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29 octobre 2013 2 29 /10 /octobre /2013 11:50

 

J'apprends à rêver (8)

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Puisque la réalité du monde est si navrante si abominable puisqu'on a oublié – si du moins l'on a jamais su ! - comment gérer le terrible chaos qu'engendre l'anarchique multiplication des cruels bipèdes que nous sommes

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il ne reste plus qu'à se retirer dans un ermitage avec en haut la montagne en-bas un ruban sablonneux pour contenir comme un cadeau la mer à quoi il faut ajouter un marronnier ou un platane au-milieu de la cour

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Mais où trouver dehors sur l'un des cinq continents l'asile heureux et détaché de leurs vacarmes sombres qui me permettrait de passer dans l'ataraxie mes dernières années probablement moins nombreuses même que je ne l'imagine

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À la fin il faut bien se résigner à ne le découvrir nulle-part et parfois quand on le découvre comme il a pu m'arriver on s'aperçoit que la place est déjà depuis très longtemps occupée par de plus chanceux ou plus malins que soi

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Si bien qu'il ne reste à coloniser que notre espace intérieur le seul qui soit inaccessible avec sa fugace presque immatérielle mais docile immensité que l'on peut vaguement lorsqu'on en a reçu le don cultiver ainsi qu'un potager

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avec la binette de la syntaxe empruntée à notre verte langue maternelle ce français d'une si merveilleuse précision qu'il permet de fixer puissamment tous les rêves De les échafauder facette par facette selon une géométrie de diamantaire

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Désormais je m'y veux retirer comme un moine dans sa grotte de cristal Y inviter le soleil fût-ce par une journée de pluie afin de me complaire au cœur de mille réflexions étincelantes enveloppé d'une paix scintillante de la même voluptueuse essence que la mer un matin d'été.

 

 

 

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J'apprends à rêver (7)

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À travers les spires de fer forgé peint en blanc depuis la terrasse le regard effleure les végétaux fleuris de la falaise et plonge directement dans le bleu intense de la mer

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La comète blanche d'un canot rapide trace un sillage qui s'élargit avec le temps s'atténue puis s'efface ainsi qu'un souvenir L'empire scintillant du soleil sur les vagues

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retrouve son intégrité originelle surveillé par quelques pins qui se sont accrochés à flanc de roc malgré le vertige abrupt Dans l'ombre de l'azur que le jour

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instille dans les frondaisons les oiseaux se recueillent le duvet clair de leurs petits ventres rebondis épousant confortablement le rameau qu'ils ont choisi

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Serein le cap strié ainsi qu'un crémeux millefeuille avance son étrave avec des airs de vouloir appareiller vers l'horizon où le ciel semble éclairé de diffuses promesses

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Cancanant le bec en l'air dans l'enclos du monastère proche des oies vigilantes comptent les minutes les gens qui passent les sautes de la brise qui font lever dans les feuillages

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des protestations chuchotées que j'écoute songeur le regard fixé sur la profondeur turquoise du golfe où le soleil que j'aime moissonne les limpides panicules de l'infini

 

 

 

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J'apprends à rêver (6)

 

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Prenant exemple sur la fée Morgane tu as érigé un château fondé sur une île inaccessible au ras d'un horizon immatériel ou peut-être bien sous la voûte de la mer selon les jours et la formule

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Celle qui t'inspire y règne tantôt femme sorcière tantôt fillette innocente avec de fines crolles sur la nuque et le front Ses yeux candides transperçant les mensonges de l'univers et questionnant en silence

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l'étrange chaos sur lequel il lui est ordonné de régner Toi auprès d'elle tu n'es pas Merlin mais plutôt le gardien noir le fidèle Anubis qui veille au seuil de l'illusion de sorte que «nul n'y puisse entrer qui n'est pas géomètre»

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Car au-delà de l'immense poterne on ne se remplit les poumons que d'éthernité dont aussitôt l'effet monte à la tête y déversant un torrent d'images merveilleuses Impossible de s'en déprendre lorsqu'on y a goûté un jour

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On entrevoit à la lueur de quatre lunes un camp aux tentes enguirlandées d'or entre lesquelles circulent tranquillement des licornes blanches du museau quêtant aux paumes graciles de la Dame qui passe une caresse, une douceur

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Ou bien voici que ce qui n'est pas un nuage d'étourneaux brillants mais un poudroiement d'étoiles évolue en formant diverses constellations de splendeur La Grande Ourse insensiblement se déforme en Baleine

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en Argo en Centaure en Aigle en Cygne en Corbeau en Lièvre en Princesse Andromède et pour finir en Cheval puis en Grand Chien qui rétrécit se dissipe et se met à serpenter à la façon d'un ruisseau de bruyantes pierreries

