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27 août 2014 3 27 /08 /août /2014 13:06


Sur un autre rivage
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Sur un autre rivage à cette heure Elle règne, et cette seule pensée en moi réveille l’amour du monde.

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Passion inexplicable pour ce qui est lointain comme ces nuages qui se déforment dans la baie vitrée.

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On dirait les sentiments qui accélèrent notre coeur aux mots "princesse blonde", ou "belle au bois dormant", telles ces chansons venues du fond des siècles et qui résument l’âme d’un peuple…

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La pourriture, la méchanceté, les haines, les critiques venimeuses, tout ce qui normalement ferait que notre sang tourne au vinaigre, se voit désarmé par cet antidote. Le cobra est édenté.

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Ce qui tend la voile latine de la nef où je me réfugie, c’est une promesse de périples désirés, d’un espace turquoise qu’essuyent, ainsi qu’un miroir, des torchons de palmes émeraude, au-dessus des houles.

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Là se trouveraient les indices qu’une île m’attend, avec sous ses huttes de feuilles des natifs que n’aurait pas pervertis la civilisation, occupés à jouer sur de longues flûtes des thrènes teintés d’inexprimable nostalgie.

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Je tirerais la carène sur le sable, descendrais pieds-nus dans l’écume, pour gravir la pente qui mène jusqu’à la musique, et silencieux, à croupetons comme tout le monde, j’écouterais parmi ce peuple de frères inconnus, sans que nul ne semble surpris par ma présence.

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Là-haut l’alizé discrètement secouerait la canopée parfumée par dessus nos têtes, ajoutant aux mélopées des syrinx son secret chuchotis d’éternité, scandé par la succession des soleils et des lunes.


 

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Farine d’oubli
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Seul à n’être point gisant enlacé par les algues noires du sommeil.
À l’extérieur, le mistral secoue des grappes d’étoiles bleues pour leur faire avouer les secrets de la nuit.

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L’été peaufine ses dernières journées, avant de passer la main à l’automne qui, dans certains coins perdus de la montagne, s’essaie déjà aux mélanges traditionnels d’écarlate et d’or. On voit que, de temps en temps, il a essuyé sur tel ou tel arbre des forêts ses doigts maculés de couleur.

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Le temps de m’efforcer d’extraire quelques phrases de ma vieille âme dévastée, voici les blancheurs de l’aube par les interstices des volets.

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À force d’entasser les années, le cerveau en est comme empesé. Il ralentit, s’alourdit, la moindre pensée y est freinée par une sorte d’inertie, et Chronos en profite pour accélérer les jours comme s’il avait hâte de se débarrasser de nous.

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Si bien que les aubes se mettent à défiler, vite comme aux roues en bois des moulins que meut le ruissellement argenté d’un torrent.

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Bientôt ne restera qu’une farine de cendres, parsemée de quelques grumots


 

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.Acouphène
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Doucement, l’inquiétude qui nous fait entendre dans la nuit cet acouphène semblable au chant d’un grillon au clair de lune, s’en rassérène le coeur, quand son rythme s’apaise pour laisser insensiblement place, dans un bâillement involontaire à l’état second avant-coureur du sommeil.
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C’est maintenant que le langage s’empare de l’aire des songes, déploie librement ses images ainsi qu’un paon qui pour ocelles aurait mille icônes d’or tirées de nos souvenirs, dont il réarrange à sa guise l’ordonnance dans des orles bleus ainsi que fait la mer avec les moires irisées laissées par les bateaux.
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Ici, l’Euménide n’est jamais fatale, la scène interrompue ressurgit sous une autre mue, les ciseaux ne sont que des virgules qui n’entament pas le continu défilé d’images, d’échos et de senteurs si réels que le corps s’y trompe parfois et se tord sur sa couche, pris d’une volupté digne du talent d’un succube.
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Telle puissance de l’esprit qui certifie insoupçonnablement l’illusion lorsqu’on dort, de quel augment use-t-elle comme auxiliaire pour qu’éveillés nous soyons persuadés, convaincus, assurés de notre éveil : de quel signe secret conforte-t-elle notre sentiment de lucidité, clair comme un amandier en fleur ?
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S’agitent devant mes yeux les feuilles du cerisier dans la brise de huit heures ; une pie se pose sur l’une des hautes branches du chêne, désignant une touffe d’automne, la première à roussir ; insidieuse fin de l’été sur fond d’azur immaculé au point de me faire douter de mon regard, et de ma vie, ce mirage !

