lauriers ne poussent plus, au mieux séchés alimenteront-ils les feux d'hiver. Neige sous les rougeurs sombres du crépuscule. Sur un poteau une pie feint le printemps, une brindille au bec ! Mais les oiseaux sur la portée des fils, rassemblés ainsi que les notes d'un choral, préparent leur fuite et demain le froid les aura chassés vers les lumières du sud qui nous manquent tant.
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Cette impression tenace qu'un jour nous a été dérobé, que le soir arrive trop vite, toujours plus vite, toujours trop vite ! Cette impression que le principal rendez-vous nous a été supprimé, que le lieu-même n'existe plus, par le claquement de doigt d'une méchante Carabosse ! Cette impression d'être devenu un homme du passé sans avoir un seul instant pu être du présent, dont tu serais embarrassé comme une pie, pour son nid pinçant un brin en plein hiver, alors que s'annonce un lustre de banquise...
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Voeux du rêve. Chanson silencieuse des âmes défuntes dans les oliviers. Profitez pleinement de vos jours, ô mortels ! Que leur chaîne d'or se rompe, et l'univers que vous aimez s'en ira tel un ferry à la dérive ! Passez, glissez, grandes aubes et nuit ! Vient un moment où l'on traverse les heures comme ces initiés qui courent sur les braises, tandis qu'autour de nous en spectateurs nos amours agitent la main avec les blancs mouchoirs de leurs adieux !




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Bilan astrologique !

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Tous savent, quand toi, tu ne sais rien. Tous brillent, quand toi tu es éteint. Tel un satellite désaffecté des années-spoutnik, tu t'imagines tournoyant et grotesque entre les étoiles, pantin à cinq branches, mat, déglingué, grêlé de météorites, dont le dernier émetteur encore en fonction par on ne sait quel miracle continue à lancer en grésillant à travers le cosmos des messages en morse que, depuis un demi-siècle, plus personne n'est en capacité de déchiffrer.
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De temps en temps, un ou deux radio-amateurs curieux se branchent sur ta fréquence, s'attardent à guetter durant deux-trois minutes la friture de tuuut-tut-tut-tuuut-tutuut-tiiit-taaat... émise par tes cellules quasiment à l'agonie, sans y comprendre davantage que s'il s'agissait de Licht de Stockausen, mais cessent rapidement d'user leur attention sur un langage qui ne rime plus à rien et méconnaissable, n'a même plus de nom dans aucune langue.
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Car le douze est désormais dépourvu de sens. Et toi tu n'as plus rien de commun avec ce autour de quoi les autres tournent, ta seule perspective est désormais d'attendre d'être réduit au silence noir des espaces infinis dont s'effrayait Pascal, et d'être consumé en une étincelle minuscule qui marquera ta dissolution dans l'Oubli, lorsque ton ultime cycle se sera tellement affaibli que tu ne pourras plus résister à l'obsédante attraction du soleil.



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Incohérences du Bowmore
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Âme amoureuse des lointains merveilleux de la vie,
des formes déliées de l'espace et du temps bleu-marine,
jamais ne connaîtra les charmes du retour, songeuse
éprise d'un passé d'images fragiles, intangible film
qui casse par moments dans le vieux projecteur usé.
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J'aurai vu l'errante beauté qui foulait le tapis des neiges
ennuagées, l'altitude du vent glaçant des hauts-plateaux,
le jeune visage aux pommettes avivées comme le fruit
rougi par sa passion d'aimer, de vivre et de connaître,
et la grâce de l'infini qui cueille l'univers dans sa spirale...
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Connais-tu mon hiver distant, mes deuils, ma solitude,
Le rare cri du milan noir entre les pages de livres amis,
(ô queue ouverte en éventail ainsi que V en fin de rêve)
ainsi que par moment, hors-d'âge, l'ambre du langage
ivre qui de son bleu cristal te protège comme un fossile ?

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Quatre pas dans le chaos

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Joie mais désabusée qui tiédis dans la brise à la façon des fleurs de lavande au parfum nourri d'azur, joie mais sans feinte et sans illusion, tu es l'ermite de ma caverne poétique.
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Belle heure que celle où le grand paon du jour quitte la chrysalide des flots et prend son vol en fixant l'univers de son regard solaire. Qu'il ne vive qu'une journée importe peu, déjà la mer fomente celui de demain.
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Beau pommier en robe blanche qui profites du vent pour siffler que tu m'aimes, comment te croire ? J'ai reconnu l'accent de l'invisible serpent dont la mue de papier, abandonnée en travers du chemin, porte les runes de la connaissance.
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Dans le réel, tu cherches ce qui fait réalité, et te heurtes au mur derrière lequel, y collant ton oreille certains jours fastes et terribles, comme en la conque du poème tu entends ronfler les vagues de l'Éternité.