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Et d'un coup surgissent de tous les côtés des sculptures polaires une banquise craquante de blocs enchevêtrés qui se montent les uns sur les autres comme un clan de vaches affolées dans un enclos trop étroit pour elles

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On dirait un tableau de Friedrich excepté son effrayant silence mais tout cela ne dure pas et se transforme en un Versailles de lustres vénitiens tout scintillant de girandoles où la Poésie en longue robe d'autrefois

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marchant sur le clapotis lumineux de la mer avec l'irréelle aisance qui lui est naturelle revient vers son prisonnier les mains pleines de runes ou d'autres mots enrubannés de sentences magiques chacune violente comme un long baiser.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

J'apprends à rêver (5)

 

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«Je voulais être plein de choses et je ne suis rien» disait-il Et le joueur de mots transpose en secret «Je voulais être plein de roses et je suis chien» Comme c'eût été beau ce doux flamboiement au fond de lui synonyme d'aurore !

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Naufragé au sein de l'indulgent irréel de sa langue maternelle il aurait échoué sur la grève d'une sorte de Pontikonisi sur la colline de laquelle il se fût construit de bric et de broc une demeure parmi d'antiques chênes et cyprès

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Il s'en serait fait le cerbère On l'entendrait quelquefois aboyer de loin les jours où les sons ne seraient pas étouffés par la brume et se propageraient en ricochets sur les vagues jusqu'à frapper les navires de quelques marins sans étoiles

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Aux jours où son humeur ne serait pas trop sombre il prendrait une truelle en or du sable évanescent que le temps aurait laissé sur le rivage du ciment syntaxique de médiocre qualité puis sans souci d'architecture édifierait une nouvelle chambre

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Ou bien un pavillon de jardin regardant vers la mer avec colonnes et coupole marbrée pour lui donner un air hellénique afin que la lumière y soit attirée et s'y sente chez elle Puisque c'est la seule façon qu'il connaîtrait d'y apprivoiser les fleurs

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Et par suite d'attirer les papillons du rêve Ceux mouvant lentement des ailes aux couleurs de chasubles à ramages pourpre noir jaune d'or vert amande qui s'attardent un moment aux délices des calices le temps qu'une pensée monte sur leur dos

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Puis se r'envolent en jouant avec le vent et décrivant dans l'air bleu du paradis toutes sortes de figures qui sont chacune un portrait de l'Invisible Autrement dit de l'absente Beauté d'un Ancien Monde qu'on aurait naguère quitté sans regrets.

 

 

 

 

 

 

 

J'apprends à rêver (4)

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Bien sûr le miroir où se reflètent les strates des falaises couronnées de frondaisons crépues de la petite presqu'île est une lame d'eau claire qui s'élargit jusqu'au grand large avec des bleutés dignes d'un poignardjaponais «tantô»

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Bien sûr les barques de couleurs vives les pédalos jaunes ou vermillon tirés sur le strand en attendant les baigneurs Au loin les maisonnettes blanches toutes identiques dispersées autour de la baie et qui sont des hôtels

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Bien sûr les roseaux entre lesquels le soleil éclaire ton visage et ta robe claire le chuchotis des longues feuilles sèches dans la brise l'odeur de varechs qui s'attarde dans le creux d'eau saumâtre tout cela, tout cela

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qui n'existe pas qui n'existe plus que dans la songerie qui m'y ramène tout cela porte une beauté dont la lumière s'attarde en moi ainsi que celle de ces très longs couchants des régions cimmériennes d'où tu es venue

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Je m'attache dans tes yeux turquoise à retrouver la nuance de ces cieux-là C'est celle du paradis et j'y tiens comme à la plus précieuse émeraude Ta chevelure a conservé l'odeur fraîche des fougères et de l'oxygène des forêts au printemps

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Et lorsque je t'ouvre comme un fruit c'est plonger dans une mer intime et chaude en laquelle les jeux des vagues se donnent libre cours C'est vivre dans une maison de cristal d'où l'on voit dehors se succéder de roulants poèmes d'écume

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C'est planer sur des régions de galets divers aux nuances de gris et de roses célestes survoler des montagnes ocellées d'oliviers dont l'huile entre tes mains lustre le poteau d'Hermès et remédie par la joie à mon ignorance.