 

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D’une fleur sereine
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Être heureux, disent-ils, "nous voulons être heureux…" Mais le bonheur, quand il leur est donné, aucun d’entre eux ne le reconnaît avant que leurs comportements ne l’aient fait fuir.
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Il est dans cette guitare nocturne, qui accompagne les fusées d’étincelles du feu de camp et les fige en étoiles, tandis que notre bras enlace une épaule aimée pour que la nuit s’éternise…
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Il est dans les poireaux d’un beau vert, dans les navets roses et blancs et autres légumes qu’on lave, découpe, épluche, pour la soupe du soir, que relèveront ces brins d’oseille vibrants comme des baisers.
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Dans le silence que nous échangerons avec nos regards et ce parfum de fougère sauvage dans tes cheveux, une joie latente enspiralée comme un escargot offrira sa coquille à nos âmes confondues.
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Pour les humains, leur cruauté, leurs haines lavées dans le sang, leurs traîtrises innombrables, l’abjection en laquelle rampent leurs conscience, nous aurons l’indulgence sans bornes de nos corps.



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Vérité d’un Meneur de brumes
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Fût-il ce roncier qui tremble, le vent incarné, j’aurais voulu être celui qui lui eût arraché trois aubépines ! Par malheur, rien ne peut être ravi au vent, lui seul cueille les roses blanches qui buissonnent sur la mer, lui seul mène les troupeaux de vapeurs claires qui transhument à travers l’infini couleur de lavandes…
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Il me fuit quand parmi les pièges de ma langue je m’efforce d’acclimater la plus belle journée, plongeant les regards de mes souvenirs dans les larges prunelles cristallines des forêts, où nagent les reflets des feuilles parmi les truites arc-en-ciel et les ombles-chevaliers qui tournent autour des roches que quitte le chant de l’eau.
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Car c’est aux pierres presque immuables que le torrent connaît qu’il ruisselle de cluse en cluse, souverain, vers l’aval, pour retrouver la mer, d’où remonte le saumon en sens inverse pour mourir au sein des purs courants glacés qui l’ont vu naître et s’essayer à ses premiers frissons de vif-argent, – ô minute d’incurable nostalgie !
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Trois corolles roses suscitées de rien, assorties en bouquet de phonèmes limpides, dont lierait les tiges graciles une syntaxe qu’à peine justifie l’archaïque héritage de Rome et d’Athènes, non sans préméditation, ses feintes d’architectures symétriques ou rectilignes qu’éblouit encore aujourd’hui la lumière d’un marbre irréel…


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D’ombre et d’or
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De mots qui sont l’ombre des choses, il voulait sur sa page projeter les noirs dessins, ciselés jusqu’au moindre détail comme des marionnettes du wayang javanais sur leur écran translucide.
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Comment dessiner cependant l’ombre de l’amour, sinon à représenter l’amour d’une ombre, dont l’impalpable magnétisme, tel une atmosphère aromatique, séduit de proche en proche tout ce qui existe ?
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Les acteurs importaient peu, mais la subtilité, l’intensité de leurs relations, la stabilité qu’elle conféraient au chaos universel, c’était là ce qui inspirait son langage aux distantes blondeurs de soleil.
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"Ne m’approchez pas !" - noli me tangere ! – murmurait sa vérité dans un souffle, "le rêve serait détruit, le mirage démasqué, et vous n’y gagneriez qu’un affligeant dénuement auquel rien ne nous contraint !"
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Il se pourrait bien que sa poésie eût été, après tant d’années à frotter des bâtons d’encre de chine sur des pierres rei pour peindre des lavis sans intérêt, contaminée par une noirceur de suie parfumée à l’ambre gris.
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Parfois, malgré ce handicap difficilement surmontable, il arrivait que se décalquent sur sa page, à la faveur d’une maladresse heureuse, quelques uns des idéogrammes sur le corps du bâton empreints à la feuille d’or.