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Plus que la Beauté

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La seule réalisation qui dans ta vie ait parfois
réussi à te satisfaire une heure ou deux durant,
c'est l'organisation des mots en un simple poème
complexe occultement, à la manière des choses
de la nature, un parfum de houblon dans la bière,
la blondeur dans les houx d'un soleil matutinal,
le cœur noir irradiant de l'intérieur des pierres,
que seul j'entends, en collant mon oreille au mur,
pulser à l'instar du noyau frissonnant des étoiles...
.
Une branche où bourgeonneraient des feuilles
de fraîche verdeur insensiblement dépliée, un don
de graminée aux alouettes qui là-haut s'efforcent
de traduire en babil ce vent qui fléchit les moissons
et qu'emportent les voiles lumineuses des nuages...
.
Quelques jolis assemblages de mots, une syntaxe
qu'un menuisier dirait peut-être en queue d'aronde,
un chiffrage de vers d'une nudité qui inspire et fait
frémir nos poumons d'un air citronné de printemps,
éphémère bonheur d'un instant de grâce éphémère...





L'incomparable intime
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Ce que la lumière du soleil dévoile
est mieux caché, plus mystérieux que jamais.
Telle une femme à l'instant qu'elle se donne
ouvre avec elle un espace d'indicible splendeur.
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J'ai regardé la mer et le feu du levant mousser
déjà sous l'horizon. J'ai connu la beauté verte
du « monde » - de fait le seul qui soit mien
et que j'offre à tous sans pouvoir le partager
.
avec personne ! J'ai vu deux dauphins me faire
la grâce de venir étinceler un instant non loin
du rivage au long duquel je me revois nettement
en train de marcher ce jour-là en mon éternité...
.
En moi s'étend une pinède brûlant d'un essaim
de tourterelles. Avec hésitations, l'une après l'autre
au matin commence à grésiller l'élytre des cigales.
La sœur sur la terrasse médite devant un thé sombre.
.
Guettant l'écureuil au museau d'amoureux pointu
qui poursuit sa belle touffue comme peluche animée,
je goûte en le humant le bleu frais et profond de l'air :
Le tendre univers que je suis nulle part n'a son pareil.




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Vie forcée
.
Avec quel violent bonheur j'entends ce poète
relire les vers concernant ses amours passées
Il s'étonne et se sent réchauffé par leur enthousiasme
Il avait oublié dit-il à quel point il avait été
cette fois-là follemment amoureux d'un corps
qui rectifie-t-il faisait un avec l'âme qu'il contenait...
.
En relisant ceux des poèmes que j'ai publiés
qui évoquent mon amour - qui n'a jamais passé
et vit toujours à mes côtés, inexpliqué inexplicable -
je suis obligé de me consoler avec le présent
de l'immense détresse émanant d'un passé à jamais
disparu, avec ses violents bonheurs et ses terribles
tempêtes, et si je n'ai aucune envie d'y retourner,
changer ce présent en futur ne me dit rien non plus.
.




Quatrain des abusés
.
Il y a dans le poème d'amour « direct », ado, une forme
d'indécence quasi-érotique que seule peut se permettre
la jeunesse – à qui l'on passe les excès du désir, bien sûr,
puisqu'on voit en elle l'avenir du passé que nous sommes.


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Poéthologie
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Mille conceptions de la poésie. Mille conceptions du poème. L'occulte et le révélé. Le clair et l'obscur. Le bien-pensant et le maudit. Le pathétique et l'ironique. Autant de prétendus poètes, autant d'arts poétiques prétendus. Celui-ci écrit pour guérir, celui-là pour compenser. Cet autre pour se faire une réalité. Ou pour se construire un rêve. Tel respecte le langage. Tel le brutalise. L'un nostalgise, l'autre vaticine. Tous veulent éviter de soupçonner qu’ils pourraient « faire des histoires pour rien » comme récemment j’apprends que le déclara Yu Jian. En cela, ils ne sont pas très différents des religieux, qui pourtant les détestent. Les uns, le dieu de la poésie. Les autres, la poésie du dieu. Et moi la poésie de la poésie, sans rien d’autre. Peut-être même sans poésie. Sans père à plume, né d’une originelle inexistence !


.