 

 

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J'apprends à rêver (3)

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Six ailes de feu et se détacha de l'aube le Serpent doré pour venir poser une braise sur mes lèvres ...que désormais ne s'en échappent que des mots purifiés

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Des eaux qui s'entrebattaient à grand renfort d'écumes réjouies s'élevait un chœur de voix acides qui conféraient aux embruns une odeur d'iode et de citron

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Sur la pente douce du sable qui sort de la mer comme aux lagunes avoisinantes s'entrecroisaient des résilles de lumière où se débattaient de rouges anémones

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agitant leurs couronnes chevelues et ça et là des oursins noirs aux rayons figés pareils dans les nus replis du fond à des pubis pétrifiés qui seraient des reliques

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de sirènes disparues Plus bas enveloppés de la menthe des hauts-fonds des vols de sardines vives comme gouttelettes de mercure viennent humer les effluves

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des herbiers de chlorelles et de posidonies d'où tantôt surgit une amphore tantôt un arbre de corail entre les branches duquel un poisson-clown se livre à mille facéties

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voire plus rarement l'oblique d'une colonne où se distinguent encore pareilles aux cornes du dieu les spirales symétriques d'un chapiteau ionique

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Hélas au sein du rêve comme toujours intervient l'horreur humaine et si nous ne sommes pas dans les parages de Lampedusa à quelques brasses plus loin

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dans l'obscurité progressive des profondeurs on devine cependant la longue silhouette d'une barque qui vient de couler dont lentement se détachent

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de tous côtés comme sinistres graines d'une cosse et s'en vont au gré des courants leurs yeux blancs restés ouverts l'air halluciné une profusion de corps sombres parmi lesquels parfois se devine une forme de femme ou d'enfant.

 

 

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J'apprends à rêver (2)

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Babounes bonites dorades bleues marlins noirs bécunes autant de troupeaux de poissons en transhumance à travers l'indigo immense pareils à des flottilles de nuages qui jamais n'atteignent à leur alpage

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Ah - Vous accompagner jusqu'à l'Ile frangée de filaos et de récifs dont en esprit je me plais la fesse épousée par les sablons d'incessantes plages à contempler les hautes vagues incurvées d'un vertige sans fin

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De vous - apprendre la nuit bleue qui balance étoiles et noctiluques au plafond mobile des eaux de même qu'autrefois lorsque le noir au-dessus de moi illimitait la chambre j'y voyais se réverbérer les clartés dansantes de l'étang où se baignait la Lune

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Ce serait comme respirer l'arôme violent du datura d'une nuit brésilienne lorsque en un hamac qui tangue au vent tiède nous parvient la chanson d'un crooner aux accents portugais soulignés d'un rasgueado d'accords impossibles

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Ce serait comme une berceuse qui endort imperceptiblement le regard d'un nouveau-né jusqu'à ce qu'il dérive et que ses yeux se ferment pour mieux entendre dans un autre monde les frais sopranos des séraphins

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Un être mince et presque transparent m'éventerait de sa sollicitude aux plumes irisées sa présence ferait plus intense le silence qui se chargerait sans que les humains n'en sachent rien d'une espérance de foudre que seul

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Son corps fendu et lisse d'albacore serait en mesure d'assouvir ainsi qu'un fruit précoce décroché des branches du désir aux temps où le bonheur n'avait pas besoin de mieux pour s'épanouir.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

J'apprends à rêver (1)

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D'avoir connu le paradis même s'il ne m'en reste que de très vagues souvenirs analogues aux reflets d'une petite île verte dans les mouvances floues d'une mer en rêve j'ai conservé une inexplicable oppression nostalgique

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Une sorte de tatouage mental qui reparaît sur tous les clichés heureux que me restitue ma mémoire à la façon des abréviations laissées par les photographes qu'on fait venir pour les mariages et qui gaufrent d'un relief à peine perceptible au bas de la photo la jupe exubérante et blanche

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de la jeune épousée comme pour rappeler qu'il existe toujours un élément étranger dans le bonheur qui risque de tout gâcher à moins d'avoir la sagesse d'en détourner le regard et de nous abstraire des mille imperfections que le chaos

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s'efforce de conserver à notre insu dans les replis cachés de l'Ordre des Choses Car même une grève lisse et dorée à l'heure du soleil levant juste à l'instant où s'en retire la marée avant que les oiseaux n'y soient venus pour le plaisir de piétiner la perfection déserte

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et d'y laisser jolis saboteurs de l'Immaculé le tracé cunéïforme de leurs pattes frêles même une dune pure à l'échine parfaite est toujours altérée par quelque spire de nacre ou autre relique abandonnée par l'eau difficile à identifier

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Sous l'estran lissé demeure toujours hors de vue quelques débris d' Éden ou d'Atlantide fûssent-ils réduits à la minceur osmotique de l'interface entre réel et imaginaire vestiges d'autres temps où nous piétinions d'une écriture volubile

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la clarté de pages de vélin qui nous ouvraient les vapeurs de leur éther comme si nous pouvions simplement la traverser puis le cœur léger nous r'envoler ainsi que voiliers qui migrent vers des îles plus heureuses en ayant pour ceux qui les suivront laissé

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les signes désignant l'Orient qui attend avec sirènes nues et pierreries de l'Autre Côté du gouffre amer.

 

 

 

 

 

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