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9 décembre 2007 7 09 /12 /décembre /2007 12:09

 

Foudre verte

 

                                                                          à ma Mère

 

Et toi tandis que grondent le cristal des orgues      et le dies irae de l'orage dehors


toi           petite et fragile et mince          comme honteuse d'en être réduite à tes os

et réfugiée dans le chêne entouré de chrysanthèmes et de cierges d'où rayonne de profundis un astre noir       toi

tu n'entendras pas ce poème-ci     mais seule sous la dalle où est gravé ton nom  dans cette grande nuit qui moi-aussi m'attend     béante porte noire       si tu peux quelque chose entendre      ce ne sera rien que le froissement solennel de l'air dans la couronne des pins     quelques roucoulements de tourterelles        et au-delà

 

des murs du cimetière     un poème qui n'est pas mien     l'effrayant poème ordinaire du monde     écrit comme sous la dictée d'une verte tramontane    poussant à travers une âme incendiée      les mots     des mots roussis ainsi que feuilles mortes

 

mots qui seront un jour entassés avec les anciennes télévisions     les radios      les innombrables machines qui ont plu     déluge de ferraille et de plastique         sur l'humanité        et sans doute brûlés dans un immense autodafé d'où s'envoleront

des millions de pages        tel un envol de corbeaux noirs qui tirent d'aile en direction de la lumière

 

là-bas où    nimbée d'une éternelle aurore et ceinte d'une écume immaculée

l'Île d'Emeraude continue de rayonner bonheur et liberté       sous la forme d'une apparition     souriante sur sa conque     jeune femme à jamais blonde en cheveux jambes longues      avec pour clef de voûte un rien de mousse parfumée

Aïlenn      qui descend fouler d'un pied menu la cendre de la grève      la change en pollen doré

 

puis s'avance     sous les allées ombragées de cytises et de cerisiers en fleur      Et la voici qui lave sa nudité claire dans la fraîcheur des fontaines    hume l'anis et le thym     l'odeur salace des roseaux     coupés par des faunes cachés sous les buissons     à pleins poumons soufflant dans leurs syrinx pour fêter la Belle-enfin-arrivée

 

Ici    elle cueille un lys     une rose plus loin     comme si elle attendait de la sérénité matinale         où la pleine lune dans l'azur s'attarde à verser une ou deux larmes laiteuses      que tombe une foudre verte        un poème empenné de phrases vibrant longuement au coeur du silence       après avoir franchi le seuil de l'infini par la porte incarnat de ses lèvres

 

Un poème qui redirait l'amour du monde      que croyait avoir perdu dans la noirceur des jours de deuil et les hymnes funèbres       le poète désespéré.

 

 

 

 

 



            Une chaumière et deux coeurs !


Des jongleurs de brume, des acrobates de brouillard,

des rires plus lointains que des échos,

des chapiteaux taillés dans une épaisse nuit,

tout un cirque sans étoile au coeur d'un carrefour

désert que cernent des bâtiments d'ombre,

des sanglots résonnant du fond d'invisibles corridors,

et, ressac du coeur, la figure fantomatique,

d'un clown au sourire ambigu, comme tracé par un

Léonard de Vinci sur la ligne qui sépare les abysses

du désespoir, des eaux calmes de la mélancolie - avec

leur noir miroitement de cyprès et de lauriers,

surplombant les marbres et les myrthes de cette Ïle

des Morts si sereine que peignit Boecklin : c'est

tout cela que j'aperçois dans les moments où je m'incline

au-dessus du puits dont les profondeurs recèlent

l'incoercible tremblement d'une noirceur

qui n'est autre que le reflet de mon for intérieur.

Or,
       soudain la voici, l'Apparue, l'Aimée qui danse et chante,

Aïlenn qui change un plancher en pelouse, en piste de danse


une arène d'où les taureaux s'envolent, tournoyants soleils

ailés, puis s'évaporent dans les hauteurs d'ozone de l'été.

Aïlenn, la Gracieuse, enveloppée de cheveux blonds

dont la licorne du vent ne peut se retenir, par-dessus

son épaule, de venir flairer le parfum...

                                                        Et tout ce cirque

de mon coeur, pour un moment, s'évanouit ; les images

funèbres se dissipent comme buée au soleil, laissant

apercevoir par la fenêtre une sorte de jardin d'Eden :

une clairière, sa cabane dont le chaume reluit si fort

qu'il fait paraître saugrenue l'existence et même

l'idée de ce que les humains ont appelé «la mort».


 

 

   Femme de brume



Ce pourrait être l'illusion d'une résurrection

cette femme au visage effacé par une brume lumineuse

qui, dans mes rêves, vient vers moi depuis l'au-delà

de la mer : elle sourit sans sourire... Sa présence

affecte l'air ambiant d'une gaîté que d'aucuns pourraient



trouver triste comme, abandonnée en travers du chemin,

la mue d'une joie en allée, - morte depuis, au tréfond

d'une tanière obscure de mon inconscient que je n'ai plus

essayé d'explorer depuis des lustres ! Venimeuse illusion !

