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3 octobre 2009 6 03 /10 /octobre /2009 14:08
                                      Ascension

                                              I

Mettant fin à l'odeur de galet mouillé qui nous avait accom-
pagnés  
                 semble-t-il depuis le temps où     ruisselants de lumière
et d'eau de mer        nous nous jetions à plat-ventre        haletants
            sur la paroi horizontale          de la plage qui nous renvoyait
notre haleine au visage         comme si
 
                (avec ses petites dents exquisement rangées et ses lèvres
pleines      entr'ouvertes sur un souffle un peu court,            avec ses
yeux insondables    dont le vertige était renforcé par du feu aux joues,         
avec ses épaules si nues et si fraîches     se prolongeant en une sorte
de fuseau vivant d'une fermeté électrique et tendre   jusqu'à nos hanches
où il se divisait en deux cuisses splendides    pour que l'ombre du soleil
ait un angle où se réfugier et tisser son nid, )  
 
                                                                sous notre poids résistait
le corps        douloureusement désiré            d'une de ces filles juste
vêtues,      selon le mot de Prévert,      "d'un manteau de fous-rires"           
et étendues dans la réalité à côté de nous,        c'est-à-dire, hélas :
à mille années-lumière         ainsi qu'il en est de toutes les femmes...    
  
                   l'aiguille de granit       à cinq heures du matin
 plus vertigineuse de façade que dix cathédrales       après
quelques dernières prises vers quatorze heures
cassait brusquement dans l'air subtil.
   
                                           II

Le torse plaqué contre un bombement de la roche,
    saisissant à pleines mains tout mamelon à notre portée     
on se hissait à la force des poignets          pour déboucher
après un ultime rétablissement

sur une étroite terrasse            à peine suffisante pour que
quatre personnes havresac au dos y puissent tenir         et
au premier chef s'y mettre debout :

C'était là le sommet,       comme en fin d'échelle         lors-
qu'on enjambe la trappe    et découvre une soupente enso-
leillée par le roucoulement des colombes,    puisque l'azur
"à bout portant" disons,           tendait face à notre regard
sa charpente étrange et dénuée de perspective.       

Derrière ses tuiles bleues,         on aurait juré qu'on enten-
dait distinctement         à voix basses tout près      ou très
loin à voix de Stentor        vrombir dans l'espace glacé les
choeurs        frondeurs des séraphins    repoussant vers la
nuit et le froid le Photophore          encore enveloppé des
membranes de sa chrysalide rayonnante           ainsi qu'un
esquimau nouveau-né          dont seuls les yeux sombres
émergent de la peau d'ourse blanche à forte senteur de musc        
 sous laquelle on devine que          rose et innocindécent
comme un Amour de Boucher           il gigote avec une
volupté qu'aucun dieu,   blasé par des éons de jouissances
inhumaines et d'expériences perverses,     ne pourra
jamais pardonner.

                                       III

Exceptionnellement       à une distance inévaluable     pas-
sait quelque rapace       seul à se risquer si haut       car les
nuages        qu'on pouvait apercevoir comme un troupeau
laineux en dessous de nous          se satisfaisaient de paître
indolemment aux pentes de l'Intermonde :

celui qui       de mieux en mieux verdoyant      en dévalant
divers pierriers bruyants     quitte les crêtes osseuses et les
pics émaciés       pour s'évaser comme jupe de femme
en la profusion colorée de vallées       grasses d'ombres et
de pâturages,          ornées de fermes rouges et de vergers
pubescents      

A s'enfoncer dans toutes les directions         elles laissent
voir leurs profils manifestement rabotés par des glaciers
depuis très longtemps évaporés             dont l'absence a
maintenu la forme        de même que l'on voit depuis les
hauts abrupts du Dj'bel Toubkal       


s'enfoncer à travers les sables jusqu'au plus bas de l'hori-
zon bas        des coulées de graviers         qui perpétuent
face au ciel incandescent         avec la collaboration trou-
blante des mirages      le souvenir

inimaginable comme un miroir torréfié         de rivières,
de lacs, et autres frais ruissellements d'azur       où vien-
draient boire des nuées d'oiseaux !

                                       IV

Enfant, j'avais souvent rêvé,         après avoir traversé les
siècles            et rejoint les apprentis du Tintoret sur leur
échafaudage,     de parvenir si haut que je puisse toucher            
comme on touche un plafond             humide encore de
peinture fraîche       ce bleu du ciel        à propos duquel

je caressais l'idée qu'il me resterait au bout des doigts un
peu de glissure,       un chrême de pigment paradisiaque,
mettons,        et que sa vertu magique           par la suite
contaminerait tout ce qu'il m'arriverait de toucher :
 
entre autres ce stylo      avec lequel j'écris,     lui conférant,
     à lui ou à l'encre qu'il contient,    ou à l'or de sa plume,         
une sorte d'aptitude neuve au "bonheur"     comme on dit
        "d'expression"

si bien que désormais ma vie      et celle des rares curieux
qui liraient mes poèmes         seraient durablement céruléï-
fiées par l'aura rémanente d'un azur              apte à soigner

     à guérir peut-être    si l'homéopathie n'est pas un vain
mot,           même le blue's le plus morbide et le plus enra-
ciné !

                                         V

Mais après avoir gravi toutes sortes de montagnes,      en
particulier un certain Mont Analogue qui ne figure sur aucu-
ne carte,      avoir tourné le dos au mal qui        selon Pas-
cal        vient tout entier de ce que l'homme est incapable
de demeurer tranquille dans une chambre,

après avoir tourmenté l'espérance       et tiré sur sa mince
ficelle de chanvre jusqu'à ce qu'elle se réduise à un fil
auquel avec une inconscience effrayante      je suspendais
 ma vie entière,

J'ai fini par accepter        le fait que l'azur soit une illusion,
que rien ne puisse venir du ciel         excepté une eau lumi-
neuse et transparente,          ce qui est déjà beaucoup pour
la plupart des hommes       et désormais paraît à mes yeux
  
un miracle suffisant pour que je considère comme de mon
devoir d'en rendre compte      en recueillant avec le pauvre
vase du langage       la surprise indéfiniment renouvelée de
cette pluie de transparence et de lumière sur nos vies

dans le but secret de doucher avec le contenu de ce vase
     comme en usant d'un shampoing à laver les idées      
la tête de ceux que plus rien n'étonne       et que l'habitude
a fini par anesthésier.
                                               
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