En mémoire du Désert
Du désert l'image me revient – gorges altières,
caillouteuses, austères, où défilent les spectres
de milliers de preux aux casques damasquinés,
empointés d'un croissant de lune. Superbes
sur leurs chevaux noirs à la robe lustrée,
ils scintillent d'un sombre éclat qui miroite en
des nappes improbables d'eaux frissonnantes.
Chaleur et gel à pierres fendre. Ici règne la
solitude du dieu. Les draperies immenses qui
empourprent le matin, les cieux glorieux de
couleurs et silence inouïs, les orgues cristallines
des grains de silice qui dévalent sous le vent
l'autre versant de la dune ; le foyer noirci
où brillent au matin, parmi l'encor rougeoyante
cendre, une ou deux flaques de verre... Ici,
l'atmosphère de l'aube est si transparente
qu'on peut, comme derrière un vitrail, apercevoiir
le mystère derrière la lumière. Aux falaises
la pierre est déjà couturée de signes : à celui
qui passe, l'effort de leur donner un sens. Et,
quand la nuit, en son caftan d'étoiles grelottantes,
descend les marches de l'ombre et du froid,
en regardant le ciel, on reçoit - comme l'éclair
d'un poignard qui frapperait de nulle part -
l'absurde conviction que l'âme est éternelle...
Grandir
Est-il vraiment passé le temps
du plaisir de vivre, de l'insouciance,
des grands rires dans la prairie
au milieu des amis, le dimanche,
lors de ces pique-niques où les filles
ont du rose aux joues et des yeux
rendus obliques par la tentation. Le temps
où par des soirs d'un bleu serein et sans
menaces, on regardait s'allonger les ombres
régulières de la haie de peupliers
en écoutant un rossignol caché comme
une feuille à contre-ciel. Grandir,
c'est gober ce temps-là, avec les illusions
de paradis que faisait naître un frisottis
doré sur une nuque, près d'une oreille
roulée comme un Tanagra : «appâts»
(selon la galante expression de jadis)
qui, ainsi que ces papiers étoilés
de Noël, enveloppent en guise
de friandise l'écrasant fardeau
de la réalité, pareille à une pleine
lune à la porte d'un château écroulé.
Xavier Bordes