Et de fait, que reste-t-il de nous-mêmes après tant d'années ?



L'apparition qui nous visite est pétrie de vieux souvenirs.

Elle convoque la foule des Mères, des Tantes, des Amantes,

des Soeurs absentes, - et les rassemble en un bouquet

qui diffuse "le doux parfum des giroflées" et "l'inflexion

des voix chères qui se sont tues". C'est que malgré l'illusion,



le mauve du passé insensiblement tourne à l'ultra-violet :

pour nous qui connûmes des temps meilleurs, la Terre

rétrécit et chaque jour devient un peu plus inhabitable

(même "poétiquement" comme disait Hölderlin). La barbarie

croissante entre les hommes, on la dirait, ma foi, programmée



d'en haut comme le sont les bulles de savon, pour s'achever

en explosion : ce pourrait être l'illusion d'une résurrection,

du moins, s'il pouvait, du rien, s'engendrer quelque chose !












Le Rappeur


Il vivait d'une vie si triste, dans une cité
si noire. Ce n'était pas vraiment la misère.
Certes, l'on n'y mourait pas de malnutrition
comme au Darfour. Les enfants n'étaient pas
nus, le ventre ballonné, le joues décharnées,
à courir dans la poussière rouge pour un peu d'eau.
On n'en était pas là, certes. Cependant si l'on
veut bien considérer qu'est aussi grave la malnutrition
spirituelle : pour les âmes de la cité, on en était
à presque un siècle de disette et il ressentait ça
comme une intenable souffrance, au milieu de laquelle

il fallait bien pourtant tenir. Alors il écrivait
des textes indécis mi-romans, mi-poèmes, mi-enfer,
mi-paradis. De la tendresse à la colère, le langage

était pour lui une sorte de no-man's land, un espace
lunaire où il errait à son gré entre d'invisibles
frontières que rien ne permettait de déceler, sinon
la moment où recommençaient les avanies et les mépris
des abrutis, qu'il devait néanmoins, pour raison d'éthique

considérer comme ses frères : mais l'humaine forme exceptée,
il lui semblait souvent que rien ne pouvait être, en vérité,
commun entre ces malheureux aux manières grossières,
brutales, sans même un souvenir de ce qu'était l'amour,
et lui : tout entier habité par un être lumineux
qu'en d'autres temps, l'on eût qualifié de « Madone ».







 

               Odelette

 


 

                   Voici la rue

 

Où chaque jour je passe

 

                  La triste rue

 

Avec ses trottoirs pleins de crasse

 

      Ses immeubles noircis

 

Pourquoi faut-il que chaque jour je passe par ici ?

 


 

Dans l'ombre des porches la bise pleure

 

Long est le chemin plus longues les heures

 
 

                       Voici le ciel

 

            Où glissent les nuages

 

                  Le très-haut ciel

 

Avec son bleu qui n'a pas d'âge

 

       Et souvent tourne au gris

 

Pourquoi me faut-il chaque jour en subir le mépris ?

 
 

Dans l'ombre des porches la bise pleure

 

Long est le chemin plus longues les heures

 
 

         Et voici l'Homme

 

     Tantôt loup, tantôt biche

 

       C'est ça l'Homme

 

L'un qui aime et l'autre qui triche

 

     L'Homme toujours changeant

 

Pourquoi me faut-il chaque jour vivre parmi ces gens ?

 
 

Dans l'ombre des porches la bise pleure

 

Long est le chemin plus longues les heures



 

              Villa Séfan, rue de Safi.


 Tu ouvrais la fenêtre – et le soleil acide et vert
du citronnier tombait directement sur le pâle corail

de son épaule écueil nacré rondeur qui émergeait

d'une foison de blonds reflets bouclés : Aïlenn



endormie de profil sur l'oreiller le nez mutin les lèvres
entr'ouvertes joliment comme deux rives pour le courant
transparent de son haleine Un parfum secret se cachait
sous d'autres venus du dehors magnolias fleuris giroflées




Le reste de la chambre est encore tout rempli d'une ombre
si chargée de silence qu'on y entend choir sur la table
de chevet l'un ou l'autre - de temps en temps - pétale
du bouquet de roses pourpres que j'ai cueillies au jardin



hier matin et placées là juste avant son réveil avec

une gerbe d'alexandrins qui chacun parlaient d'Elle
Ses paupières sur lesquelles la lumière de ce jour de mai
glisse comme sur la paroi d'un oeuf de grive sont closes




sur l'Autre Univers celui auquel vous ni moi ni personne
n'aurons jamais accès Celui qui quelquefois la fait gémir

mais plus souvent sourire comme une ange à ce rival ailé
que je hais – Morphée maître du Rêve et l'enfant de la Nuit.

 



 

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commentaires

B
Salut Xav,<br /> <br /> Je suis heureux tout simplement<br /> <br /> J'ai cherché tes coordonnées pour te souhaiter un joyeux noël. Jamais tu ne sombrera dans l'oubli.<br /> Je passe souvent par la rue de Safi et je me souviens de ce prof hors du commun.
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