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Larmes de Saint Laurent
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Silence d’eau glacée. Un margouillat à l’envers dans l’encadrement du chambranle se demande si tu es ennemi et s’il doit fuir un être aussi imposant. Soudain, dehors une succession de détonations éclate,  qui dure, au point qu’on va voir sur la terrasse étinceler dans le ciel noir, au dessus des arbres, les gerbes d’un feu d’artifice.

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Floraisons rapides qui n’attendent pas que soit éteinte la fleur d’étoiles à peine apparue, pour que la recouvre plus riche et plus brillante encore la suivante. De l’autre côté du vallon, manifestement des gens font la fête, un camping d’été peut-être,  qui s’apprête à fermer et veut laisser sur la rétine des vacanciers déjà clairsemés une image éblouissante…

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Dernières danses, à dix pas des baffles assourdissants, derniers flirts nuancés de chuchotis sentimentaux à dix pas dans les ténèbres : "Tu m’écriras ? – Oui, oui ! – Menteur… Tu as mon numéro. Appelle-moi plutôt ! – Évidemment ! Sitôt arrivé, je le ferai…"  Encore quelques minutes d’illusions. Demain, les bagages, le retour, l’arrivée chez soi, chacun de son côté, fourbus.

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Les amants d’un été redeviendront étrangers. L’habitude de leur vie réelle, c’est-à-dire quotidienne et sans magie, va refermer sur eux son invisible prison. Ils ne se reverront jamais, bien sûr. Ce sont idées folles nées du soleil, de la plage du bord de mer, d’un corps presque nu, passagèrement offert. Les délices d’une amourette de quinze jours ne résisteraient pas à la banalité des factures d’électricité.

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Le rêve ne se laisse vivre que fugitivement. Excepté celui du poète, qui dure, au point qu’il va voir sur la terrasse, comme jadis ou naguère, étinceler dans le ciel noir, au dessus des arbres, les gerbes d’un feu d’artifice. Visible ou invisible, celle qu’il surnomme sa muse, de sa voix argentine et chaude digne d’un plafond d’aéroport, se récrie devant les pluies d’escarboucles fascinantes de la lumière…


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Tristesse et cendres…
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Où vous enfuyez-vous, où donc, frêles enfants ailés de l’aube ? Pourquoi réserver aux brumes blafardes, là-haut, votre morse cristallin ou vos flûtis liquides ? Les seuls claquements de rémiges sont de corbeaux et de colombes sédentaires qui, sans discrétion, quittent leur branche en se débattant pour se frayer un envol parmi la densité des feuilles.

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Si le jasmin s’obstine à venir jusqu’à moi malgré le vent, si des bouffées de cloches des dimanches depuis leurs lointains l’imitent, le promeneur du petit-jour anticipe lucidement que ce sont les premiers souffles de septembre qui fraîchissent à travers les oliviers. Les ramures argentées des cèdres balancent sur l’ample rythme caractéristique des adieux !

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En se décolorant, l’aurore pâlie transfère dans la mer son pigment pourpre qui se mêlant au bleu assombrit les vagues, et ce glauque sombre vient lécher les arènes des plages que les foules otieuses ont désertées. Ici, dans l’arrière pays, elle déteint de-ci de-là sur les chênes et les frênes du bois tout proche. Une poignée de mouettes ont été déléguées pour le vérifier.

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Le plus sympathique est ce clan de sangliers, culottés de noir, qui est venu gratter l’humus au pied des troncs, grognant du groin et reniflant non pas quelque trésor archéologique enfoui par la sédimentation des siècles, mais bien plutôt une éruption de champignons, un stock de glands moisis ou de racines à fleur de terre, qui mis à nu répandront un délicieux parfum d’humidité.

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Le sol matinal des pluies meubles, à eux ne fait pas regretter l’automne, ni les veillées lascives, ni les randonnées aventureuses qui enchantent tellement les éphémères émigrants des villes, ni les dernières fusées des feux d’artifice de l’août, ni tout ce qui dans ma réalité – comme dit un "tube" récent ! – n’est déjà plus que souvenirs éteints, tristesse et cendres…

 

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Reconnaissances
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Monts sur lesquels le ciel déteint, lavandes que leur essence fera cueillir, houles d’un bleu royal promises à l’échec, écume aux lèvres, après leur course folle jusqu’au fond de la calanque rouge qui ressemble à l’écurie vers laquelle, crinières au vent, cavalerait une flopée de pouliches camargaises… Ici, j’habite en compagnie des végétaux une turquoise apaisante. Le mystère y est détaillé par une lumière totale, quasi-grecque, qui donne à la moindre falaise calcaire des airs d’Acropole.