Juillet 1951
.
Qu'il y ait énigme et perversité du chiffrage en poésie,
voilà qui est me semble-t-il indiscutable. Et pourtant
tout écrit de moi, quoique l'on ait bien pu en dire, se voulait
toujours aussi naturel, aussi évident et simple que loisir
m'en était laissé sans trahir le texte dicté par l'instinct.
.
La pose si délicieusement romantique de n'être point
compris ne m'attira jamais. Celle du classique volontaire ?
Non plus. Au mieux la pose désincarnée de l'indifférent
à tout hormis ma langue maternelle à la rigueur me convenait.
Mais la garder longtemps m'était souvent pénible – quand
.
même il fût vrai qu'elle correspondît de très près, je l'avoue,
à la vérité ! Décidément, ce qui m'attirait, à pratiquer musique
ou poésie, c'était la majesté de l'Inutile et la grandeur de vivre
avec pour copine la Beauté, comme enfant jadis à Ste Maxime,
dans la complicité d'êtres aimés, tu bâtissais tes fragiles châteaux.
.
La fable lumineuse de la mer turquoise approchait doucement
son écume sournoise à la blancheur frangée de sel étincelant.
Tous les adjectifs du monde étaient bien en-deçà de ton bonheur.
Chaque baiser de l'eau avait le goût du sel et l'odeur du soleil.
Être plongé dans les remous transparents de la vie, voilà qui,
.
ni pour toi ni pour les mouettes joueuses ne faisait question.


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Sursis
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Poème, bel esquif au gréement fragile
emporte-moi très loin sur les vagues agiles
selon le souffle qui soulève les écumes
et sur ma langue jette un embrun d'amertume !
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Sans obole à donner et sans naute servile,
ensemble nous irons jusqu'aux marches de l'Île
dont je pressens l'ombre spectrale dans la brume...
Pour gouvernail, nous aurons ton instinct et ma plume.
.
Du reste il fera beau, peut-être, ce jour-là,
irisé, ce sera le parfum d'une splendide aurore
fraîche comme rosée aux grains du nero d'Avola...
.
Poème, bel esquif gréé de rêve et d'encre,
traversons jusqu'au bout, voire plus loin encore :
il sera toujours temps demain de jeter l'ancre !


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Une vie de libellule
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Parmi les derniers, refusant l'entre deux, tu menais mélancoliquement le deuil de la Beauté.
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Oublié comme tous les retardataires, tu regardais le futur bleu-aurore t'arriver de l'horizon, toutes vapeurs dehors.
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Sur ta nuque le poids d'une injustice qui n'était pas de ton fait, alors que tu tentais de lever les yeux vers l'altitude immaculée.
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Du peu qui avaient prétendu t'aimer, ne restaient que des spectres et quelques douleurs de chair défaillantes.
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Le temps chantait en toi ainsi que l'orchestre des cigales, quand il s'acharnait par les chers étés d'autrefois à meubler ta solitude.
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Le sourire d'un enfant, son expression concentrée et ses yeux transparents, la conversation que tu as souvent préférée...
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Le monde entier, le tien, dans les brins d'herbe auxquels ainsi que des noirs à des cocotiers grimpaient les scarabées : c'était suffisant.
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Ils ont échangé la grâce contre les indices du bonheur, qui résonne comme un carillon d'argent. Tout a commencé avec une charogne.
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Il y a dans l'élan des pins d'Alep, réputés d'un mauvais bois et ne poussant jamais droit, une manière d'être qui convient particulièrement à mon chagrin.
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Cette masse de bambous, parmi lesquels un bon nombre seraient des flûtes en puissance. Cette masse de feuilles blanches, poèmes virtuels.
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Flûte et poèmes sans souffle et sans bouche ne sont pas dignes de quitter le silence où n'importe comment les rejettera la dégradation des choses.
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Toutes voiles dehors, le trois-mâts goélette de la Beauté, sa figure aux seins d'or allongée sur le beaupé, dans une odeur de cèdre appareillait, toi à son bord, sur la mer maternelle.
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Nul ne connaîtra jamais ce que fut ce voyage où tu rencontras, la main toujours à portée de l'un ou l'autre dictionnaires, des indigènes de tous pays et de toutes langues.
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Quelle importance d'écrire ou de penser, si l'on n'est pas aimé ? Et quelle importance, si l'on est aimé ? Le poète a une vie de libellule.



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Comme tout le monde
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Un million de fabricants de poèmes (peut-être)
et toi. Tous merveilleusement intéressés à, disons
« leur monde ». Et toi ? « Ils disent n'importe quoi,
affirme un journaliste abruptement. Et c'est souvent
sans intérêt... » Et toi ? « C'est bien de donner la parole
de temps en temps à ceux qui n'ont rien à dire, c'est
une forme d'équité ! », affirme un autre. Et toi...
Tu penses que tout ça est le règne amusant autant que
tragique du culturel. Ainsi, du blé lancé par le van,
tandis que le grain obscur retombe, s'envole au vent
la balle lumineuse comme l'écume fusant des rochers.
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Tandis que le grain obscur retombe, promis au noir
terreau humide : le grain des mots, cendre d'encre.
(Comment n'accorder aucune importance à la mort
lorsqu'un million de fabricants de poèmes, intéressés
à leur seul monde, en ont fait leur bête noire ? - Et toi ?)

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Sonnet pour après l'Homme
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Quand la neige du temps aura tout effacé
et rendu cette profusion-ci de mots à l'immaculé
depuis quelques lustres tu auras toi-même disparu.
De toi ceux qui t'aimaient ne se souviendront plus.
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Qu'importe, n'est-ce pas, - tu n'es déjà que l'ombre
d'une fumée en train de s'évaser jusqu'à la transparence
dans le soleil qui lentement de l'orient s'élance
parmi les migrateurs que l'automne rassemble en nombre.
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De toi, il restera toujours les eaux de cette mer
qui aura si longtemps - ô vagues comme un champ
d'oliviers - occupé tes pensées, tes rêves doux-amers.
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Et quelquefois peut-être à l'inflexion d'un chant
d'ange ou de passereau qui auront par miracle
survécu, la Nature apprendra la fin de sa débâcle.




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Pensée d'hiver
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Comme disait le poète Petr Kràl, de trois ans mon aîné,
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« Voici l'hiver au goût de frisson d'acier entre les dents... »...
(Enfin je cite de mémoire l'ami - qui a depuis regagné son pays !)
Sautant de nature en technologie, de culture en disparition,
perplexe sur les mutations bizarres dans l'esprit des hommes
j'en reviens, moi, à mes pensées sur la réalité contemporaine
incapable de s'adapter aux effets nocifs de ses propres visions !
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N'ayant pas de patrie qu'une langue insondable où m'aventurer
me voici, les mains ouvertes, offrant corail ou diamants dont
nul ne veut, et cherchant aux défauts de la cité planétaire quel
oasis reculée aurait conservé un peu de ce qui a fait l'homme
que je suis, l'homme qui désormais ne trouve ni traces ni preuves
susceptibles de conforter son vague sentiment d'encore exister...



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Prosopagnosie
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Tu reconnais ce qu'est un visage
mais au miroir c'est comme si tu ne reconnaissais pas
le tien ni celui des êtres familiers. Le froid
éclairage d'hiver peut-être
ou les mauvaises ondes des médias. Politicards véreux
capables de mettre en scène leurs cancers pour faire parler d'eux,
façons putassières de politichinelles qui vendent leur dignité
à tout les médias, pour rester à force de mensonges
cramponnés à leurs postes juteux comme des arapèdes
à leur rocher - pendant que les frimas s'annoncent
qui vont tuer les vieux, les faibles et les démunis...
Catastrophes de toutes sortes proches ou lointaines
où l'on découvre des cités réduites à l'état de mikado,
Et gobalement inhumanité de l'humanité
qui systématiquement ravage la terre-mère !
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Dans le rêve de l'été tu reconnais la mer d'un bleu céruléen,
Tu reconnais aussi l'azur tiède où s'agitent doucement
les palmes striées ainsi que les bananiers aux belles feuilles
Même au printemps frisquet tu retrouves un peu de cet optimisme
des mariages que dispensent les pommiers en robes roses,
la neige des cerisiers en écho à celle qui persiste sur les crêts,
Même l'automne aux dahlias et chrysanthèmes funéraires
garde un peu de souvenir des temps heureux avec ses rouges
frondaisons et ses escadrilles d'oiseaux qui voyagent gaiement
vers l'autre côté, là où tout est lumineux et chaud même en décembre !
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Mais dans la réalité de l'hiver de ce soir quand on entend
la bise qui commence à miauler comme un chat en colère
au coin des rues, mêlée aux sirènes des ambulances,
on sent bien que la pierre se prépare à réclamer son dû...
Et sans doute est-ce prémonitoire que ton reflet
déjà soit méconnaissable et dur comme un masque mortuaire.

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Fantasme suicidaire
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La bise noire véhicule une odeur de choses mortes.
Fuligineuses, par-dessus les immeubles les nuées
se déchirent aux angles des toits et les gouttières
débordent en douchant les gens qui longent les trottoirs...
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Les murs ont des odeurs de vieilles souches pleines
de langues de bœuf et autres polypores roux plus ou moins
toxiques. Aux renfoncements suintent des odeurs d'urines
qui ne sont pas toutes animales. Poubelle renversée.
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Je ne me retournerai pas. Je rentrerai chez moi comme
dans le havre d'un sépulcre où règne une paix inaltérable.
Je ne mettrai ni musique ni radio. Il ne restera que cet épais
silence où l'on entend son pouls avant qu'il ne s'évanouisse.


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