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Dans l’ambiance tiède, les senteurs diverses s’entrecroisent, celle de la sueur dorée du pin au tronc ridé comme un pied d’éléphant, celle des jasmins étoilés de blanc, celles qu’exhalent les herbes sauvages, aspérule, fenouil, anis, thym, menthe poivrée, romarin, serpolet, basilic, matricaire. Pas un seul de ces noms qui ne réveille un souvenir heureux, ni n’affirme que c’est le premier air que j’ai respiré, par un quatre juillet assourdi de cigales et de colombes flirtant sur le toit, lorsque j’ai commencé à mourir !

 

 

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Le matin ne salue personne
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On pourrait appeler "tropisme" le penchant qui me fait préférer le crépuscule du matin à celui, baroque, fastueux de pourpre, de verts transparents dignes de Fra Angelico, que déploie le couchant. Une manière d’antidote, la pureté de l’aube, son cristal, à la lourde draperie rebrodée d’escarboucles, décadente à souhait, des nuages moëlleux supportant à l’ouest le trône de l’astre dont le règne jette ses derniers feux. L’arrivée violette de la nuit a des teintes d’ecchymose un peu morbides, pour le moins disons : malsaines, et l’on sent qu’avec l’avancée du soir une sorte d’hypnose insidieuse nous gagne, que nos paupières ne résistent pas à changer en torpeur, puis en assoupissement de la conscience.

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Cette sournoise et progressive déficience de la lucidité, depuis ma plus tendre enfance, je l’ai toujours redoutée. C’est elle qui change dans nos oreilles le battement du sang en les pas lourds d’un ours qui, menaçant, monte l’escalier dans le noir. Elle qui enguirlande le peu de raison qui nous restait d’un cortège de visions illogiques auquelles l’endormi assiste, dépouillé de toute capacité critique, avalant n’importe quelle incohérente, ahurissante fable comme s’il s’agissait d’événement réels sous un firmament réel ! Le plus ridicule étant lorsque, réincarné en calmar, on se pince un tentacule pour vérifier que l’on n’est pas englué dans un songe !

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Hélas, tout se passe comme lorsqu’on est piégé dans les sables mouvants : plus on se débat pour en sortir et plus on s’y enfonce. Alors qu’il en va tout autrement de l’aube. Les rayons de sa lumière ne jonchent pas le sol ainsi qu’une moisson fauchée, en fin de journée.  C’est un espoir qui se dresse avec chaque tige ou brin d’herbe, et la végétation ne se replie pas vers la marée montante de l’ombre, qui nuit, hissera son niveau jusqu’aux étoiles. Hélas encore, lorsque le soir déçoit les promesses de l’aube, dans sa bulle imperméable, la solitude ne console pas les hommes du matin, que les coureurs du désert saharien déjà reconnaissaient à ces pointes de silex finement taillées qu’on retrouve lorsque le vent poudreux a déplacé la nappe ocrée vers un autre mirage.

 

 

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Désagrégation paisible
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Tandis que l’un agonise l’autre flamboie, en pâture jetant des poignées de mots vivants à la gueule du Moloch.
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Le monde est si dur que ce qu’il en a happé lui brise les dents.
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Faut-il s’émouvoir (enrager, se réjouir) de cette splendeur promise dont nous ouvrions le chemin parmi les déserts de l’instinct ?
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L’optimime du feu d’artifice ! Chacun a cru un temps au libre élan de sa jeunesse. Un temps.
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En dépit de l’abondance – cette manne du petit-jour ! – lui n’était déjà plus là. Dissous peut-être aux larmes de l’averse ?
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Que j’ai froid ! Que j’ai froid alors que les dalles brûlent au soleil, à peine désaltérées par l’ombre périodique des nuages.
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…Un vieux cactus candélabre allongeant sa silhouette décharnée sur la poudre rouge du plateau, avec pour seul compagnon l’aspic sinueux qui lèche l’air de sa langue fourchue en contournant les pierres.




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